« Du neuf chez les cathos. Des communautés se libèrent » : ce livre est le fruit du travail d’une équipe où se croisent de nombreuses compétences, une analyse de réalités socio-religieuses  conjuguée à une approche théologique. A partir du constat des obstacles qui entravent l’évolution de l’Eglise catholique, cet ouvrage présente « un témoignage conceptualisé de la manière dont une partie de plus en plus importante du peuple de Dieu, inspirée par les intentions du Concile Vatican II… se libère des contraintes…pour s’organiser, vivre sa foi et « faire communautés autrement ». Il décrit et met en évidence le développement de pratiques nouvelles. La présentation du livre est suivie par une mise en perspective qui met en valeur la nouveauté et l’originalité de ce mouvement  d’ « autonomisation spirituelle ». Le changement en cours s’inscrit dans un cadre plus vaste, international et oecuménique et rejoint notamment l’expérimentation en cours dans le courant de l’Eglise émergente.

Au cours des dernières décennies, le visage de l’église catholique en France a profondément changé. Elle est passée d’une position dominante, voire hégémonique à une situation plus modeste. L’organisation et les pratiques de l’institution catholique héritées du pacte avec l’empire romain, de la chrétienté médiévale et de la contre- Réforme (1) et marquées par un centralisme hiérarchique, sont directement en porte à faux avec le changement culturel qui s’accélère aujourd’hui (2). Dès lors, on observe à la fois un affaiblissement de l’encadrement et une diminution du public.  Le nombre des prêtres comme la proportion des pratiquants allant régulièrement à la messe s’inscrivent dans une courbe descendante (3).

La pyramide des âges où les générations les plus âgées sont privilégiées, est un indicateur qui va dans le sens de la poursuite et de l’accélération du déclin. Cependant, la réalité ne se résume pas à ce qu’on peut en saisir à travers des catégories bien identifiées. Les mentalités changent. Des initiatives apparaissent. Des réalités nouvelles germent. Ainsi les sociologues évoquent-t-ils un mouvement en terme de décomposition et de recomposition.

En terme de prospective, à partir d’une observation des changements en cours, on peut également évoquer différents scenarii. Les données sociologiques nous indiquent que les aspirations spirituelles sont très présentes. La question posée est donc principalement celle de l’offre. Une variable déterminante est la capacité de l’institution catholique de se remettre en cause et de changer son mode de gouvernement (4). D’autres églises, également menacées par l’écart entre le changement culturel et les pratiques religieuses, ont été capables d’accepter un pluralisme dans leur organisation. Le Concile Vatican II avait lui-même été dans le sens d’une prise en compte de l’apparition d’une nouvelle culture et d’une nouvelle société. Depuis lors, l’appareil de l’Eglise catholique s’est à nouveau recentralisé et hiérarchisé. Ainsi, le pouvoir central  se reproduit lui même. Cette situation est confortée par un repli défensif des mentalités vers un giron traditionnel.

Comme cela été le cas lors de l’éclatement de l’Union Soviétique, même si la probabilité nous paraît faible aujourd’hui, on peut imaginer un bouleversement de ce mode d’autorité. Dans ce cas, une dynamique nouvelle apparaîtra avec les fleurs et les fruits correspondants. Si le blocage se maintient, dans les pays les plus avancés en terme de changement culturel, l’appareil institutionnel et les pratiques correspondantes continueront à décliner jusqu’à ce que des formes d’implosion apparaissent. Cependant, dans l’espace ouvert par le retrait de l’institution, de nouvelles réalités, de nouvelles expressions chrétiennes apparaîtront. Un paysage religieux différent émergera. C’est dès maintenant le cas. Quelque soit l’évolution à venir, nous sommes appelés à être attentifs à tout ce qui germe, à tout ce qui naît, à tout ce qui se transforme. Si on garde à l’esprit un certain nombre de critères d’appréciation, par exemple la conjonction de la conviction et de l’ouverture, termes qu’il faudrait préciser, on découvre qu’il y a effectivement aujourd’hui, en milieu catholique, des mouvements significatifs. C’est par exemple la forme nouvelle qu’a prise l’Eglise catholique dans le diocèse de Poitiers (5). Ce sont les rassemblements organisés cet automne 2010 à Lille et à Lyon, respectivement par l’hebdomadaire La Vie et par la Fédération des Parvis (6). Le livre récent : « Du neuf chez les cathos », nous paraît également un signe annonciateur d’un changement profond dans les mentalités.

