La problématique mise en œuvre dans ce passage pourrait s’exprimer par les deux questions suivantes : quelle guérison ? et quelle paralysie ? une « remise en questions » par rapport au sens de ces deux mots de nos spontanéités, et de celles des contemporains de Jésus.
L’événement se situe au début du ministère de Jésus (il n’a encore que quatre disciples) mais sa réputation est déjà bien établie en Galilée : les nombreuses guérisons et délivrances qu’il a déjà opérées, l’autorité avec laquelle il enseigne lui attirent déjà de telles foules qu’il ne peut plus entrer ouvertement dans les villes, et doit rester dans les endroits déserts, où l’on vient pourtant à lui de toutes parts ; mais là il revient à Capernaüm dans « la maison » nous dit le texte, sans doute la maison de Simon, l’un de ses premiers disciples ; et dès que la nouvelle s’ébruite, la foule se masse devant la porte, sans doute dans l’attente d’un nouvel événement, d’un « happening » dirait-on aujourd’hui : elle ne sera pas déçue ; mais la première réaction de Jésus à la demande de guérison qui lui est faite ne sera pas conforme à ce qu’on pouvait attendre de lui, et à l’idée que l’on pouvait se faire de la « guérison » ; elle provoquera même la première contestation ouverte de la légitimité de son autorité.
Cette demande de guérison est formulée d’ailleurs d’une façon très particulière elle aussi ; rien n’est dit dans le texte sur la foi du paralysé, mais celle de ses quatre amis est impressionnante, et ne se laisse pas arrêter par l’obstacle de la foule des curieux amassée devant l’entrée, qui n’arrive pas à passer par la porte étroite (de la foi ?), mais empêche par sa seule présence ceux qui ont de véritables besoins d’approcher, en tout cas ceux qui ne sont pas aussi téméraires que nos quatre amis ; ce qui nous interroge peut-être sur le comportement que nous pouvons avoir dans nos assemblées : ne faisons-nous pas obstacle, en toute bonne foi, à ceux qui n’osent pas s’approcher, avons-nous assez l’esprit de corps (du Corps) pour présenter les plus faibles à Jésus ?
Mais ces hommes croient profondément à la puissance de guérison de Jésus, ils ont la foi qui soulève les montagnes, et aussi les toits ! opération qui a du leur coûter du temps, des efforts, faire du bruit, et provoquer au passage la chute peu discrète de quelques gravats ! mais qui les a amenés devant Jésus, impressionné par leur audace ; Jésus qui apprécie ceux qui désirent vraiment une rencontre personnelle avec lui, et sont prêts pour cela à s’impliquer, à lutter, quitte à prendre des risques, comme Zachée qui grimpe sur un arbre pour être vu, ou Bartimée qui crie, malgré les rappels à l’ordre de ceux qui l’entourent, pour se faire entendre (on pense à la phrase : « ce sont les violents qui s’emparent du royaume de Dieu »).
Et cette foi « pour l’autre » peut porter du fruit, comme en témoigne un membre de notre groupe : souffrant de l’asthme depuis son enfance, il s’était avancé il y a quelques années à un appel de la prière pour les malades, mais sans y croire, et avait été guéri par la prière des anciens de l’assemblée.
A l’époque de Jésus, on explique les maladies par le péché : c’est ce que faisaient déjà les amis de Job pour justifier ses souffrances, c’est ce que croient même les disciples de Jésus quand ils lui demandent, en voyant un aveugle de naissance : « qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » ; et il est vrai que, même aujourd’hui, les médecins s’accordent à reconnaître que les sentiments négatifs, haine, rancune, amertume, peuvent retentir sur la santé des patients et expliquer l’apparition de toutes sortes de désordres et d’affections diverses.
Jésus voit la souffrance de cet homme, éprouvé dans son corps, mais aussi dans son esprit : la culpabilité liée au sentiment de péché nous paralyse, nous enferme dans une véritable cage qui nous empêche de nous tourner vers Jésus ; et les scribes entendent alors la phrase qui les fait bondir intérieurement : « mon enfant, tes péchés te sont pardonnés » qui constitue pour eux un blasphème : car à la différence de Jésus, ils n’ont pas l’autorité que donne « l’ouverture d’Esprit » par rapport aux textes bibliques, ils restent enfermés dans leur réception littérale et ne peuvent reconnaître comme telle la Parole incarnée dans le « Fils de l’homme », qui unit en lui les natures humaine et divine (comme le souligne le verset 22 du chapitre 1 de Marc à propos des premiers auditeurs de Jésus à Capernaüm : « ils étaient frappés de sa doctrine, car il enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes »).
Alors, cette phrase de Jésus signifie-t-elle que cet homme est réellement un pécheur au départ ? oui, mais comme tout homme, ainsi que le dit Romains 3, 23 : « tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu » ; le péché, le fait de faire le mal, étant en fait la rupture ou l’imperfection de notre communication avec Dieu, qui établit des lois de vie pour que l’homme vive, lois hors desquelles les difficultés arrivent inévitablement ; et de ce péché « originel » nous avons tous besoin d’être « guéris »par Dieu, qui seul peut donc pardonner en nous accordant gratuitement sa grâce (comme nous le dit la suite de Romains : « ils sont gratuitement justifiés par sa grâce ») ; Jésus l’accorde sans attendre une demande de pardon du paralytique, de même que le père dans la parabole du fils prodigue.
A l’invitation de Jésus, le paralysé se lève : image de la future résurrection (en grec, c’est le même mot pour se lever et ressusciter) ; et c’est bien à une nouvelle vie qu’il est appelé, guéri totalement, à la fois dans son âme et dans son corps ; appelé du même coup à se mettre lui aussi en marche, comme viennent de le faire ses amis pour lui, c’est à dire à servir : Jésus guérit pour que l’on se mette en route, qu’on marche à sa suite (la belle-mère de Simon, que Jésus avait guéri peu avant dans la même maison (Marc 1,31), s’était mise aussitôt à le servir) ce que confirment les Béatitudes où le mot « heureux » traduit en fait l’expression « en marche ». Notre part, c’est donc, à l’appel de Dieu, de nous mettre en mouvement vers lui, de faire le premier pas, sachant alors qu’il en fera 99 vers nous.
Cette marche accompagnée n’implique pas pour autant la suppression de toute difficulté, ni de toute cicatrice du passé (telle la trace des clous subsistant dans le corps glorieux de Jésus) ; on peut être amené à porter encore son « grabat », un passé qui n’est pas gommé mais que l’on peut gérer maintenant.
Cette guérison est pour Jésus l’occasion d’évoquer pour la première fois (avec beaucoup de prudence encore) sa véritable nature, divine et humaine : l’expression « Fils de l’homme », qu’il utilise pour parler de lui-même renvoie en effet aussi à l’ère messianique annoncée par le prophète Daniel, qui avait évoqué le retour en puissance de ce Fils de l’homme à la fin des temps ; mais Jésus emploiera plus tard cette expression pour parler également de sa mort sur la croix et de la gloire à venir, associant ainsi la croix et la gloire, ce qui est une grande nouveauté par rapport à l’ancien testament : humilité en harmonie avec la réaction des assistants, qui, dans l’étonnement provoqué par cette guérison miraculeuse, glorifient Dieu et non son représentant : à méditer aussi pour aujourd’hui ?
Alain Bourgade
Sur la base des notes de Gisèle McAfee