Interview de Pierre Bader, pasteur de la paroisse réformée de Corsier-Corseaux (Eglise Evangélique Réformée du Canton de Vaux).  par Jean Hassenforder (Témoins. Groupe de recherche).    Dans le contexte du changement culturel, dans quel esprit une paroisse suisse vit-elle l’Evangile et s’organise-t-elle pour répondre aux aspirations nouvelles à travers différentes innovations ?

 

 

  • 1 Comment et depuis quand êtes vous responsable de cette paroisse de l’Église évangélique Réformée du canton de Vaux? Comment se situe-t-elle géographiquement, socialement, culturellement ?

La paroisse réformée de Corsier-Corseaux ** Voir son site ** se situe au bord du lac Léman, dans le canton de Vaud, proche de Vevey et Montreux. Il s’agit d’une zone suburbaine composée de 2 villages. La population de cette région aisée est un mélange de personnes d’origine suisse et d’étrangers qui travaillent pour des grandes multinationales. Je suis pasteur de cette paroisse depuis 15 ans.

 

 

  • 2 Quelles sont les grandes questions que vous vous posez quant aux pratiques des églises aujourd’hui dans un monde en pleine mutation culturelle ?

La sous-culture prédominante dans les Eglises est souvent très éloignée des sous-cultures ambiantes. Il y a donc un effort très important de modernisation à faire.
Cependant, modernisation ne signifie pas réveil. Or, c’est bien d’un réveil dont nos Eglises ont besoin : retrouver la joie de la prière et de l’adoration, retrouver le zèle dans l’écoute de la Bible et dans le témoignage, retrouver l’amour fraternel et le don de soi. La vraie révolution culturelle que Jésus nous a invité à vivre est celle de l’amour pour le Seigneur et pour notre prochain. Cela ne signifie pas que des adaptations culturelles ne sont pas nécessaires mais qu’elles ne sont pas un but, seulement un moyen.

 

  • 3 Comment percevez vous la mission des communautés chrétiennes ?

La plupart des communautés chrétiennes sont focalisées sur leur propre existence, qu’il s’agisse de croissance pour quelques-unes ou de survie pour la plupart. Je crois que la mission des Eglises les porte au contraire vers l’évangélisation et les pauvres : en dehors de cela, l’Eglise perd sa raison d’être et par là même sa dynamique et sa puissance. « Qui sont les pauvres vers qui le Seigneur nous envoie ? Vers quelles nouvelles personnes ou vers quels nouveaux groupes de personnes le Seigneur nous appelle-t-il ? » sont des questions qui devraient nous habiter en permanence.

 

  • 4 Y a-t-il eu de grandes étapes dans l’évolution de votre Eglise dans les dernières années ?

Nous avons appris de nos échecs et de nos faiblesses :

–    Nous avons réalisé que les familles avaient de la peine à s’intégrer à notre vie d’église et dans nos cultes : cela nous a fait revoir profondément la liturgie et la structure de notre pastorale.

–    Nous sommes (et serons encore plus dans l’avenir) en déficit chronique de forces pour le ministère : cela nous a amené à questionner le cléricalisme qui règne dans nos Eglises.

–    Nous sommes frustrés par le peu d’impact qu’ont plusieurs activités centrales de la paroisse : cela nous a fait entrer dans une écoute de Dieu plus conséquente. Un groupe d’écoute prophétique a notamment été créé. Il fonctionne en parallèle au conseil de paroisse qui a moins de temps à consacrer à l’écoute étant donné ses responsabilités opérationnelles. Ces deux équipes fonctionnent sur le modèle du binôme roi-prophète : l’un décide, l’autre écoute et conseille.

Finalement, c’est le ministère du Saint Esprit qui a été une étape cruciale : pour être franc, la plupart de nos activités peuvent fonctionner avec ou sans le souffle de l’Esprit, du moins elles peuvent faire illusion. Nous avons choisi d’entrer dans des activités dans lesquelles nous ne maîtrisons de loin pas tout. Par exemple, la prière de guérison, de délivrance et d’écoute prophétique est offerte à chaque culte.

 

  • 5 Chaque dimanche, il y a plusieurs cultes dans votre Eglise. Quelles sont les intentions qui président à leur réalisation? En fonction de quels questionnements ?