Un livre qui va de l’avant.

 

« Du neuf chez les cathos. Des communautés se libèrent » (7). Ce livre nous introduit au cœur d’un processus de changement. C’est le fait d’une équipe issue de deux associations : « Droits et Libertés dans les Eglises » (DLE) et “Femmes et Hommes en Eglise » (FHE), membres de la « Fédération des Réseaux du Parvis » et du réseau européen « Eglises et libertés ». De nombreuses compétences s’y croisent et notamment la présence de plusieurs théologiens. À travers des réseaux, une information abondante remonte et est utilisée dans cette recherche. Par ailleurs, on mettra également en valeur le caractère approfondi de cette contribution. En effet, l’atelier « Faire église autrement », animé par Hubert Tournes et François Becker, est au travail depuis plusieurs années. Déjà, en 2005, un colloque avait été consacré à une réflexion sur les communautés chrétiennes à partir d’un recueil de monographies. Elle avait permis la publication d’une brochure : « Faire église autrement. Un monde autre. Des communautés autres » (8). « Du neuf chez les cathos » est donc le fruit d’un travail persévérant et compétent.

Dans une introduction, François Becker nous fait entrer dans le mouvement de cet ouvrage. « Il est divisé en trois parties. À partir d’une brève analyse des attentes spirituelles et matérielles du monde et des chrétiens, présentée dans la partie 1, intitulée : « Les attentes », est posée la question cruciale : sous sa forme et son organisation actuelle, l’Eglise catholique est-elle en mesure de répondre à ces attentes ? La thèse de ce livre est de répondre non à ces questions. Non, car au cours des siècles et des aléas de l’histoire, l’institution de l’Eglise catholique a construit des barrières qui l’isolent de son peuple et du monde et bloquent son évolution. L’analyse de ces barrières et blocages effectuée à partir d’exemples concrets, est présentée dans les quatre chapitres de la seconde partie… Dans une troisième partie intitulée : « Pierres pour construire » », un ensemble de contributions montre qu’il y a du neuf incarné notamment par des communautés qui se libèrent et franchissent les barrières… » (p.9-10).

Il n’y a pas lieu ici de procéder à un compte-rendu détaillé de ce livre. Cet ouvrage est très accessible et il mérite une lecture approfondie. Nous formulerons seulement quelques appréciations.

Barrières et blocages.

L’appréciation des barrières et blocages est bien menée et difficilement contestable. Ainsi, Marcel Metzger, lui-même théologien et en même temps engagé dans la vie pastorale, nous apporte un éclairage à la fois informé et vécu sur le « cléricalisme latent ». « Sans le curé, rien ne peut exister ! » (p.57). Le pouvoir central règne en s’adressant à des acteurs isolés les uns des autre. « Les tâches sont définies abstraitement au lieu de les envisager à partir des personnes… » (p.16).

On sait que l’Eglise catholique se caractérise par un exercice de l’autorité essentiellement masculin. Alice Gombault traite de la « confiscation masculine du pouvoir » dans une approche originale qui établit un rapport entre cette confiscation et l’affirmation d’un pouvoir sacré ». « Le pouvoir sacré » apparaît comme le fondement de l’organisation hiérarchique de l’Eglise catholique et de l’identité de ses prêtres » (p.72). Il y a là un phénomène de mentalité qui, à notre époque, paraît stupéfiant. « Les règles et usages de l’Eglise catholique s’appuient encore sur ces fantasmes archaïques » (p.80). On comprend les résistances à l’ordination des femmes alors que, dans l’opinion, celle-ci est de plus en plus favorablement envisagée. D’année en année, les opinions favorables à l’ordination des femmes augmentent, atteignant aujourd’hui 80% » (p.93).

Dans un chapitre suivant, Alice Gombault traite de « la communication et de ses enjeux ». Là aussi, il y a blocage. Comme en témoignent de nombreux exemples, on notera un exposé très éclairant sur la « non-réception » du message du pouvoir central, de la signification théologique de cette « non réception » et de ses conséquences.

François Becker conclut cette partie par un chapitre concernant le fonctionnement de l’Eglise catholique : « L’Evangile trahi ».

