Les propos qui suivent sont ceux d’un sceptique, un béotien au regard de l’outil informatique. Tout sauf un habitué de la toile. J’ai fait cette découverte à l’occasion de la « crise » du centre pastoral (catholique) saint Merry à Paris. Je suis aujourd’hui convaincu que le numérique doit avoir toute sa place dans la vie, la spiritualité et l’engagement d’une communauté. Non pour remplacer la rencontre physique bien sûr, mais pour enrichir nos modes de communication, de communion, aujourd’hui. Et en respectant tout à fait ceux qui ne « s’y retrouvent pas ».
Cela commença plutôt mal : c’est par un email sec, impersonnel et autoritaire envoyé par l’archevêque… (le numérique permet aussi d’éviter la rencontre personnelle pourtant indispensable)… que la communauté de saint Merry apprit sa dissolution brutale, sa disparition, sans le moindre contact préalable, son interdiction de célébrer la messe dans cette église. Elle y était présente depuis plus de 45 ans, suite à la mission qui lui avait été confiée par l’archevêque de l’époque (1975) pour « ouvrir des chemins nouveaux pour l’Église de Paris ».
Sans local, comment se retrouver ? Il fallait utiliser un autre médium pour la rencontre. Un site très riche existait déjà qui fit l’objet d’une tentative d’appropriation par l’autorité épiscopale, qui semblait y voir un outil efficace ! Depuis mars 2021, chaque dimanche, un partage de la parole de Dieu a lieu par zoom, rassemblant plus de 100 personnes de toute la France, ainsi que des débats, des assemblées générales, des travaux de multiples groupes d’action ou de réflexion. Le numérique occupa une place centrale dans la survie de la communauté.
Un témoignage évangélique
Pas seulement pour se maintenir en vie, mais pour participer à la mission qui lui était confiée : proposer une présence chrétienne dans la modernité. Il est frappant que des catholiques, dont les moyens d’expression sont souvent traditionnels, compliqués et obscurs adoptent un outil de la modernité ; comme une reconnaissance de la bienfaisance d’un moyen inventé par le monde moderne, si souvent décrié par les autorités religieuses.
Pas pour être à la mode. Pour rejoindre des personnes que l’éloignement, l’invalidité, les hésitations face à l’étrangeté du « monde catholique », la méconnaissance de la jeunesse et l’ignorance des codes, peuvent éloigner. Un bon exercice pour un groupe religieux désireux d’ouvrir son « réseau » à d’autres, de « s’exposer », de prendre le risque de la rencontre dans un lieu qu’il ne « maitrise » pas. De désacraliser sa démarche. D’aller « jusqu’aux extrémités de la terre », de confronter la parole de Dieu aux réalités d’une communication à laquelle chacun peut participer à sa guise.
Quelles présences ?
Le numérique impose un type de présence que certains jugeront, à juste titre, incomplet. Une bonne occasion de s’interroger sur les « ingrédients » de la rencontre véritable entre nous et avec l’Autre qui nous y invite.
Présence par les regards. La richesse de ceux-ci m’a frappé pendant les lectures, les discussions, les silences. Le philosophe juif Levinas a souligné l’importance de la rencontre « par le regard ». Sur un écran il peut être encore plus vrai qu’en présence. Le visage aussi, qui s’inscrit dans le décor familier de celle ou celui qui participe, apportant avec lui un peu de son parfum personnel. Présence de la voix. J’ai constaté que certaines personnes muettes dans les réunions en présentiel, hésitaient moins à intervenir à « distance » et se livraient davantage. Ce peut être le contraire pour d’autres.
Plus facilement réalisable, qu’en présentiel, la présence étonnante des images de la nature, de la beauté, de la musique, de l’art en général, ainsi que des scènes de la vie quotidienne qui tout à coup s’immiscent dans notre « champ de vision » et peuvent stimuler notre être. Un approchement plus aisé des « réalités » de vie si précieuses et souvent absentes de nos temps de prière ou de recueillement dans les « temples officiels ».
Et puis j’aime, parce qu’elle est paradoxale sur un médium, la présence du silence. Souvent insupportée en présentiel elle l’est encore davantage en distanciel ! Il est pourtant bien parlant, ce temps de silence. L’apparence « technologique » que l’on peut reprocher à ce mode de rencontre, disparait vite si l’on y laisse habiter une présence. Y compris pour moi, celle de l’Esprit qui sait prendre des moyens détournés pour nous rejoindre.
Écoute et difficile débat
Pas toujours facile le débat à travers cet outil qui exige encore plus de discipline que la rencontre physique. Cette régulation nécessaire peut, si elle est bien prévue, honorer davantage les positionnements de chacun, l’invitation à intervenir faite aux « silencieux », l’acceptation des différentes étapes de la rencontre, même le constat du désaccord. Le numérique ne fait pas de miracle à ce sujet mais il demande encore davantage de discipline car la cacophonie y est encore plus insupportable. Voici un moyen qui nous apprend, heureusement, à vraiment « écouter » pour débattre en diversité, en sincérité, en opposition parfois.
Certains reprocheront à cette modalité de permettre plus facilement de « zoomer », de s’absenter, d’aller voir ailleurs. Pourquoi ne pas permettre à la liberté de s’exprimer plus aisément que par un fracassant départ de la réunion ?
Le débat peut s’organiser de salle en salle, en grand puis en petit groupe, et revenir en plénière.
Oui j’ai, comme vous sans doute, besoin de rencontres, en présence. Nous sommes des corps qui ont besoin de se frôler, se toucher, se « sentir ». Le numérique ne remplace donc pas la rencontre en présentiel. Au moment où notre communauté cherche un nouveau local, ce type d’échange numérique est devenu pour moi le moment d’une véritable rencontre, alors que je le jugeais superficiel et éphémère. Le numérique ne m’apparait plus comme un simple moyen technique commode à utiliser, mais comme l’un des outils pour construire un véritable « être ensemble ». Nous en avons tant besoin.
Guy Aurenche, membre de Saint Merry Hors les Murs (Paris), auteur avec toute la communauté de : « Et vous m’avez accueilli. Contributions pour une Église vivante ». Ed Salvator.