Pour essayer de faire en sorte que notre vie aille dans le sens de ce que Dieu désire pour nous, plusieurs possibilités s’ouvrent alors… Attendre que Dieu nous montre clairement et spécifiquement ce qu’il veut de nous, mais comment savoir ? Ou alors aller de l’avant selon nos propres idées, mais comment laisser sa part à Dieu ? C’est probablement entre ces deux positions plutôt radicales que se trouve la juste voie, mais la question est posée. Comment discerner la volonté de Dieu pour nos vies ?
On parle parfois du silence de Dieu. C’est vrai, il est facile d’avoir l’impression que Dieu est absent et qu’il ne répond pas lorsqu’on lui demande de nous aider ou de montrer quel choix réaliser. On parle moins souvent de la surdité des hommes. Pourtant quand Dieu veut nous parler, il est fondamental de savoir l’écouter et discerner ce qu’il veut nous communiquer. Au fond, la recherche de la volonté de Dieu n’est-elle pas d’abord recherche de Dieu lui-même ? C’est ce que Saint Anselme de Canterbury, il y a presque mille ans, écrivait déjà dans un texte intitulé : Pas à pas vers ton Dieu » :
« Seigneur mon Dieu, enseigne à mon cœur où et comment te chercher, où et comment te trouver. Seigneur, si tu n’es pas ici, où te chercherais-je en ton absence ? Et si tu es partout, pourquoi ta présence m’est-elle invisible ? Certes, tu habites une lumière inaccessible. Mais où est-elle, cette lumière inaccessible ? Qui donc m’y conduira et m’y introduira pour que je t’y voie ? Et puis, à quels indices, sous quels traits te chercher ? Je ne t’ai jamais vu, Seigneur mon Dieu, je ne connais pas ton visage. Que peut faire ton serviteur tourmenté de ton amour et rejeté loin de ta face ? Il aspire à te voir, et ta face est trop éloignée de lui. Il désire t’aborder et ta demeure est inabordable. Il souhaite te trouver et il ne sait où tu es. Il ambitionne de te chercher, et il ignore ton visage. Seigneur, tu es mon Dieu, tu es mon maître, et je ne t’ai jamais vu. Tu m’as créé et recréé, tu m’as pourvu de tous mes biens, et je ne te connais pas encore. Bref, j’ai été créé pour te voir, et je n’ai pas encore réalisé ce pour quoi j’ai été créé. Enseigne-moi à te chercher et montre-toi quand je te cherche ; car je ne puis te chercher si tu ne me l’enseignes, ni te trouver si tu ne te montres. En mon désir, puissé-je te chercher, et, dans ma recherche, te désirer ; dans mon amour, puissé-je te trouver et, en te trouvant, t’aimer. »
Comprendre la volonté de Dieu c’est d’abord comprendre qui est Dieu. Si nous voyons en Dieu un Père qui joue à cache-cache, chercher la volonté de Dieu devient un impossible jeu de piste. Si nous voyons en Dieu un rabat-joie, chercher la volonté de Dieu revient à se soumettre à des règles qui nous éloignent de tout épanouissement. Mais Dieu est un Dieu d’amour et de liberté, et sa volonté ne peut que lui ressembler.
Il y a de nombreux textes dans la Bible qui évoquent la volonté de Dieu. A chaque fois, la volonté de Dieu est associée à quelque chose de positif. Voici quelques-unes de ces paroles tirées des Evangiles ou des épîtres :
« La volonté de mon Père [dit Jésus], c’est que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle » (Jean 6.40).
« Ne vous conformez pas au siècle présent [dit l’apôtre Paul] mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait » (Romains 12.2).
« Réjouissez-vous toujours, priez sans cesse, rendez grâce en tout : telle est envers vous la volonté de Dieu dans le Christ Jésus » (1 Thessaloniciens 5.17-18).
« [Et l’apôtre Jean d’écrire :] Celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour l’éternité » (1 Jean 2.17).
