Ce colloque organisé par Matthias Radloff eglise-de-demain.hautetfort.com à l’Institut Biblique Emmaüs (Suisse), où il est professeur, a rassemblé une vingtaine de personnes, de tous âges. La plupart des participants sont déjà, ou seront bientôt, en position d’initier de nouvelles formes d’églises.
Les principaux intervenants à ce colloque étaient : Henri Bacher www.logoscom.org , Eric Zander (implanteur d’églises en Belgique, qui fait un travail de recherche sur l’« alternative worship », ou « le culte autre », Jane Maire (responsable de la communication de l’organisation wycliffe), Philippe Bottemanne (pasteur de l’église évangélique de Châble-Croix à Aigle).
Plutôt qu’un compte-rendu, j’ai opté pour un retour sur ce qui m’a frappée : certains constats, propositions, hypothèses ou questionnements, sans en mentionner les auteurs.
La civilisation de l’internet déchiquète la civilisation du livre. On assiste à un changement d’une aussi grande ampleur que le passage du Moyen Age à la Renaissance. On pensait que le livre répondait à tous les besoins. Or la civilisation du livre ne laissait pas de place à l’émotion, au vécu intérieur. On revient aujourd’hui à une spiritualité plus archaïque, qui a des ressemblances avec celle du Moyen Age : les marches pour Jésus ne sont-elles pas une version moderne des processions ? Que dire du pèlerinage de Taizé ? Pour se renouveler aujourd’hui, il est utile de s’intéresser à cette période de l’histoire.
Face à la tension qui résulte de ce bouleversement, deux modes de réactions apparaissent : rénover ou innover. Les églises sont dans des turbulences très difficiles à gérer ; en cherchant à s’adapter, elles touchent à la culture des personnes, et donc à leur identité. C’est potentiellement dangereux. Il ne faut pas chercher à emmener toute l’église dans une expérimentation ; mais plutôt s’appuyer sur des membres qui y aspirent, et à qui l’église confie un espace de liberté. Et en particulier, libérer les jeunes pour lancer des expérimentations. Ils sont des Josué, qui ont besoin d’un Moïse pour les amener jusqu’au bord de la Terre Promise.
Le premier travail consiste à redéfinir en église les valeurs fondamentales de l’Evangile, indépendamment de nos cultures, et à remettre en question nos pratiques, ce qui nous conduit à émonder, débroussailler nos théologies. Ce qui peut nous amener à une conception tout à fait différente de l’évangélisation. Etre missionnel, n’est ce pas communiquer d’une position d’incarnation, plutôt que de confrontation par l’évangélisation ?
Dès le jardin d’Eden, Dieu part en mission, et se déplace vers l’homme : « Adam, où es-tu ? » Jésus vient en mission au milieu des hommes. N’avons-nous pas à continuer la mission de Jésus ? Dieu n’a pas une mission pour son Eglise, mais une Eglise pour Sa mission : réconcilier le monde avec Lui. Or, force est de constater qu’il existe aujourd’hui un gouffre entre l’Eglise et le monde, d’où la difficulté d’accomplir la mission de Dieu.
C’est en prenant conscience, avec l’Esprit Saint, de l’état des gens qui vivent sans Jésus, que nous pourrons trouver le courage de changer nos attitudes et nos habitudes. Jésus a quitté le confort du ciel pour entrer dans le « pétrin » du monde, nous devons quitter le confort de nos communautés locales pour entrer dans le monde, et aller à la rencontre des « vrais gens ». En remplissant nos cœurs de cette compassion de Jésus pour le monde, nous pourrons faire une évangélisation par les actes. Jésus demande à boire à la Samaritaine, il ne lui demande pas si elle veut être sauvée. Il ne lui délivre pas un message de salut en trois points ; il apporte une pincée de sel, et attend qu’elle soit touchée et en demande plus.
Etre à l’écoute, apporter ce qui rejoint les gens là où ils sont, aller avec la conviction que l’Esprit est déjà au travail auprès de ceux qu’on rencontre, prier avec eux pour leurs problèmes… C’est apporter le Royaume dans le monde. Mais il faut avoir bien conscience que nous n’avons pas toute la Vérité, car notre vérité est imprégnée de notre culture.