Nous croyons que les cultes appartiennent à la fois au Seigneur et à la communauté qui célèbre : il s’agit donc de rejoindre les gens qui viennent aux cultes dans leurs sous-cultures propres. Comme les gens qui fréquentent fidèlement les cultes sont très divers, notamment par les tranches d’âges qu’ils représentent, nous avons une diversité des cultes pour élargir la palette de l’offre.
Nous « calculons » en quelque sorte la « moyenne culturelle » des gens présents (ce qui donne des cultes faits d’éléments culturels divers et donc parfois une impression de bric et de broc qui reflète la diversité des gens présents). Puis nous infléchissons « prophétiquement » ou « en espérance » la culture utilisée dans ces cultes vers ceux qui ne sont pas encore là mais qu’on espère voir venir (principalement les jeunes et les enfants).

 

  • 6 Pouvez-vous nous dire votre réflexion sur les aspirations en fonction des âges et votre conception d’un travail intergénérationnel ?

Nous avons constaté que la plupart de nos activités s’adressent à des strates d’âges différents. Cela a deux conséquences malheureuses :

–    la multiplication des activités et des groupes pour permettre de rejoindre chacun quel que soit son âge (notre paroisse a ainsi créé des activités pour plus de 10 strates d’âges différents, des nouveaux-nés au 4ème et  voir même 5ème âge). Cette stratégie demande un énorme investissement pour les pasteurs et les chrétiens engagés. Il est souvent utile de pouvoir utiliser la pédagogie et la sous-culture d’une strate d’âge définie, mais cette façon de faire mène inévitablement à l’épuisement du pasteur et des chrétiens engagés ;

–    la communauté est affaiblie quand les générations ne se rencontrent pas et ne peuvent plus se féconder par leurs propres richesses.

Nous développons donc le plus possibles des activités intergénérationnelles : par exemple, il y a un mot pour les enfants dans chaque culte. Autre exemple, des adultes encadrent des jeunes ados qui eux-mêmes travaillent avec des enfants dans une activité appelée Quartier Libre. Ou encore des modules de catéchisme qui mettent en rapport des chrétiens âgés avec des jeunes, développant ainsi une relation « grands-parents spirituels – petits-enfants spirituels ». Ou encore des rencontres après-culte qui ont été demandées par les jeunes de la paroisse : ils voulaient entendre le témoignage et la vie des aînés, apprendre d’eux et apprendre à les connaître.

 

  • 7 Comment développez-vous dans l’Eglise un esprit participatif? Comment la vie de votre Eglise repose-t-elle sur une variété de ministères, et en particulier de ministères laïcs rémunérés ?

Il faut sûrement commencer par questionner le concept théologique de laïcs versus ministres consacrés. Nos Eglises réformées prônent le sacerdoce universel mais la structure de nos institutions rend souvent un tout autre son de cloche. Pour un pasteur, cela nécessite d’apprendre à faire confiance et de se débarrasser de toute envie de contrôle : le défi est de taille.

A l’instar de la plupart des Eglises, nous sommes en manque chronique d’ouvriers ; la paroisse a donc décidé d’engager des laïcs rémunérés. Nous avons depuis plus de 20 ans engagé des animateurs de jeunesse qui accompagnent les jeunes de la paroisse. Plus récemment, nous avons engagé une personne pour faire grandir le ministère d’adoration et de louange.
Cependant ces ministères rémunérés ne sont pas considérés comme supérieurs aux ministères bénévoles (mais souvent très professionnels) : ils permettent seulement d’étoffer la diversité des ministères nécessaires à faire vivre le corps de Christ.

 

  • 8 Comment l’Eglise est-elle présente dans la société et y reconnaît-elle l’oeuvre de l’Esprit et le Royaume de Dieu en marche ?

Traditionnellement, l’Eglise réformée dans le canton de Vaud est bien intégrée dans la société. En Suisse, nous n’avons pas la même façon de vivre la laïcité qu’en France. Par exemple, je suis engagé dans les pompiers et dans l’armée et je fais partie des responsables d’un service d’appui aux victimes auxquelles la police et les services d’urgence font souvent appel.

Cependant, comme partout ailleurs, notre paroisse doit apprendre à se sentir beaucoup plus concernée par ce qui se vit autour d’elle. Il ne s’agit pas de « sortir de nos murs » ou de « faire du social » : il s’agit d’être attentif à l’avancement du Royaume de Dieu dans et hors de nos murs pour y participer. Nous avons encore beaucoup ce chemin à faire dans ce domaine.