Des pierres pour construire.

 

La troisième partie : « Des pierres pour construire » trace une piste pour sortir d’une religion détournée et pour pratiquer un christianisme témoignant de l’Evangile.

Comme l’indique François Becker, dans son introduction, le fil conducteur est la constitution de communautés. « C’est en grande partie pour franchir les barrières déjà évoquées et pour vivre et célébrer leur foi que des chrétiens se constituent en communautés… »  François Becker décrit quelques caractéristiques de ces communautés et il ouvre un nouvel horizon. « Pour devenir espoir pour l’Eglise de demain, les communautés doivent se préparer à en devenir des cellules vivantes sans abandonner ce qui fait leurs caractéristiques et leur capacité à vivre et à témoigner de l’Evangile au XXIè siècle. Aussi faut-il que les communautés chrétiennes de base réfléchissent à une évolution en communautés ecclésiales de base pour devenir de « véritables petites églises de base ». Pourquoi cela ? Parce que comme le dit Jean Delumeau :

« Il faut promouvoir des structures de proximité qui soient des interfaces entre la religion et la société et favoriser des espaces de convivialité chrétienne. Il faut concilier évangélisation, prière et présence active et fraternelle au monde, créer des lieux d’écoute, de partage, de solidarité et prière. Il faut remplacer un pouvoir conçu sur le modèle de l’ancien régime par une organisation souple et décentralisée. Il faut promouvoir la liberté et faire preuve de créativité » (9).

Plusieurs chapitres décrivent cette orientation.

Ainsi Hubert Tournes fait le point sur « les communautés en Eglise aujourd’hui ». Il montre quelles sont leurs raisons d’être, cite des textes du Concile Vatican II, constate que la « constitution hiérarchique de l’Eglise catholique ignore la communauté », met en évidence l’apparition de communautés nouvelles, le plus souvent en marge de l’institution et parfois en son sein comme dans l’expérience originale et novatrice du diocèse de Poitiers ou dans des paroisses gagnées par l’esprit communautaire. Et il salue ce mouvement dans le changement culturel en cours, ce qui requiert leur inscription dans une société démocratique.

Les chapitres suivants sont consacrés aux fonctions exercées par ces communautés : la solidarité dans un  esprit de justice et la célébration.

Les deux chapitres sur la célébration, rédigés par Claude Bernard et Alice Gombault, nous paraissent des textes majeurs, car ils abordent de front l’exercice d’une fonction que l’institution catholique attribue uniquement et jalousement à un clergé en situation de dépendance hiérarchique par rapport à l’autorité ecclésiastique.

Claude Bernard propose une approche théologique qui légitime la responsabilité de la célébration ecclésiastique, ou plus simplement, du repas du Seigneur, par les chrétiens qui y participent en des termes qu’on pourra étudier dans un texte argumenté.

Dans un chapitre : « Des disciples célèbrent pour reprendre souffle », Alice Gombault nous présente une analyse très fine et très concrète de la manière dont des pratiques nouvelles s’expérimentent et se développent. Elle nous décrit les grands traits de ces célébrations : dimension symbolique, souci de cohérence, partage, présidence, invention et créativité, eucharistie, la place des femmes, la fréquence, la vigilance. Elle met en évidence le primat de la vie. Les célébrations témoignent de la présence divine à partir de la vie quotidienne. L’eucharistie est perçue comme « l’expression liturgique de ce qui se réalise avant tout dans le quotidien de la vie » (p.178). Et, de même, la célébration ne tourne pas autour du ministre habilité, mais « émane de la communauté ». C’est elle qui est première. « C’est une ecclésiologie tout aussi attestée que celle du pouvoir clérical et certainement plus évangélique » (p. 180).

