Pasteur en Nouvelle-Zélande, Alan Jamieson a pris conscience, dans les années 2000, (1) de la manière dont beaucoup de chrétiens quittaient des églises qui leur paraissaient déphasées. Dans une approche sociologique, il a étudié ce phénomène et l’a fait connaître. Et il s’est investi dans un accompagnement de ces chrétiens en recherche d’une vie de foi plus authentique. Les Editions Empreinte Temps présent viennent de publier un de ses livres : «Chrysalide» (2). Le sous-titre : « “Les métamorphoses de la foi » traduit bien le mouvement de cet ouvrage.
Le texte, en page de couverture, résume, en quelques lignes, l’intention de l’auteur et le cheminement de sa réflexion à travers ce livre : « La chrysalide évoque le processus de transformation de larve en chenille, de chenille en chrysalide et de chrysalide en papillon. Un seul organisme existe ainsi sous différentes formes, fruit de transformations qu’il traverse tout au long de son existence.
Ces métamorphoses radicales sont présentées comme une allégorie du voyage de foi. En effet, ce voyage est, lui aussi, ponctué de mutations profondes qui font grandir. C’est un périple au cours duquel il est facile de se perdre. Les moments de cette crise sont souvent source d’amères déceptions et de profonds découragements. Mais ces chemins ne sont pas sans issue. Les crises de la foi constituent de puissants leviers de changement qui permettent de se détacher du passé et de découvrir Dieu d’une manière nouvelle ».
Les chapitres du livre présentent les étapes successives de ce déroulement : de « grandir » à « fabriquer le cocon » et « lâcher prise », d’« accueillir » et d’« accompagner » à « être » et « voler » jusqu’à une réflexion plus globale et prospective : « voir la globalité », « être stratégique », une « perspective pleine d’espoir »…
Temps de crise
La réflexion de ce livre se développe à partir d’une expérience : celle de l’auteur, qui, au départ, se convertit dans un milieu charismatique, puis devient pasteur d’une église évangélique et traverse une période d’insatisfaction, et aussi l’expérience de beaucoup de chrétiens désenchantés, puis en chemin, qu’Alan Jamieson connaît bien puisqu’il s’est investi dans leur accompagnement.
L’auteur peut ainsi décrire la manière dont ces chrétiens, à un moment donné, ne se retrouvent plus, ne se reconnaissent plus dans leur église et s’en détachent. Et il trouve, pour cela, les mots pertinents : désenchantement ; désillusion ; désengagement ; perte d’identification ; désorientation (p 40-41).
Alors, Jamieson interprète la crise qui en résulte, « la nuit sombre de l’âme », à partir des écrits de personnalités reconnues en terme de spiritualité et de mystique comme Saint Jean de la Croix, Sainte Thérèse d’Avila, Henri Nouwen. Il emploie quatre images pour décrire cette situation : « l’expérience de la chenille entrant dans la chrysalide, la nuit sombre, le désert ou le naufrage. Ces métaphores sont à l’image de nos voyages de foi, uniques et différents pour chacun. C’est pourquoi ces images sont utiles pour nous encourager et nous dire qu’il y a de l’espoir et une nouvelle vie au delà de ces moments » (p 4). Ce livre, et tout particulièrement ce chapitre : « Dans la nuit. Lâcher prise » (p 61-49) est une ressource dans laquelle on pourra venir puiser lorsqu’on est confronté à une crise de cet ordre.
Proposer un nouvel environnement spirituel.
« Il y a de l’espoir », nous dit Alan Jamieson. Et, après avoir posé des jalons pour interpréter la crise à la lumière d’une spiritualité chrétienne, il appelle le développement d’une dynamique d’accompagnement et la création de nouvelles formes d’église pour accueillir les chrétiens qui, ayant traversé cette épreuve, ont acquis une vision nouvelle, plus vaste et plus ouverte. « Pour ceux qui sont ainsi passés « d’une foi chrétienne « pré-critique » à une foi « post-critique », selon un processus décrit et analysé dans le chapitre : « Voir la globalité » (p 133-137), Alan Jamieson propose la mise en oeuvre d’un nouveau genre d’« habitat spirituel », d’un nouvel environnement. « J’ai souvent entendu cette question : « Pourquoi ces personnes ne s’engagent pas dans une église comme elles le faisaient auparavant ? La réponse est simplement que ce dont elles ont besoin pour nourrit leur foi a changé. L’espace où elles puisent leur force et où elles s’engagent s’est considérablement étendu. De plus, leur sens de la loyauté est désormais plus global que localisé en un lieu précis… » (p 139). « Dans mes travaux de recherche », poursuit Jamieson, « j’ai étudié les gens qui ont quitté les églises. A mes yeux, beaucoup sont des « pèlerins » qui cheminent en explorant la christianisme dans des contextes nouveaux. Ces pèlerins ont besoin de trouver des « relais » sur leur route, des lieux de communion où puiser des ressources pour alimenter leur quête de vérité, former leur identité, ou encourager leur recherche de spiritualité et leur envie de s’engager pour changer le monde… Ces notions de « pèlerins » et de « relais » me paraissent cruciales pour l’avenir de l’église » (p141-142).