Ces quelques paroles nous montrent que la volonté de Dieu peut se comprendre à plusieurs niveaux. Tout d’abord, la volonté de Dieu, c’est que nous soyons sauvés. C’est ce que Jésus dit lui-même : « la volonté de son Père, c’est que nous ayons la vie éternelle ». C’est ce que Paul confirme dans l’épître aux Ephésiens notamment : « Dieu, selon le bon plaisir de sa volonté nous a prédestinés dans son amour à être ses enfants d’adoption par Jésus-Christ ». Ce que Dieu veut le plus nous concernant, c’est que nous acceptions le salut qu’il nous offre. Au fond, le diagnostic est clair : dans ce monde les hommes sont le plus souvent déconnectés de Dieu. Or le premier niveau de la volonté de Dieu, c’est que chacun puisse se reconnecter avec lui. Souvent lorsque nous évoquons la volonté de Dieu, nous rentrons très vite dans des débats de détails en oubliant que l’essentiel, ce que Dieu veut d’abord, c’est qu’il soit une réalité présente dans notre vie, une réalité de salut, une acceptation de sa grâce !
Si la première intention de la volonté de Dieu concerne notre salut, offert gratuitement et l’espérance que cela génère, l’étape suivante concerne la transformation que la présence de Dieu va générer dans nos vies. Si Dieu nous aime et nous sauve tels que nous sommes, il ne souhaite pas que nous restions ainsi mais que dans un chemin de croissance spirituelle et personnelle, nous parvenions « à l’état d’homme fait, à la mesure de la stature parfaite de Christ ». Ce que Dieu veut, c’est que jour après jour nous nous laissions transformer par lui. C’est ce qu’exprime si bien l’apôtre Paul dans ce verset de Romains 12 : « Ne vous conformez pas au siècle présent, mais soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence afin que vous discerniez la volonté de Dieu ». Il n’y a pas là de recommandations précises quant à un rejet du monde environnant, de tout ce qu’il nous propose ou nous impose. Mais nous sommes invités à avoir un regard responsable et lucide pour faire des choix adaptés. Or choisir avec justesse implique que d’abord nous nous laissions transformer jusque dans l’intimité de notre être par le Christ. Que nous le laissions renouveler notre intelligence, c’est-à-dire la partie la plus intérieure de notre être. Qu’au fond, l’image de Dieu, avec laquelle nous avons été créés, ne soit pas voilée mais restaurée.
Si Dieu veut d’abord notre salut, s’il veut aussi transformer nos cœurs, Dieu va-t-il jusqu’à avoir une volonté précise concernant certains choix de vie ? Par exemple, devons-nous attendre des réponses précises et détaillées de la part de Dieu quant à la profession que nous devons exercer, la personne que nous pouvons épouser, le lieu où Dieu veut que nous habitions, le type de relations que nous pouvons développer… Le risque est triple de penser ainsi. D’abord, où mettre la limite entre les choix importants et les choix accessoires ? Si Dieu m’invite à faire tel choix d’études, ira-t-il jusqu’à m’indiquer la couleur des habits que je dois porter ? Deuxièmement, comment connaître avec certitude cette volonté de Dieu ? Et à vouloir attendre que cette volonté s’exprime d’une manière ou d’une autre, ce sont les circonstances de la vie qui risquent finalement de nous servir de guide. Enfin, troisièmement, qu’en est-il de ma liberté ? Si Dieu est véritable présence dans ma vie ; si Christ me transforme au quotidien ; si le Saint-Esprit me guide, n’ai-je pas tout ce qu’il me faut pour faire des choix qui soient conformes à la volonté de Dieu ? C’est Dieu notre créateur, et il ne nous a pas créés comme des pantins entre ses mains, mais comme des êtres intelligents, responsables et libres. Laisser Dieu nous dicter le moindre de nos choix, ce serait ne pas utiliser tout le potentiel que Dieu a mis en chacun de nous. Si nous avons la capacité aujourd’hui de faire des choix dans la lignée de ce que Dieu veut, c’est à lui qu’en revient l’honneur et la gloire, parce que c’est lui qui nous a créés à son image.
