En nous proposant la réflexion ci-dessous sur le devenir de l’église, à partir d’une analyse de la situation en Suède, Lina Mandrom et Bengt Wadensjö nous apportent une contribution particulièrement stimulante. En effet, le besoin d’expressions chrétiennes émergentes n’est pas lié seulement au déphasage des modes de fonctionnement des institutions traditionnelles. Il est appelé également par l’inadaptation des formulations aux mentalités contemporaines.
Les représentations correspondant aux conditions de vie des siècles passés ne sont plus signifiantes et évocatrices aujourd’hui. Et de même, la grande mutation du monde nous appelle à un nouveau regard, plus universel, plus généreux, plus inclusif.En regard,Lina Mandron et Bengt Wadensjö esquissent de nouvelles orientations théologiques sujettes à débat. Nous appelons les lecteurs de ce texte à exprimer leurs points de vue
Semper reformanda. En marche vers une spiritualité chrétienne et contemporaine.
Pour alimenter la conversation sur une « nouvelle vie » émergent dans la tradition chrétienne et dans les églises, nous aimerions partager quelques expériences vécues dans le contexte suédois.
7% des suédois ont expérimenté que Dieu leur parlait. La même proportion de personnes ont vu un ange. 1/3 d’entre eux ont eu une précognition. Et même davantage de Suédois croient en la réincarnation. 82% d’entre eux croient que la science n’a pas toutes les réponses.
Dans les églises le déclin dans la participation à la vie paroissiale est souvent considéré, par les membres actifs, comme un signe d’indifférence spirituelle. Mais ce déclin ne serait-il pas du moins à un intérêt limité pour les sujets spirituels que dans l’incapacité des églises de reconnaître la spiritualité dans ses expressions contemporaines ?
En Suède, plusieurs grandes enquêtes sur la conception du monde dans ce pays, ont été réalisées par le centre d’analyses du monde contemporain, la plus importante en 2009.
Les résultats montrent que les suédois et les églises en Suède tendent à vivre séparément leurs vies spirituelles, parce que fondées sur des conceptions du monde très différentes. La théologie de la plupart des églises suédoises est enracinée dans une conception du monde datant de la période allant du IV° et XVI° siècle, affirmant la séparation entre l’esprit et la matière et induisant une anxiété existentielle. Dans cette perspective il devient essentiel de montrer comment Jésus réconcilie le ciel et la terre dans son propre corps et comment on peut compter sur un Dieu miséricordieux pour le pardon des pêchés.
Pour la plupart des Suédois d’aujourd’hui les concepts de la plupart des églises suédoises ne veulent pas dire grand chose. Leurs expériences spirituelles et leur conception du monde ne correspondent pas aux doctrines du IV° au XVI° siècle.
Notre conclusion est que les gens ne sont pas moins spirituels aujourd’hui que dans le passé mais que cette spiritualité, dans une grande mesure, s’exprime en dehors des églises, et que, en regard, ces églises continuent de cultiver une attitude d’indifférence et/ou de supériorité.
En vue d’explorer une spiritualité chrétienne postmoderne en émergence et de diminuer le fossé entre la vie spirituelle à l’intérieur et en dehors des églises, nous présentons quelques propositions pour réviser les croyances et pratiques traditionnelles. Nous désirons mettre l’accent sur une dimension universelle et holistique dans la tradition chrétienne qui, nous le croyons, est davantage capable de répondre à la demande spirituelle de notre époque.
Globalisation, nouveau prérequis pour les rencontres entre religions
En conséquence de la globalisation et de l’individualisme caractérisant notre époque, les gens de fois et de cultures différentes dialogues et s’influencent les uns les autres d’une façons beaucoup plus approfondies qu’auparavant. Comme chrétiens nous découvrons des similitudes par rapport aux enseignements de Jésus dans d’autres traditions de foi, par exemple le bouddhisme. Aujourd’hui nous avons besoin de développer une attitude inclusive et non pas exclusive à l’égard des autres religions.
C’est une attitude enracinée dans l’histoire biblique, par exemple la rencontre des Israélites avec la spiritualité égyptienne ou l’influence grecque dans les premières communautés chrétiennes.
