C’est le titre d’un ouvrage dans lequel Sandra Bévillard montre avec un regard positif comment, face à la crise de la société et de la culture, émerge une nouvelle culture de la jeunesse (l’ouvrage est publié aux éditions de la Chronique Sociale) .
C’est en 1995, avec les succès du film la Haine et de quelques rappeurs comme MC Solaar, que le hip-hop est devenu un véritable phénomène de société. Cette culture de crise exprime le désarroi, les angoisses et les révoltes, les attentes et les espoirs des banlieues ; l’accent est souvent mis sur les relations difficiles entre la jeunesse et les institutions. Cette culture de crise est l’expression de la crise qui touche les institutions et les valeurs traditionnelles telles que la morale, l’amour, la morale, la justice et la solidarité. Notre société n’a plus de référence collective ; elle est marquée par l’absence de fondations. Les “ soixante-huitards ”, par l’agression et la négation avaient une position ; par le silence ils ont légué le vide, sans références La famille, la religion, le travail ne fournissent plus de repères normatifs.
La société ne semble plus capable d’inclure les marginaux, les minorités, les chômeurs ou les jeunes. Beaucoup sont exclus. Le jeune cristallise l’angoisse. L’étranger plus encore. Le jeune immigré la porte à son paroxysme. Certains quartiers de nos villes ont connu des explosions de violence, mais bien plus encore connaissent la violence au quotidien. ; cette violence cherche à gagner un peu d’attention et de reconnaissance sociale. Puisque le désordre est inévitable , il faut le voir, selon S. Bévillard comme nécessaire et fécond en lui superposant l’idée d’enthousiasme et de renouveau. Par le hip-hop les jeunes ne subissent plus une situation de précarité, la galère, mais ils tentent de la changer et deviennent acteurs. Il s’agit de réaliser pour se réaliser : l’individu vient à créer lui-même et cherche à faire de la rue, du quartier un lieu de vie et d’épanouissement.
Cette créativité du hip-hop se manifeste dans le rap, diction mi-parlée, mi-chantée, mais aussi par le tag et le graff pour ce qui est du graphisme. Certains jeunes cherchent l’excellence au niveau de danses comme la danse au sol, le smurf, ou dans des acrobaties avec les rollers ou le skate (planche à roulettes) ; d’autres se sont fait connaître récemment par des bonds prodigieux, leur permettant de se jouer de l’espace au sein de leur quartier. S. Bévillard explique que l’on peut parler d’un “ université populaire ” car entre les premiers tags d’un individu entre 11 et 15 ans (c’est sa signature) et le graff (les graffeurs ont souvent 17-18 ans) qui allie lettrages et personnages, il y a l’étape du troop où le graphisme se perfectionne, la couleur jaillit sur des supports moins provocants, comme les ponts, murs et palissades le long des voies ferrées. Cet apprentissage est un élément qui permet de parler de culture hip-hop.
Culture convient aussi au mouvement hip-hop car il participe à la recréation de normes, de valeurs. En complément à un sentiment de refus et à un goût pour la provocation, existe un vrai fondement d’attitudes positives :
– le défi : il s’agit de se révéler comme le meilleur possible, de rechercher la perfection. Le défi n’est pas un esprit de compétition ; il est plutôt vu comme un moyen de détourner les luttes violentes et l’idéologie de la réussite dans un engagement constructif ;
– le respect : il occupe une place centrale dans le mouvement. Son attention se porte vers autrui et, avant tout vers les exclus et les minorités ;
– le fresh : l’esprit “ fresh ” est caractérisé par une attitude avenante, tolérante. Le plaisir d’être ensemble est préféré à la violence. Le freshman est le débrouillard plein d’énergie qui sait se faufiler entre les problèmes et adopte une attitude positive de vie malgré les difficultés.
– la non-violence : le rap, la danse ou les graffs ont pour objet de résoudre les conflits plus efficacement que la violence et de préserver la force et la dignité ;
– l’anti-racisme : le hip-hop ne nie pas les différences entre les individus mais refuse tout jugement de valeur en les plaçant sur un plan égalitaire. La principale question est la lutte contre les intolérances et les extrémismes.. La perception des différences comme un richesse se manifeste par un important métissage culturel.
Par réaction à l’individualisme, les jeunes se constituent en bandes, non seulement pour se forger une nouvelle identité, mais surtout pour créer un nouveau groupe de solidarité sur fond de désert social et de rapports de force. L’auteur explique qu’aujourd’hui on parle plus de tribus car les groupes de jeunes ne s’organisent plus autour d’une hiérarchie, d’un leader ; la tribu est basée sur le nous.
En conclusion S. Bévillard montre que la jeunesse s’invente d’autres repères, une nouvelle philosophie. L’art est le premier élément de la vie culturelle susceptible de restaurer le dialogue entre deux mondes qui semblent antagonistes. Il nous faut savoir écouter ; les jeunes d’aujourd’hui seront les acteurs de la société de demain. Alors que l’instabilité s’aggrave, nous sommes appelés à manifester une énergie et une imagination grandissantes, afin d’empêcher que ne se déclenche un engrenage fatal.