En conclusion, dans un chapitre intitulé : citoyens et citoyennes en église », Claude Bernard esquisse quelques stratégies pour développer un processus de transformation. Il donne en exemple les possibilités ouvertes par une charte de co-responsabilité dans le diocèse d’Evry. Au plan national, il propose d’introduire une représentation des laïcs dans les instances de l’Eglise catholique en France : adjoindre « un quota de représentants des laïcs dans l’assemblée annuelle des évêques ». « L’Eglise communion qui se met en place à la base appelle une visualisation au sein des structures à l’échelon national. L’heure n’est-elle pas venue de signifier le pluralisme de la population des fidèles et l’équité homme femme par une assemblée synodale décisionnelle de l’Eglise de France qui serait autre chose que des conférences des évêques ?  Pourquoi pas une Assemblée comprenant trois collèges : celui des évêques, celui des prêtres et des religieuses, celui des laïcs ? » Oui, pourquoi pas lorsqu’on sait que cette instance décisionnelle tripartite existe depuis longtemps dans l’Eglise anglicane ? Et comment ne pas s’interroger à ce sujet lorsqu’on voit que cette collégialité existe dans d’autres églises encore ? Mais on approche ici du problème de la dépendance vis-à-vis d’un pouvoir central autocratique, gérontocratique, en auto reproduction. Claude Bernard n’aborde pas ce problème. Mais ce dernier chapitre a le grand mérite de porter la dynamique de ce livre jusqu’à cette dimension institutionnelle en posant une question accessible pour un vaste public.

Un processus. Une perspective.

Au long des siècles, depuis l’interpénétration de l’Empire romain et de l’Eglise à partir de Constantin, puis dans la chrétienté et le « paradigme catholique romain médiéval » bien décrit par Hans Küng (1), enfin la  Contre Réforme, une culture centrale s’est constituée dans l’Eglise catholique. Parce qu’elle blessait les consciences, elle a été remise en cause par des approches différentes et finalement dans la grande symphonie libératoire du Concile Vatican II, qui, malgré de grands acquis, a cessé aujourd’hui de se poursuivre. Dans une recherche précédente (10), nous avons cherché à mettre en évidence les différents modes de légitimation par lesquels les adversaires de cette culture ont cherché à gagner leur indépendance par rapport à l’emprise de celle-ci : mise en avant de la conviction spirituelle, de la connaissance, de l’expérience de la vie, d’un contre-pouvoir politique, des droits de l’homme et d’autres voies encore. Le débat a porté notamment sur les rapports entre les laïcs et le clergé. Selon les moments, selon les lieux, le conflit a pris une tournure violente ou modérée, celui d’un  affrontement ou d’un contournement.

Dans les dernières décennies, un changement est apparu sous des formes acceptées ou tolérées au sein de l’institution. Ainsi, revenant aux sources,  et sortant courageusement et patiemment du carcan doctrinaire qui s’était installé dans la pensée catholique, des théologiens, dans de grands mouvements  (ecclésiologique, liturgique, biblique, patristique, œcuménique..), ont changé la donne et permis l’avancée réalisée au Concile Vatican II.  Le pouvoir hiérarchique, quelque en ait été la puissance, n’a pu empêcher la montée d’un nouveau paradigme théologique (11).

Sur un autre registre, les mouvements d’action catholique ont développé une culture dans laquelle il y a eu une innovation très importante dans la promotion du laïcat et un nouveau statut du prêtre, l’émergence du rôle d’aumônier par rapport à celui de curé. Le courant charismatique a suscité des formes nouvelles d’expression de la foi dans la forme de l’assemblée de prière. Il a favorisé une démarche spirituelle autonome. Il est vrai que, par un mécanisme de conformisme psycho-religieux, certains groupes charismatiques se sont rangés dans un camp conservateur. Mais, l’inspiration de ce courant a mis en évidence l’importance de la lecture personnelle de la Bible et de la prière pour tout mouvement chrétien en désir d’innovation spirituelle. D’autres processus de changement pourraient être mis en évidence, comme, par exemple, le développement ou la transformation de communautés. À la suite du Concile Vatican II, il y eu également des changements notables dans la vie paroissiale. Ainsi, le changement dans le déroulement de la messe a été une transformation majeure et, par certains aspects, radicale. Mais, dans l’ensemble, il nous semble que c’est dans la culture paroissiale et l’architecture institutionnelle dans laquelle elle s’inscrit, que la culture centrale continue le plus à exercer sa marque. Cette impression est confirmée par les auteurs du livre : « Du neuf chez les cathos » lorsqu’ils font apparaître, par exemple l’aspect hiérarchique du rôle exercé par le curé. À cet égard, on peut se reporter également aux analyses d’un évêque courageux et novateur, Albert Rouet, dans son livre : « J’aimerais vous dire » (12). L’univers catholique est aujourd’hui bien plus vaste et plus diversifié que l’institution dans sa culture centrale. Il y a bien des marges où des pousses nouvelles peuvent apparaître. Mais il est particulièrement important de voir se développer une analyse critique et un processus de changement au sein même de la culture centrale dans sa forme paroissiale, car c’est bien là où réside la prépondérance du modèle traditionnel. ** Voir la vidéo de présentation de cet ouvrage à La Procure : 1h 03min 29sec après 20 sec de pub **. Or c’est bien la tâche entreprise avec compétence et résolution par les auteurs « Du neuf chez les cathos ».

