Aumônier de prison : mais encore ? Que s’y passe-t-il, derrière ces portes closes où l’on oublie des êtres vivants pendant des années ? On en a une idée vague, lointaine. Pourtant, la vie continue, et quelle expérience que de se faire ouvrir ces portes successives, pour aller visiter les femmes surtout, que je rencontre depuis deux ou trois ans.

Me rendre en prison était pour moi une vocation ancienne, l’enfermement me semblant la pire des punitions. Quel que soit l’acte commis, et le besoin de protection de la société, la conséquence m’a toujours paru terrible, et mériter notre attention.

Et de fait, ces femmes y vivent des moments très éprouvants dans la durée, passé le premier choc traumatique en arrivant, « le choc carcéral ». Je parle là de la personne, non de la délinquante.

Ce n’est pas mon propos de savoir ce que chacune a fait, ce qu’elle mérite aux yeux des hommes. Elle est enfant de Dieu, Il l’attend, comme le père espère le retour du fils prodigue. Comme la brebis perdue. « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre », que ce soit en parole, en acte ou en pensée, nous dit Jésus.

Je suis arrivée là avec le désir de leur parler de l’amour de Dieu, de sa patience, de sa fidélité, au fil de séances de culte-partage souvent animées – à celles seulement qui demandent nos visites et le culte. Le hasard a fait que la 1ere année, plusieurs participantes avaient développé un niveau spirituel élevé ; j’entendais des paroles patinées par l’épreuve, d’une profondeur inattendue qu’on n’entend pas vraiment dans nos églises, d’une proximité avec Dieu indubitable. Nous conversions sur le même plan, de la présence de Jésus au quotidien, de ce qu’Il nous apporte et transforme en nous. (Certaines ont écrit dans leur journal de beaux témoignages de leur parcours spirituel en prison ; iront-elles le publier ?). Plusieurs sont parties, elles ont été remplacées.

Il m’est apparu rapidement que la plupart avait beaucoup souffert avant d’arriver là, d’une absence de famille, de parents maltraitants, inconsistants, insécures, voire violeurs. Beaucoup d’entre elles (idem pour les hommes) sont seules, en rupture de liens souvent toxiques, en manque de repères et d’éducation. Certaines, avec leurs propres enfants, ont perdu l’autorité parentale ; et les enfants sont en famille d’accueil, à droite, à gauche.

Heureuses sont celles qui ont un parent qui les garde, mais dont elles sont séparées. Quand l’une reçoit de leurs nouvelles, l’autre a les larmes aux yeux. Le pire, me dit-on, est cette solitude morale qui pèse au-delà des barreaux.

Rejet de la famille, honte, difficultés financières, abandon du conjoint, en partie responsable moralement, quelquefois, de l’acte commis (non-soutien, harcèlement moral…).

Chacune a un récit des faits souvent édulcoré, la disculpant plus ou moins. Un jour, on m’explique spontanément que le conjoint volait en bande organisée, et qu’elle est condamnée comme complice. « Tu savais ce qu’il faisait ? Oui. Tu profitais de l’argent avec lui ? (On me montre de belles photos au bord d’une piscine…) Oui. Mais maintenant, je n’accepterai plus. ». La semaine suivante, elle me dit spontanément et très fermement – l’échange bienveillant a fait son chemin – : « Je ne suis pas une enfant. Je suis responsable aussi. S’il n’arrête pas, je le quitterai. Je le lui ai dit. Je ne reviendrai jamais en prison, c’est trop dur ». Celle-ci a des bases, une famille à l’étranger, des repères. Un couple d’amis qui pourra l’héberger à la sortie et lui donner un petit travail. Une relative force intérieure. Douce et patiente, elle se confie en Dieu, et prie beaucoup pour supporter une codétenue (elles sont souvent 3 dans 9 m2) difficile, instable, conflictuelle.

Derrière la porte d’à côté, une autre tape et crie toute la nuit (et souvent le jour). Dans le vide des couloirs, la résonnance est grande. Elles ne dorment pas, comme dans un hôtel bruyant auquel elles ne peuvent échapper. On prie pour cette femme qui tape et crie, qui leur semble possédée.

