Guy Aurenche, l’actuel président du CCFD – Terre solidaire, a bien voulu accorder à Témoins une interview sur sa vision des relations internationales. Son approche de chrétien apporte un éclairage pertinent et généreux dans ce domaine et nous l’en remercions.
1° Pouvez-vous nous rappeler votre expérience des relations internationales à travers vos responsabilités successives ?
Ni mon passé familial, ni ma formation professionnelle (avocat) ne m’ouvrait à priori sur les relations internationales. Je les ai découvertes lorsque les deux fondatrices de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) sont venues me chercher pour travailler avec elles contre la torture dans le monde. A cette occasion, j’ai découvert la dynamique des droits de l’homme (Déclaration universelle des droits de l’homme. 10 décembre 1948) comme une étape fondamentale dans l’histoire de l’humanité et comme un moyen de mettre la dignité humaine au centre des relations internationales. Je fais actuellement la même expérience face à la question du développement dans le cadre du CCFD – Terre solidaire (Comité Catholique contre la faim et pour le développement – Terre solidaire).
2° Comment percevez-vous l’évolution du monde au cours de ces dix dernières années ?
La premier changement, c’est l’éclatement de la société mondiale avec la disparition de la bipolarisation Est-Ouest.
Il y a ensuite le début du déclin de l’antagonisme Nord-Sud.
Troisième caractéristique : le déboussolement culturel que provoque la mondialisation et qui suscite des réactions identitaires souvent violentes.
Dernier constat : Malgré de multiples efforts, nous n’avons pas vaincu la réalité de la misère dans le monde.
Le défi N° 1 pour la société contemporaine, c’est de se construire en partenariat et non pas d’abord en concurrence. C’est une question de vie ou de mort.
3° Quelles sont aujourd’hui les priorités dans l’aide au développement ?
A partir de l’expérience du CCFD-Terre solidaire, je vois les orientations suivantes :
a) Approfondir la relation partenariale avec plus de 450 acteurs ou actrices
b) Donner les moyens de favoriser la mise en réseau des acteurs.
c) Bien placer la lutte pour le développement sur un double terrain : politique et anthropologique.
A propos de la politique, c’est redire aux instances nationales et internationales qu’il revient aux autorités politiques de réguler les activités économiques et financières. Le monde est sous la dictature du profit et les responsables politiques doivent s’y opposer. L’activité économique et financière est absolument nécessaire, mais il convient de lui rappeler qu’elle est au service de la communauté humaine et non pas de la réalisation de superprofits au profit de quelques uns.
Sur le plan anthropologique, cela signifie que chaque communauté nationale doit pouvoir mettre en avant les richesses de sa culture et de s’imposer de partager ses valeurs dans un débat international. A titre d’exemple, nous luttons tous contre les traitements inhumains, mais nous ne mettons pas tous les mêmes réalités et les mêmes exigences sur le mot « inhumain ». La politique rejoint l’anthropologie.
4° Comment concevoir aujourd’hui les modalités de l’aide au développement ? Quelle est la politique menée à ce sujet par CCFD -Terre solidaire ?
La politique menée par le CCFD-Terre Solidaire consiste à passer des contrats avec des associations locales du Sud, (dont plus de la moitié n’ont pas de lien avec des églises chrétiennes), pour éradiquer les conséquences de l’injustice (malnutrition, discrimination, problèmes de la santé, absence de formation).
Dans ces contrats, il y a, bien sûr, une aide financière, mais il y a surtout un accompagnement des nombreux partenaires sur plusieurs années. D’où de nombreuses rencontres, des contrôles mutuels, des évaluations, voire des remises en cause.
5° Quelle évolution depuis dix ans dans les flux migratoires ? Quelle évolution dans les politiques d’immigration ? Comment concevoir positivement une politique d’immigration ?
Depuis dix ans, on a constaté une nette augmentation des mouvements migratoires, mais principalement entre les pays du Sud. Aujourd’hui, l’Europe ne reçoit pas plus d’étrangers qu’il y a dix ans. Et pourtant, les mentalités européennes sont de plus en plus crispées et hostiles aux étrangers parce que l’étranger a été utilisé, politiquement voire culturellement comme un bouc émissaire de notre déclin et de nos malheurs.
Pour cette raison, nous pensons que le principe européen de gestion du flux migratoire, qui repose sur un réflexe sécuritaire, doit être abandonné. Il convient de poser le primat de la libre circulation et de l’aménager selon les pays et selon les circonstances, ce qui signifie passer des accords de développement avec les pays d’où part l’immigration et créer une organisation mondiale de l’immigration.
6° Quelle contribution les chrétiens sont-ils appelés à apporter dans la vie internationale ?
Les chrétiens font partie de ces familles spirituelles qui, dès l’origine, ont une vocation à l’universel. Le christianisme, malgré les apparences, n’est lié ni à une culture, ni à une structure politique. Il a toujours eu une vocation à dépasser les frontières. Le chrétien doit donc se sentir pleinement à l’aise à l’époque actuelle de la mondialisation. En même temps, il doit s’engager politiquement, économiquement et culturellement pour que ces nouvelles relations internationales se construisent vraiment dans le dialogue et le respect de l’autre. Pour moi, le récit de la rencontre de Jésus avec la samaritaine (Evangile de Jean 4) est l’illustration de ce que peut être le dialogue entre des communautés humaines et religieuses radicalement différentes.
Interview de Guy Aurenche par Jean Hassenforder. Guy Aurenche est président du CCFD – Terre solidaire.
On lira avec intérêt " Le pari de la fraternité " : Edition de l’Atelier : 2012 : de Guy Aurenche et François Soulage, (respectivement président du CCFD-Terre Solidaire et du Secours Catholique), interrogés par Aimé Savard.
** Lire aussi sur ce site ** « Guy Aurenche. De l’ACAT au CCFD-Terre Solidaire. Le souffle d’une vie ».
** Lire aussi sur ce site ** « Tout homme est une histoire sacrée. Les droits humains au secours de la transcendance ».