Deux associations : « Droits et Libertés dans les Eglises » ** Voir le site (DLE) ** et « Femmes et Hommes en Eglise » ** Voir le site F(HE)  ** sont à l’origine de cette interpellation. Au départ, la forme de légitimation fait ainsi appel à une éthique socio-politique. Et bien sûr, cette éthique, opposable au pouvoir, renvoie elle même à une inspiration chrétienne. Plus généralement, c’est l’inspiration du Concile Vatican II qui est majeure et qui est elle-même volonté de revenir aux sources évangéliques, bibliques, patristiques dans le contexte du changement culturel qui bat en brèche l’institution catholique. Les auteurs ont bien conscience de la mutation culturelle en cours. Et, dans la foulée des analyses sociologiques comme celles de Danièle Hervieu-Léger, mettant en valeur le phénomène de « l’autonomie croyante », on affirme ici un processus d’autonomisation spirituelle ». Cette affirmation va loin, car elle ne concerne plus seulement des personnes, mais des groupes humains. Et elle est d’autant plus remarquable qu’elle provient d’observateurs en contact direct avec la culture paroissiale.

Effectivement, ce livre nous rapporte un nouvel état d’esprit. On y parle, à de nombreuses reprises, de « chrétiens qui s’autonomisent de plus en plus » (p.9), de « communautés qui se libèrent en franchissant des obstacles (p.10). Il s’agit, nous dit-on, de « présenter un témoignage conceptualisé de la manière dont une partie de plus en plus importante du peuple de Dieu, inspirée par les intentions du Concile Vatican II et réceptive au souffle de l’Esprit de Jésus-Christ se libère des contraintes mortifères imposées par le magistère de l’Eglise catholique qu’elle juge obsolète, pour s’organiser, vivre sa foi et « faire communauté autrement » (p.8).

Ce mouvement est possible parce que les mentalités changent au sein même du groupe des catholiques pratiquants réguliers, réduisant ainsi les oppositions. Alice Gombault observe cette évolution lorsqu’elle écrit : « C’est ainsi que se crée une coutume. Déjà des libertés ont été arrachées, sans éclat schismatique. Sans remonter jusqu’au prêt à intérêt, c’est, plus récemment l’accès libre aux évangiles, à la manière protestante, avec la reconnaissance des méthodes d’interprétation. C’est le cas des pratiques contraceptives utilisées par la plupart des couples catholiques. C’est la cohabitation avant le mariage. Qui aujourd’hui se préoccupe de l’obligation faite par le canon 1247 de participer à la messe du dimanche et des fêtes obligatoires ? » On pourrait rajouter d’autres signes comme la chute de l’emprise exercée par la confession.

Mais il y a plus. Des approches nouvelles se développent. Ainsi, le livre consacre deux chapitres aux pratiques nouvelles de célébration qui sont en train d’apparaître. Ce mouvement est particulièrement nouveau parce qu’il est confronté à une caractéristique majeure de la culture centrale : « le pouvoir sacré » (p.77-84). Les observations présentées par Alice Gombault sont particulièrement précieuses. Sachant l’héritage séculaire de la sacralisation et de la culpabilisation potentielle correspondante, on sera d’autant plus attentif au dépassement qui s’opère dans différents contextes. « L’idée s’est progressivement fait jour que des laïcs pouvaient s’autoriser à prendre en mains le « repas du Seigneur » et à célébrer le mémorial de la dernière cène. Des communautés, des groupes sont devenus suffisamment adultes et responsables pour passer à l’acte, encouragés par certains documents. Alors, bien entendu, d’autres questions ont été soulevées : quelle validité ont ces célébrations ? Qu’en est-il de la présence réelle ? Ne s’agit-il pas d’une transgression grave ? Pour certains, ces questions demeurent. Pour d’autres, peu à peu, elles s’éclaircissent, voire s’estompent grâce à des expériences vécues. En effet, lorsqu’on ressort de ces célébrations, fortifiés et nourris par cet aboutissement et cette récapitulation de la vie chrétienne, on ne se pose plus la question de sa validité » (p.170).