Si le livre : « Chrysalide » est centré principalement sur l’aspect spirituel des cheminements non conventionnels, l’auteur a évoqué cependant le contexte socio-culturel (p 47-53). En conclusion, il revient sur ce thème en montrant la portée globale de cette évolution. « En effet, le nombre de personnes s’aventurant dans une exploration de la foi au delà du stade « pré-critique » est en augmentation, notamment en raison du changement du contexte social dans des sociétés post-modernes et post-chrétiennes » (p 142). Il évoque un livre de Georges Barna qui estime que, dans une prochaine révolution du christianisme américain, l’église locale ne sera plus le lieu principal de l’expérience et de l’expression spirituelle des chrétiens. Cette prospective s’inscrit tout à fait dans les études en cours sur l’église émergente et notamment sur la recherche sociologique réalisé par Gerardo Marti et Gladys Ganiel dans leur livre : « The deconstructed church. Understanding emerging christianity » (3).
Questions et réponses.
A travers ce livre, Alan Jamieson nous présente la description d’une évolution de la foi en terme d’étapes dans un développement balisé. On peut s’interroger sur cette structuration qui inclut le passage dans une dure épreuve. L’auteur répond à cette objection. Il n’y a pas un seul chemin. « Chaque voyage est unique » (p 18). Et, « comme pour la théorie des étapes de la foi décrite par James Fowler, si l’analogie avec le processus de l’évolution de la chenille en papillon nous aide à mieux appréhender notre propre chemin de foi, elle n’en reste pas moins une image insuffisante pour décrire la variété et la complexité de la foi chrétienne » (p 26). Cependant, il nous paraît bon de souligner que si la crise qui tient une place majeure dans le processus décrit par l’auteur est elle-même liée à une conjoncture socio-culturelle, elle est aussi associée à un contexte socio-religieux, une pratique qui s’inscrit dans une approche évangélique et charismatique avec la théologie qui, à l’époque, irrigue implicitement cette pratique. Si cette théologie peine à prendre en compte toutes les dimensions de l’humain et de l’humanité, alors il n’est pas surprenant qu’il en résulte un déphasage et un dysfonctionnement dans une période de mutation culturelle.
Dans le dernier chapitre : « La maison des papillons. Une perspective pleine d’espoir » (p 148-155), Alan Jamieson esquisse une perspective théologique nouvelle, celle qui met l’accent sur le Royaume de Dieu. Les églises fonctionnant (sur le nouveau modèle) sont des démonstrations du Royaume de Dieu tel que Jésus l’a si souvent évoqué » (p 150). Au delà des relais nécessaires, il appelle à la création de lieux où les différents stades d’expression de la foi puissent se manifester dans un respect et un enrichissement mutuel.
Un message qui fait écho dans le monde d’aujourd’hui.
Ce livre est le fruit d’une expérience et d’une réflexion en Nouvelle-Zélande, dans un pays aux antipodes de la France. Et pourtant, comme nous vivons aujourd’hui dans un monde global, voici un message qui fait écho aux questionnements et aux aspirations de beaucoup de chrétiens à travers le monde. Et donc en France.
A cet égard, la manière dont cet ouvrage a trouvé écho dans notre pays pour y être traduit et publié, est elle-même exemplaire. En effet, cette parution, aux Éditions Empreinte Temps présent, est le fruit d’une initiative personnelle. Dans un avant-propos, la traductrice, Hélène Guilloy, nous raconte « comment elle a découvert la version anglaise de « Chrysalide » et comment elle a été frappée par la richesse, la singularité et la pertinence de ce propos qu’elle n’avait lu nulle part ailleurs… Frappée, mais surtout soulagée, car il donnait enfin du sens au chemin que je parcourais depuis plus de dix ans ». Hélène Guilloy raconte ensuite son itinéraire et la manière dont son expérience et sa recherche ont été éclairées par ce livre qui, à partir d’une description de cheminements comparables, apportait un éclairage stimulant et pacifiant. Ainsi, dans sa traduction, elle a été puissamment motivée par le désir de partager cette ressource avec tous ceux qui en ont besoin.
A tous égards, y compris la qualité et l’accessibilité de cette traduction, ce livre est une réussite. Il va répondre à bien des questionnements, dissiper des angoisses et parfois même apparaître comme une bouée de sauvetage dans une impasse. Ce livre vient se ranger dans les ressources privilégiées pour éclairer la vie spirituelle des chrétiens dans le nouveau monde qui apparaît aujourd’hui.
Jean Hassenforder
(1) Jamieson (Alan). A churchless faith. Faith journeys beyond the churches. London, SPCK, 2002. ** Voir sur ce site ** : « Chrétiens sans église » : A partir des recherches d’Alan Jamieson, des réseaux d’entraide se sont développées : ** Voir sur ce site ** « Chrétiens hors institutions. Un réseau d’entraide » .
(2) Jamieson (Alan). Chrysalide. Les métamorphoses de la foi. Avant-propos du traducteur Hélène Guilloy. Empreinte Temps présent, 2014
(3) Marti (Gerardo), Ganiel (Gladys). The deconstructed church. Understanding emerging christianity. Oxford University Press, 2014. ** Voir sur ce site ** : « Comprendre le christianisme émergent. Une recherche sociologique sur l’église émergente » . ** Voir aussi sur ce site une interview de Gerardo Marti et Gladys Ganiel ** : « Quel avenir pour l’église émergente ? Une approche sociologique ? » :