 

  • 9 Comment fonctionnent les différentes communautés et groupes suscités par l’Eglise et notamment les églises de maison ?

Nous sommes en train de travailler cette question. Réponse donc dans quelques mois. En deux mots, notre objectif est de créer de nouveaux groupes qui soient capables d’accueillir en leur sein des « pauvres » afin d’élargir le ministère pastoral qui ne peut pas reposer sur les épaules du seul pasteur : endeuillés, solitaires, personnes traversant des temps de crise, etc… ;

Nous avons pour cela aussi une équipe d’une quinzaine de personnes très bien formées offrant des entretiens de relation d’aide : il s’agit là aussi d’offrir plus de soins pastoraux que ce que le pasteur seul peut donner.

 

  • 10 Comment l’Eglise se situe-t-elle par rapport au développement des nouvelles technologies de communication et particulièrement d’internet? Comment entrez-vous dans des réseaux?

A nouveau, la modernisation n’équivaut pas au réveil. Cependant, l’adaptation culturelle est une des conséquences nécessaires du principe d’incarnation. Nous utilisons de plus en plus internet (bien que la fréquentation du site internet de la paroisse ne croisse pas vite). Lors des cultes, l’écran est systématiquement utilisé en parallèle avec les livres de chant : toutes les générations apprécient cette évolution. L’enregistrement des prédications est mis à disposition sur internet.

Plus fondamentalement, il s’agit de passer peu à peu d’une communauté paroissiale (je vais à telle église parce que j’habite sur le territoire de cette paroisse) à une communauté de réseaux (je vais à telle église parce que je connais tel ou tel, parce que je m’identifie à cette communauté). Les paroisses des Eglises historiques doivent tenir les deux types de communautés pour le moment. Cependant, l’avenir est clairement aux réseaux.

 

  • 11 Comment l’Eglise-paroisse se situe-t-elle  dans le mouvement de recherche et d’innovation à l’échelle nationale et internationale ?

Si notre paroisse est ressentie comme « alternative » par beaucoup, elle n’est de loin pas la seule à tenter d’ouvrir de nouveaux chemins. Entendre parler ou lire les expériences faites par d’autres Eglises nourrit notre propre réflexion et nos décisions. Des réseaux tels que New Wine sont d’une immense aide : ces communautés anglicanes ont de l’avance sur nous et nous ressemblent : nous partageons le même point de départ : nous venons d’une  même culture européenne (j’avoue que les expériences américaines m’ont peu inspiré car trop éloignées de mes réalités) et nous sommes immergés dans une  même logique institutionnelle héritée d’une longue histoire (les paroisses anglicanes, catholiques ou réformées partagent un certain nombre de richesses et de faiblesses communes). Le mouvement New Wine est constitué d’églises notamment anglicanes qui ont choisi des chemins nouveaux notamment dans le ministère du Saint Esprit mais aussi dans le témoignage et le service à la société. Nous avons surtout appris avec eux à nous dé-préoccuper de nos questions d’église pour nous focaliser sur le Royaume de Dieu, dans et hors de l’Eglise.

 

  • 12 Vous prévoyez une rencontre avec “New Wine” en Suisse, en novembre.  Quels sont les objectifs de cette rencontre ?

Après un premier séminaire qui a mis en avant la théologie du Royaume de Dieu, un second séminaire en novembre permettra d’entendre parler des solutions et des choix concrets faits par ces paroisses anglicanes pour développer une vie d’église sous l’horizon du Royaume de Dieu ** Voir la présentationde ce séminaire **.

 

  • 13 Quelles sont vos aspirations profondes pour le devenir des Eglises ?

Oser : oser des chemins nouveaux non pas par attrait de la nouveauté mais en réponse à un appel du Seigneur. Oser une dépendance plus grande envers le Seigneur. Oser entrer dans des obéissances qui nous fassent prendre des risques. Oser l’aventure de la venue du Royaume de Dieu. Oser ne pas savoir et devoir rester à son écoute pour décider où aller. Oser faire confiance aux hommes et aux femmes qui font nos Eglises.

Interview de Pierre Bader, pasteur de la paroisse réformée de Corsier-Corseaux (Eglise Evangélique Réformée du Canton de Vaux).  par Jean Hassenforder (Témoins. Groupe de recherche).

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