Ce processus de transformation des mentalités peut être éclairé  par le regard des sociologues. Dans le livre : « La construction sociale de la réalité » (13), Peter Berger et Thomas Luckmann nous montrent comment les échanges à l’intérieur d’un groupe exercent une grande influence sur la manière de voir : « L’appareil de la conversation maintient continuellement la réalité et inversement il la modifie continuellement. Des éléments sont abandonnés et d’autres ajoutés… » (p.209). Ainsi, dans le cadre de configurations originales, une nouvelle « réalité subjective » peut apparaître, une nouvelle « structure de plausibilité » commence à émerger. Cette approche permet d’entrevoir la portée des processus en cours.

Ainsi, du cœur même de la culture paroissiale, un mouvement apparaît et se développe. Conscient des obstacles rencontrés, il adopte une double stratégie. En effet, dans certains lieux, l’institution commence à être perméable au changement. Ainsi certaines paroisses se transforment en communautés.Et, dans le dernier chapitre : « Citoyennes et citoyens en Eglise », Claude Bernard évoque une charte de co-responsabilité élaborée et mise en œuvre dans le diocèse d’Evry. « Dans ce type de fonctionnement collégial, un grand pas est fait en ce qui concerne le partage des responsabilités. Les conseils (pastoraux, des affaires économiques » n’ont beau être que des conseils, ils ont leur poids pour influencer le prêtre responsable dans une prise de décision. Sauf cas rare, le prêtre ne prendra pas une décision refusée par son conseil » (p.197).

Mais une seconde stratégie est clairement explicitée. C’est le développement de communautés nouvelles différentes des paroisses et dans lesquelles il est possible de « faire église autrement ». Le fondement évangélique est évoqué : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mat 18.20).

Cette vision, dans la double démarche à travers laquelle elle se manifeste, est appelée à s’inscrire de plus en plus dans une dimension œcuménique, dans le mouvement des églises tel qu’il apparaît à l’échelle mondiale. La structure collégiale présente dans certaines églises leur a donné une grande capacité d’innovation. Et, par exemple, le pastorat féminin a pu se développer dans de tels contextes.

Et par ailleurs, lorsque les auteurs de ce livre encouragent la constitution de communautés chrétiennes innovantes, et, dans un premier temps, éventuellement autonomes par rapport au cadre traditionnel, ils rejoignent ainsi la vision de l’Eglise émergente (14). Ici, les frontières dénominationnelles sont traversées et dépassées. Là où les églises sont capables de se remettre en cause et de discerner le mouvement de l’Esprit, de nouvelles configurations apparaissent comme l’acceptation d’une « économie mixte » où église classique et église émergente se reconnaissent dans leur spécificité et peuvent donc collaborer. C’est le cas en Grande-Bretagne grâce à l’ouverture dont a fait preuve l’Eglise anglicane. Les auteurs de ce livre pourront donc entrer en relation avec des expériences analogues dans d’autres contextes ecclésiaux. Et, à l’intérieur même du contexte catholique, ils pourront dialoguer avec d’autres cercles qui, à partir d’autres positionnements, commencent à s’interroger. On pense à tous ceux, et ils sont nombreux, qui s’impliquent dans de nombreux services et de nouveaux ministères dans l’église classique (15). Au delà, chez tous ceux qui gardent la foi, mais qui ne sont plus en phase avec l’église institutionnelle, de nouvelles manières de faire église se cherchent en tâtonnant à travers rencontres et relations. Là aussi, il y a une évolution en cours, un champ d’observation et de mission pour les auteurs de ce livre (16).

Cette recherche s’inscrit ainsi dans un mouvement plus général. Elle est appelée à se poursuivre et à ouvrir des ponts. Elle apporte des « pierres pour construire ». Ainsi, il y a bien « du neuf chez les cathos ». C’est une bonne nouvelle.