Nous avons besoin d’un regard sur Jésus qui s’inscrive dans une perspective inclusive et ainsi de le découvrir avec des yeux nouveaux. Quelle est la signification de Jésus comme premier humain ? Comment Jésus est-il compris dans d’autres traditions de foi ? De son temps, la perception de Jésus n’était pas homogène ; était-il un rabbin, un prophète ou le fils de Dieu ? Nous avons besoin de développer une Christologie qui permette une missiologie généreuse. Inviter les gens à devenir disciples de Jésus implique de les éveiller sur ses enseignements concernant le royaume de Dieu. Confesser sa foi en Jésus Christ, c’est croire dans le royaume, objectif commun et source de motivation pour la communauté humaine.
Que chacun d’entre nous comme nous tous ait été créé comme une créature de Dieu implique un profond respect pour les autres religions et cultures. Nous avons besoin d’affirmer à nouveau que l’univers spirituel est un et source commune de toutes les religions, que les traditions de foi sont des manifestations d’un règne spirituel. Dieu se révèle dans le cœur de l’être humain et ne se contient pas définitivement dans un dogme religieux. Différentes compréhensions du divin peuvent chacune être bonnes et une confession de foi qui ne correspond pas à mes propres besoins doit être respectée.
Aujourd’hui nous avons la possibilité de ne pas nous approcher de Dieu dans une perspective de crainte mais avec une joyeuse curiosité. La bonne nouvelle de Jésus Christ est pertinente que jamais, comme une vision universelle et inclusive de notre commune unité, alimentant une culture de non violence et de réconciliation sur la terre.
Le besoin d’expressions théologiques plus amples et plus profondes
La grandeur, la diversité et l’évolution sont les caractéristiques de l’univers. Mais si l’univers est décrit en des termes d’une telle dimension, alors Dieu ne peut pas être nommé en des termes plus étroits. Ce serait une erreur de logique et d’imagination ! Alors pourquoi cultivons-nous un langage aussi réducteur pour parler du divin ? Pourquoi dans les rites chrétiens mettons-nous sans cesse l’accent sur une représentation de Dieu comme mâle, père ou roi ?
Nous avons besoin d’un langage plus riche, nous avons besoin de retrouver la diversité et la profondeur des images présentes dans la Bible et qui ont été méconnues dans l’histoire de l’église. Nous avons besoin de parler Dieu en tant qu’Esprit, un flux de miséricorde et d’amour au delà de toute confession. « Dieu est esprit et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité » dit Jésus. Nous avons aussi besoin d’affirmer la dimension féminine de Dieu. Dans l’ancien testament, l’esprit saint est un nom qui renvoie aux caractéristiques féminines de Dieu. Le mot hébreu traduisant esprit, Ruach, est un terme féminin avec des connotations physiques qui diffèrent des connotations masculines et éthérées du spiritus sanctus. Dans l’ancien testament, Dieu est nommé et célébré dans la chair. Nous avons besoin de redécouvrir la dimension physique du divin, présente dans l’ancien testament, mais négligée dans le nouveau testament et dans une bonne part de l’histoire de l’église.
Dieu peut être décrit comme mère et père, comme enfant et comme parent. Dieu existe dans une dimension de mystère comme au profond de l’histoire. Dieu est au-delà de tous les mots et Il est là encore dans toutes les créatures et formes de vie. Dieu est à la fois transcendant et immanent. C’est une perspective panenthéiste. Non pas le théisme (qui signifie que Dieu est en dehors d’ici), ni l’athéisme (qui signifie qu’il n’y a de Dieu nulle part). C’est l’expérience de Dieu comme fondement de l’être. Tout est en Dieu.
L’être humain est créé à l’image de Dieu, et en conséquence il y a en chacun une empreinte de Dieu. Nous ne sommes pas seulement des créatures, mais des créateurs. Nous avons besoin aujourd’hui d’une vision de l’être humain qui le considère comme un être multidimensionnel en union avec la force de vie qui l’environne. C’est une perspective que nous retrouvons dans l’ancien testament et qui a été négligée jusqu’ici. Aujourd’hui, elle est davantage présente à l’est du monde. Le yoga, la médecine chinoise et le reiki sont des approches qui peuvent inspirer les chrétiens dans la redécouverte de l’anthropologie holistique de la Bible.
Nous avons besoin de théologies qui soient constructives et holistiques et qui n’opposent pas l’esprit et la matière, la lumière et les ténèbres, mais qui unissent et réconcilient. Cela signifie qu’une théologie pertinente et fiable ne doit pas dénier l’existence du chaos et de la destruction comme faisant partie de la réalité. « Quand Dieu est à mon côté, je suis heureux et en sécurité », est une croyance erronée. « Viens à Jésus et tout ira bien » n’est pas une croyance constructive. Après Auschwitz nous ne pouvons plus chanter « il n’y a jamais eu de peine comparable à Jésus ». Nous ne devons pas dénier les forces de destruction mais toujours les éclairer en vue d’apporter guérison et transformation.
