Il y a quelques années, j’ai accueilli avec un grand enthousiasme l’annonce de l’attribution des Jeux Olympiques à Paris pour 2024. Depuis cette nouvelle, alors que de nombreux Parisiens, Français et membres de mon entourage se sont engagés dans une critique systématique des JO, j’ai toujours manifesté un profond enthousiasme pour cet événement d’envergure. En tant que Parisien d’origine, passionné de sport depuis mon enfance et chrétien engagé dans plusieurs ministères, j’ai rapidement ressenti l’envie de participer activement à son organisation.

L’aventure olympique

Etant aumônier de prison depuis près de 17 ans, je suis de près les initiatives de la Fédération Protestante dans ce domaine. Ainsi, lorsqu’elle a mis en place un service d’aumônerie pour les Jeux Olympiques et Paralympiques, j’ai naturellement décidé de me porter candidat. J’ai eu l’honneur d’être retenu dans l’équipe des aumôniers olympiques. Dès 2023, cette équipe a été formée aux spécificités de l’aumônerie lors des grands événements sportifs internationaux : enjeux, défis et règles à respecter. Et dans ce domaine le cahier des charges est en effet très détaillé. Le comité d’organisation des JO et JPO (COJOP) n’a pas immédiatement compris ce qu’était un service d’aumônerie et en a restreint le champ d’action au strict minimum. Des contraintes sévères ont été imposées, comme l’interdiction de se déplacer librement dans le village olympique ou de parler aux athlètes en dehors du centre multiconfessionnel, par crainte du prosélytisme. Toutefois, grâce à la détermination des responsables des différents cultes représentés (catholiques, orthodoxes, protestants, musulmans, juifs, bouddhistes, hindous) et à la bienveillance des salariés du COJOP en charge du centre multiconfessionnel, une ambiance chaleureuse et conviviale s’est installée au cœur du village olympique.

Un été exaltant

C’est donc avec une grande excitation que je me rends à Paris pour y passer quasiment tout l’été 2024. Mon objectif est de soutenir des partenaires (églises, missions, ministères chrétiens…) dans leurs projets visant à utiliser le sport et les loisirs pour rencontrer les communautés. Je m’installerai ensuite dans le village olympique, puis paralympique, afin de suivre les athlètes du monde entier. Alors que l’évangile de Matthieu 28:19 nous exhorte : « Allez, faites de toutes les nations des disciples ». C’est presque toutes les nations qui se retrouvent réunies en un même lieu, dans le village olympique. Situé le long de la Seine, entre Saint-Ouen, Saint-Denis et l’île Saint-Denis, sur 46 hectares, il accueille jusqu’à 14 000 athlètes et délégations provenant de 206 pays, répartis par bâtiments. Le centre multiconfessionnel, quant à lui, est un peu à l’écart, installé à la hâte dans des structures préfabriquées, non loin du centre anti-dopage. Nous nous trouvons juste en face des bâtiments de Taiwan et de la Serbie, à une centaine de mètres du bâtiment France. La place des anneaux olympiques est quant à elle située en plein centre du village.

La « Power Room » du village

Les responsables des cultes chrétiens ont choisi de mutualiser un espace de prière. Catholiques, orthodoxes et protestants peuvent y bénéficier d’une salle de culte relativement spacieuse, que nous avons voulu rendre aussi accueillante que possible. Les athlètes peuvent se rendre dans la salle de culte de leur choix pour prier seul, être accompagnés par un aumônier, assister à un culte (deux cultes protestants et un culte catholique par jour), ou encore suivre un parcours de foi composé de plusieurs étapes invitant à la réflexion spirituelle et à la prière. Au début, les athlètes sont peu nombreux, probablement en raison d’une communication insuffisante auprès des délégations. Mais peu à peu, de plus en plus de sportifs viennent, seuls ou en petits groupes. Ils sollicitent des prières pour leurs proches, pour leurs compétitions à venir ou pour des défis plus personnels. Ils participent aux cultes, plus ou moins liturgiques selon la sensibilité de l’aumônier en charge. Les diverses tendances du protestantisme sont représentées : évangéliques, réformés, luthériens, adventistes, baptistes… dans une ambiance fraternelle et conviviale. C’est d’ailleurs cette atmosphère de partage, d’échange et de respect mutuel qui caractérise chaque aumônerie, loin de tout esprit de concurrence ou de comparaison. Cet aspect sera d’ailleurs salué par les responsables du ministère de l’Intérieur, du Comité International Olympique, du COJOP, de la préfecture et jusqu’à l’Élysée.

Vers la fin des Jeux, l’atmosphère devient plus détendue, les athlètes moins stressés et plus disponibles. Ils viennent nous montrer leurs médailles, partager leurs espoirs de décrocher une médaille aux prochaines Olympiades ou évoquer leurs craintes face à la fin de leur carrière. Une athlète médaillée d’argent, très active sur les réseaux sociaux pour témoigner de sa foi, qualifie le centre multiconfessionnel de « Power Room » (moteur) du village. Je lui demande de faire un petit message vidéo d’encouragement pour mon fils, qui pratique la même discipline qu’elle et qui fête son anniversaire le lendemain. Elle s’exécute avec enthousiasme et sincérité. Après avoir servi les athlètes tout au long des Jeux et des Jeux Paralympiques, c’est avec émotion que nous voyons le village se vider. Les athlètes font leurs valises et partent retrouver leurs proches ou enchaîner d’autres compétitions ou défis.

« Je suis un roi ici »

À titre personnel, j’ai vécu une expérience unique dans ce lieu hors du commun. Nous avons essayé de transformer cette forteresse de sécurité en un écrin spirituel pour les athlètes. J’ai eu la chance d’exercer mon ministère d’aumônerie dans un contexte sportif à la fois singulier et contrastant, notamment avec mon expérience en prison. Certains athlètes, habitués aux grands palaces, se sont plaints de la qualité des repas ou des lits. Pourtant, l’immense majorité des sportifs était pleinement satisfaite des conditions d’hébergement, bénéficiant de soins attentifs. Ces mots résonnent cependant en moi lorsque je retourne à la prison de Saint-Martin-de-Ré, auprès des détenus. L’un des hommes que j’accompagne depuis des années se trouve en « mitard », c’est-à-dire en quartier disciplinaire, une zone ultra sécurisée où les cellules sont dépouillées de tout mobilier, l’ambiance y est lourde, entre cris et insultes incessantes. Pourtant, cet homme, tourmenté mais repenti, me confie, les larmes aux yeux : « Cela fait 15 jours que je suis ici, et j’ai fait un travail de réflexion sur moi, sur mon attitude, ma relation aux autres et à Dieu. » Il ajoute, avec un sourire : « Je suis un roi ici ! On me sert à manger, on m’écrit et on vient me visiter ! De quoi d’autre aurais-je besoin ? »

Fred Menigoz

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