Jean Hassenforder

(1) Kung (Hans). Le christianisme. Ce qu’il est et ce qu’il est devenu dans l’histoire. Seuil, 1994. Cette histoire expose remarquablement les différentes étapes du christianisme et notamment « le paradigme catholique romain médiéval ». L’histoire de la chrétienté et les enseignements qu’on peut en tirer à notre époque de post-chrétienté sont exposés d’une façon originale dans : Murray (Andrew). Post-Christendom. Church and mission. Paternoster, 2004. Sur ce site : ** Lire « Faire Eglise en post-chrétienté »  **.

(2) Hervieu-Léger (Danièle). Le pèlerin et le converti. Religion en mouvement. Poche Champs Flammarion. Publié il y a une dizaine d’années, ce livre reste une référence majeure sur l’impact du changement culturel sur le champ religieux. Sur ce site : ** Lire « L’autonomie croyante. Questions pour les églises » **

(3) Voir sur ce site :
** Lire « La messe dominicale. Une figure qui s’épuise » **
** Lire « Les espaces socio-religieux en France » **
** Lire «L’émergence d’un nouveau paysage religieux en France » **

(4) Sociologue et prêtre catholique australien, Gérard Arbuckle analyse les modalités du changement dans l’Eglise catholique après le Concile Vatican II, mettant en évidence les obstacles rencontrés : Arbuckle (Gerald A). Refonder l’Eglise. Dissentiment et leadership. Bellarmin, 2000. Une lecture toujours actuelle.

(5) La mutation de l’organisation du diocèse de Poitiers, d’un territoire paroissial hiérarchisé à un  tissu de communautés gérées par leurs membres, est une innovation radicale et de grande ampleur, qui doit son existence à une initiative persévérante de l’évêque du lieu, Albert Rouet. Plusieurs livres ont été publiés sur cette innovation, notamment : Rouet (Albert), Boone (Eric), Bulteau (Gisèle)Un goût d’espérance. Vers un nouveau visage d’Eglise II. L’expérience des communautés locales à Poitiers. Bayard, 2008. Sur ce site : ** Lire « Une dynamique de la confiance. L’expérience des communautés locales à Poitiers » **

(6) Sur ce site : ** Lire « Chrétiens en forum. Quelle dynamique ? Quelle perspective ? » **. Les actes des Etats généraux du christianisme : Les Etats Généraux du christianisme. Notre époque a-t-elle besoin de Dieu ? Presses de la Renaissance.  2010.

(7) Du neuf chez les cathos. Des communautés se libèrent. Golias, 2010.

(8) Faire Eglise autrement. Un monde autre, des communautés autres. Hors Série, Parvis, N°13, 1er semestre 2005. Sur ce site, une présentation de ce travail et de cette dynamique : ** Lire « Un monde autre. Des communautés autres » **.

(9) Delumeau (Jean). Un christianisme pour demain. Hachette Littérature, 2005. Sur ce site : ** Lire « Guetter l’aurore » **.

(10) Sur ce site : **Lire « Crise de l’institution catholique » **.

(11) Sesboüé (Bernard). La théologie au XXè siécle et l’avenir de la foi. Entretiens avec Marc Leboucher. Desclée de Brouwer, 2007. Sur ce site, un essai de mise en perspective socio-culturelle de ce mouvement : ** Lire « La théologie catholique dans une église en crise. Une contribution de Bernard Sesboüé » **.

(12) Rouet (Albert). J’aimerais vous dire. Entretien avec Denis Gira. Bayard, 2009.  

(13) Berger (Peter), Luckmann (Thomas). Construction sociale de la réalité. Méridiens Klincksieck, 1994.

(14) Sur ce site : ** Lire  « Le courant de l’Eglise émergente. Dix ans de recherche » **.

(15) Béraud (Céline). Prêtres, diacres, laïcs. Révolution silencieuse dans le catholicisme français. PUF, 2007. Ce livre met en évidence une évolution sous-jacente des rôles. Sur ce site : **Lire  « Le changement du paysage religieux en France » **.

(16) Cette situation est analysée par Cécile Lérebours Entremont dans une thèse dont on trouvera, sur ce site, le rapport de soutenance : ** Lire« De l’intériorité à l’altérité. Evolution de petits groupes d’adultes aux frontières de l’église. » **.

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