Mais nous avons besoin de donner une nouvelle interprétation du message de la réconciliation. Les gens ne trouvent pas de réponses à leurs questions dans une église enfermée dans le vieux contexte du pêché, de la punition et du pardon. Nous avons besoin, aujourd’hui, de prêter attention à de nouvelles représentations du salut comme paix et harmonie. Nous avons besoin d’affirmer que le baptême est un don de Dieu et non un prérequis pour le salut éternel, que Dieu ne laisse pas ceux qu’Il a créé à son image s’enfoncer dans l’abîme du mal, qu’on devrait ouvrir l’eucharistie à tous ceux qui aspirent à une communion au Christ, qu’ils soient baptisés ou non.
La religion a besoin d’être inspirée par la science mais ne doit pas en dépendre comme d’un nouveau dogme. La science nous raconte l’histoire d’une évolution qui a duré 14 milliards d’années. C’est une grande épopée dans laquelle le récit chrétien a sa place spécifique. L’histoire de l’évolution qui nous est décrite par la science est une histoire qui résonne profondément avec l’imaginaire biblique.
Le thème développé par la pensée johannique qui nous propose un Christ cosmique qui englobe tout est une grande source d’inspiration pour notre temps. L’incarnation comme invitation à une recherche continuelle de réconciliation par rapport à la séparation dualiste entre la matière et l’esprit en est une autre. Enfin, l’image paulinienne du corps de Christ, avec son affirmation de la diversité dans l’unité, d’individualité dans la communauté, nous invite à nous relier les uns aux autres d’une manière telle qu’en même temps soit conjuguée l’unicité de notre être individuel et notre être en relation.
L’église en besoin d’une nouvelle vitalité
A l’intérieur des églises nous avons besoin d’avancer dans le dialogue et d’être sérieux dans notre foi. Nous prêchons le salut et la libération et cependant tant de chrétiens ont une attitude de peur et de jugement, et non une attitude d’harmonie et de joie. Nous ne sommes pas curieux mais souvent obstinés et nous ne pardonnons pas facilement à ceux qui nous font du mal même quand ils ont réparé leurs fautes. La joie que nous trouvons dans les loisirs et le bien être tend à être absente des églises. Nous avons besoin aujourd’hui de manifester notre corps de manière joyeuse. Une théologie équilibrée concerne à la fois le matériel et le spirituel.
Les célébrations devraient impliquer tout l’être humain : esprit, âme et corps. Une enquête montre que la moitié de ceux qui se déclarent chrétiens (7% de 15%) ne fréquentent jamais de célébrations parce qu’ils ne la considèrent pas comme une ressource pertinente.
La structure hiérarchique qui induit une coupure entre les personnes théologiquement formées et celles qui ont besoin d’éducation passe à côté du fait qu’une position élevée dans l’église ne s’accompagne pas toujours d’une maturité spirituelle. Aujourd’hui le clergé n’a pas seulement le besoin d’être formé en théologie mais aussi en spiritualité. Le sacerdoce universel doit être affirmé dans la vie de la communauté. Les laïcs ayant reçu une éducation supérieure sont capables de prendre davantage de responsabilité et devraient être encouragés à le faire.
Nous déclarons que l’église est le sanctuaire de Dieu mais nous l’avons transformé en un club pour ses membres. Ceux qui ont construit et maintenu ce lieu oublient que c’est d’abord la maison de Dieu et qu’il devrait être ouvert à tous.
Nous avons trop considéré l’église comme un empire qui devrait être étendu et non comme une institution au service du peuple. Nous avons besoin de mettre la spiritualité en premier au dépend du matérialisme et de désinvestir l’intellectualisme. Nous avons besoin de nous opposer à des intérêts puissants, de chercher la vérité, de vivre en harmonie avec la création et la vie toute entière et de considérer la nature comme un sanctuaire aussi saint qu’un bâtiment d’église.
Une invitation
Les exemples et les propositions partagées dans cet article s’inscrivent dans le contexte suédois. Cependant il y a des signes montrant que des changements similaires sont en train d’advenir dans d’autres pays européens, y compris la France (voir l’enquête sur les valeurs de Ronald Ingelhart). Pour résumer, il est temps de nous engager dans une conversation européenne sur la tradition chrétienne, ses formes, ses motivations et ses effets dans une nouvelle ère.
Lina Bengt
Mandrom Wadensjö