Le verset de Romains 12 nous dit : « Soyez transformés par le renouvellement de l’intelligence, afin que vous discerniez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, agréable et parfait ». Voilà une précision intéressante et importante : la volonté de Dieu, c’est quelque chose qui est bon, agréable et parfait. Est bon ce qui est emprunt de bonté, donc de respect, et de confiance. Est agréable ce qui est source de joie, preuve que Dieu souhaite notre épanouissement. Est parfait ce qui va dans le sens de l’excellence, de donner le meilleur de soi. Autrement dit, la démarche première est de laisser Dieu nous transformer, nous renouveler ; mais à partir de là, si ce que je choisis d’être et de faire est bon, agréable et parfait… alors je suis dans la volonté de Dieu.
Vivre la volonté de Dieu est finalement un véritable acte de foi à double sens, de la part de Dieu et de notre part. Dieu nous fait confiance et pense que par sa puissance créatrice toujours à l’œuvre, nous pouvons assumer des choix qui soient conformes à sa volonté. De même nous pouvons faire confiance à Dieu pour que sa présence transformatrice pénètre en nous et soit le gage que nos choix vont dans le sens de sa volonté. Bien sûr, il peut sembler qu’il y ait comme une ambigüité. Faire la volonté de Dieu, c’est finalement compter sur soi ou sur Dieu ? Or les deux vont de pair à partir du moment où Dieu est en moi.
Il va alors être important de mettre en œuvre un certain nombre de critères qui vont pouvoir permettre de vérifier que les choix que je fais sont véritablement inspirés et conformes à la volonté de Dieu. Je vous en propose cinq. Aucun de ces critères n’est en soi suffisant, mais ils peuvent ensemble venir confirmer ce que nos cœurs remplis de l’Esprit nous ont amenés à choisir. Ils peuvent être comme des balises au cours de notre cheminement de vie pour vérifier que nous sommes sur une voie désirée et appréciée par Dieu.
Tout d’abord, ce que je fais, ce que je choisis, est-il en conformité à la Bible ? Si la révélation de Dieu n’a jamais de fin et qu’il continue de bien des manières aujourd’hui à se faire connaître à nous, la Bible est un fondement sûr et solide, fiable et important, qui exprime ce que Dieu veut pour ceux qu’il aime. Rechercher la volonté de Dieu, ce n’est pas forcément avoir des réponses toutes faites, mais bel et bien être dans une dynamique de vie des valeurs de Dieu qui nous sont présentées par sa parole dans la Bible. Dieu nous a donné des commandements, des directives, des exemples à suivre. La loi de Dieu est d’ailleurs appelée à être notre pédagogue sur le chemin de relations d’amour vis-à-vis de Dieu, des autres, et de soi.
Deuxièmement, ce que je fais, ce que je choisis, est-il source de paix ? A l’aube du choix, nous sommes parfois tourmentés, dans l’hésitation, et c’est bien normal et il faut prendre son temps pour les choix importants, il faut peser les avantages et inconvénients de chaque possibilité qui s’offre à nous. Mais une fois le choix réalisé, un signe de la volonté de Dieu sera cette paix intérieure d’être sur la bonne voie.
Troisièmement, on peut s’interroger sur les circonstances. Les événements vont-ils dans le sens d’une confirmation de nos choix, ou au contraire, les circonstances semblent-elles mettre des freins aux orientations que nous avons prises. Certes, les difficultés et les obstacles à franchir font partie de la vie, et la persévérance est une qualité indispensable notamment dans la vie chrétienne. Mais un regard attentif aux circonstances de vies qui accompagnent nos choix peuvent contribuer à nous faire discerner la volonté de Dieu.