Il est nécessaire de s’interroger en église : sur quoi est-on centré ? Nos rencontres entre nous ou la mission de Dieu ? Quelle est la place de la prière ? Oser questionner ce que nous trouvons incontournable dans nos pratiques d’églises.
Que dire de « l’église émergente » ? Des cultes alternatifs ?
« Emergent », « alternatif » sont des termes relatifs. Il faut savoir de quoi on veut émerger, contre quoi on réagit. Cette réponse est variable d’une culture à l’autre.
Par exemple, aux Etats Unis, l’émergence se définit en opposition aux méga churchs consuméristes, qui se sont développées avec le baby boom. Et l’église émergente est celle qui cible la génération émergente. En revanche, en Angleterre ce sont les églises classiques, anglicanes et évangéliques, qui sont en question. En Suisse, le contexte sera différent de ceux de la Belgique ou la France, en fonction de l’arrière plan culturel religieux (protestant ou catholique). Par “église émergente” certains entendent « toute communauté qui essaye de sortir de ses murs pour créer de nouveaux ponts vers le monde extérieur ».
De l’analyse d’expériences d’autres cultes qui ont été lancées aux USA, en Angleterre, en Australie et Nouvelle Zélande, il ressort certaines observations :
– Le mythe du culte biblique : prétention utopique, car le culte est toujours une interprétation culturelle des principes bibliques,
– Le grand défi de « l’inculturation » : jusqu’où va-t-on laisser la culture nous influencer ?
– Le retour vers le futur ou un avancement vers le passé, déjà évoqué, avec la redécouverte des rites, des liturgies, du silence, …
– Le culte vrai, permettant de vivre une expérience de Dieu ensemble, plutôt que de comprendre Dieu ensemble.
Ces expériences rencontrent les dimensions de la post-modernité dans leur éclectisme (on mélange les genres et les époques), dans la participation authentique (on prend part avec son corps, chacun est le bienvenu dans sa culture mais le groupe a sa propre identité forte un peu tribale), dans l’expérience holistique.
Mais une question se pose : est-ce une réponse ou une capitulation aux changements culturels ?
Ne s’agit-il pas au fond d’églises qui ont gardé les mêmes conventions avec un tout autre emballage ? Ne remettant pas en cause la question d’un culte rassemblant toute l’église dans un même lieu le dimanche, mais seulement celle du « comment on va le vivre ».
Les églises locales sont généralement organisées autour de trois pôles :
– la célébration (relation avec Dieu),
– la communion (relations entre les membres),
– la mission,
avec des tensions propres au modèle : entre célébration et communion par exemple. Pour réguler ces tensions, on a recours à un programme.
Et si chacune de ses dimensions se vivait séparément ?
Par exemple : la célébration serait l’invitation à rencontrer Dieu ensemble, à vivre une expérience collective exaltante, la communion s’appuierait sur des réseaux, se rencontrant autour d’un repas pour partager un texte biblique et se poser des questions, sans donner de leçon, la mission serait initiée par des chrétiens désireux d’aller vers ceux qui vivent sans Dieu et d’écouter leurs préoccupations.
Dans ce nouveau type d’église, fluide, multi dimensionnelle, la place du bâtiment est en question, celle du pasteur « classique » également : un pasteur de réseaux ? Une supervision de pasteurs à distance ?
Cette hypothèse « qui casse l’objet » nécessite encore d’être critiquée, mûrie, … Mais elle permet d’ouvrir tout un champ nouveau.
Autre champ ouvert, celui de l’utilisation des outils nouveaux (internet, face book …) pour créer des communautés, et rejoindre ceux qui ont quitté l’église, et qui sont dans la culture de l’image et du virtuel.
Et pour conclure cette journée passionnante, Alfred Kuen, cita Maurice Ray : « il y a certaines personnes qui ont pour vocation d’accompagner la chrétienté mourante jusqu’à sa fin et d’autres de préparer l’église de demain », et exhorta l’assemblée à ne pas diviser l’église, et à encourager les expériences innovantes, en les accompagnant dans la prière.