Une autre, qui a commis un acte grave (plus longue peine), a poursuivi ici tout un chemin de foi. Nous prions et parlons en amies, elle soutient les autres et les conseille. Ce qu’elle apprécie le plus de nos visites, c’est l’absence de jugement, la confiance. Nous sommes des sœurs en Christ. Elle ne regrette pas son séjour ici, pourtant si éprouvant, car elle a enfin pu soigner sa maladie psychique. Et son chemin spirituel n’aurait pas été le même à l’extérieur. A plus de 60 ans, elle a enfin pu pardonner à son père (incestueux), pas encore à sa mère (qui ne l’a pas protégée).

Une autre nous dit : « dans la prison, le Mal se déchaîne. Il y en a qui n’ont pas encore compris qu’il faut s’entraider ». Elle perçoit à juste titre les forces sataniques, les démons que chassait Jésus, et appelle à l’aide son pasteur des Gens du Voyage. Ne sachant ni lire ni écrire, elle aussi apaise et bénit les autres par la présence de Dieu en elle. Elle prévient les suicides. Reconnaissante que l’on vienne ici de notre plein gré, malgré des scènes parfois violentes de certains surveillants qui peuvent avoir, même à notre égard, des attitudes d’abus de pouvoir. D’autres sont bienveillants. Eux aussi ont besoin de prière.

Je réalise au fil du temps que je dois me mettre à leur portée. De plus en plus de très jeunes femmes ne peuvent pas tenir en place, soutenir leur attention. D’autres sont passionnées par nos échanges autour du texte, par la profondeur qu’il révèle.

L’une traumatisée par ce qu’elle a fait, a pleuré pendant des semaines. Elle a retrouvé la paix, et me dit en entretien individuel : « quand je sortirai, je m’enfermerai et ne verrai plus personne ». Puis en groupe, on lit le texte (Ex. 3) dans lequel Dieu appelle Moïse à libérer son peuple. Moïse, qui a tué un homme, et qui refuse obstinément d’obéir, et discute avec Dieu : il n’a pas envie, pas capable…

On a vu lors du partage précédent qui est Dieu (Je suis celui qui SUIS), et ce qu’on attendait de Lui. Beaucoup de choses sont sorties : sa force, son Amour, la Vie éternelle, la foi en sa parole, son soutien pour affronter les épreuves…

Cette fois, on regarde ce qu’Il attend de nous, ce qu’Il attend de Moïse, et de chacune de nous. Ce n’est pas à nous de décider, de s’enfermer au fond d’un trou en attendant la mort. C’est lui qui nous dira ce qu’Il attend de nous. Elle boit mes paroles. Des portes s’ouvrent, sur des chemins qu’elle n’avait pas imaginés. Dieu attend quelque chose de chacune d’entre nous ? Certaines y pensent déjà.

D’autres sont encore dans un brouillard épais. En sortiront-elles ? Sous tranquillisants, sans énergie, ni fondations. Un jour, elles sont réconfortées par nos paroles, le jour suivant, elles déclinent l’invitation au culte, ou la visite en cellule.

Dans ce lieu terrible d’agressivité et de mort (nombre de suicides constant, surtout chez les hommes), se nouent des amitiés, se créent des chemins d’espérance. Des femmes qui n’en auraient jamais eu l’occasion, entendent parler de Dieu, de son Amour, de son pardon ; comment Le fréquenter assidument. Par ailleurs, elles peuvent être accompagnées sur le plan psychique : psychiatre, psychothérapeutes, elles ont presque toutes des séances qui semblent bénéfiques, même s’il faut attendre longtemps pour le moindre rendez-vous. Meilleur remède à la récidive, sans doute, pour celles qui sont capables de faire un chemin.

Nous sommes au cœur de l’humanité, dans sa grandeur et sa fragilité. Terre d’évangélisation particulièrement souffrante, on y sème modestement. C’est Dieu qui fait pousser. Et vraiment, Il ne nous a pas attendus pour y être présent et se manifester. C’est rassurant, de Le savoir là, aussi.

Diane de Souza-Riquet

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