Quatrièmement, la prière est évidemment un critère à prendre en compte. Sans entrer dans un débat sur la manière dont Dieu répond à nos prières, confier nos aspirations à Dieu dans un dialogue fructueux contribuera à n’en pas douter à nous aider à y voir clair.
Enfin, cinquièmement, dans notre recherche de la volonté de Dieu, les conseils et la confirmation de nos proches ne seront probablement pas inutiles. Si Dieu est présence dans ma vie, il peut bien sûr aussi l’être chez ceux qui m’entourent, et Dieu peut me guider par eux, comme Dieu peut les guider par moi. Il ne s’agit pas de prendre pour parole divine tout ce que les uns et les autres viendront à me dire, mais bien de savoir écouter avec sagesse et discernement ce qu’il peut y avoir de bon dans les avis de ceux qui comptent pour moi, de ceux en qui j’ai confiance.
Discerner la volonté de Dieu, ce qui est bon agréable et parfait, est au fond l’expression d’une vie à l’écoute de Dieu. Or entendre la voix de Dieu est quelque chose de très personnel. C’est aussi quelque chose qui se fait au présent, dans une relation dynamique avec Dieu où les choses ne sont pas écrites d’avance et figées. Entendre la voix de Dieu, c’est aussi intangible, et donc le fruit d’une recherche qui ne cesse jamais, d’une quête toujours alimentée par le souffle créateur de l’Esprit, par une adéquation à celui qui est le chemin : Jésus-Christ.
Dans le Notre-Père, Jésus nous invite à prier entre autres : « Que ta volonté soit faite ». Cette demande implique de notre part une attitude spirituelle d’ouverture, de lâcher prise, de confiance, mais aussi de responsabilité. Prier : « Que ta volonté soit faite », ce n’est pas attendre que fatalement, ce que Dieu veut se réalise, à notre insu ou contre notre gré. Prier : « Que ta volonté soit faite », c’est l’invitation que Jésus nous fait de fondre notre volonté dans celle de Dieu. Que nos désirs soient ceux de Dieu. Que notre pensée soit inspirée par lui. Que nos choix soient conformes à l’esprit de ce que Jésus a accompli quand il était ici-bas. En effet, « Que ta volonté soit faite », c’est ce que Jésus lui-même au moment de la Passion va incarner en disant : « S’il n’est pas possible que cette coupe passe sans que je la boive, alors que ta volonté soit faite ». Jésus veut positivement ce que son Père veut et il contribuera à la réalisation de cette volonté. Il a ainsi ouvert la voie pour chacun de nous.
Vivre la volonté de Dieu, c’est assumer des choix, pas toujours faciles, mais qui contribuent à la joie de Dieu, et donc à la nôtre. Ceux qui jouent parfois avec les mots en souhaitant non seulement que la volonté de Dieu soit faite (F A I T E), mais qu’elle soit aussi une fête (F E T E), ont raison. Dieu souhaite que notre vie soit festive, pleine de passion, quelque chose qui nous épanouit. Un père – et une mère bien sûr – ne peuvent que se réjouir quand leurs enfants ont intégré tout ce qu’ils leur ont transmis au point qu’ils volent de leurs propres ailes avec joie et sérénité. Il en est de même pour Dieu, notre Père. Etre enfant de Dieu, c’est savoir qu’il nous a créés, savoir qu’il est notre Sauveur, savoir qu’il est notre guide, savoir qu’il demeure une présence active, mais aussi assumer la confiance qu’il nous fait de voler de nos propres ailes, et finalement de faire nos propres choix, mais qui soient des choix en harmonie avec sa volonté. Ainsi, nous pourrions adopter sans réticence l’axiome de Rabbi Yehoudâh, (vers le début du IIIe siècle après JC) : « Sois fort comme un léopard, léger comme un aigle, rapide comme une gazelle et vaillant comme un lion, pour faire la volonté de ton Père du ciel » (Mishnah, Abot, V, 20).
Gabriel Monet