Monument de Robert Schuman à Bruxelles.
1 Qu’est-ce que le Centre Schuman d’études européennes ?
Le CENTRE SCHUMAN D’ÉTUDES EUROPÉENNES[1][2] est un centre d’études virtuel qui s’efforce de « rafraîchir les mémoires », « remuer les consciences » et « réveiller les imaginations » concernant l’Europe et son héritage chrétien.
Le centre offre des perspectives bibliques sur le passé, le présent et l’avenir de l’Europe, qui mettent l’accent sur la façon dont l’histoire de Jésus a été le plus grand facteur de formation de la culture européenne. Le paradoxe de l’Europe est qu’elle est le continent le plus façonné par la Bible — et par le rejet de la Bible.
Le centre porte le nom de Robert Schuman, le ministre français des Affaires étrangères qui, le 9 mai 1950, a présenté son projet de Communauté européenne du charbon et de l’acier comme premier pas vers une Europe unie. Nous considérons son discours de trois minutes comme le moment déterminant de l’histoire européenne d’après-guerre, car il a lancé le processus d’intégration européenne. Cette date est la date de naissance officielle du projet européen, commémorée comme la Journée de l’Europe, et Schuman a été appelé « Père de l’Europe ».
Bien sûr, l’Europe est beaucoup plus large que l’actuelle composition de l’Union européenne (UE). Aux fins de ce centre, l’Europe est définie comme les pays à l’est de l’Atlantique, au nord de l’Afrique et à l’ouest des montagnes de l’Oural, y compris la Géorgie et l’Arménie, l’Ukraine et la Russie, la Moldavie et la Biélorussie.
La vision de Schuman était que l’Europe devienne une « communauté de peuples profondément enracinés dans les valeurs chrétiennes ». Lui et son collègue allemand Konrad Adenauer, tous deux fervents croyants, ont évoqué l’opportunité providentielle qu’ils avaient de reconstruire l’Europe sur des bases chrétiennes. Ces origines de cette grande expérience politique qui a irréversiblement changé la vie des Européens ont été oubliées ou ignorées dans les récits sécularisés de l’histoire de l’UE. Ces dernières années, les successeurs politiques de Schuman ont résisté à la mention des racines chrétiennes dans le projet de constitution de l’UE, au nom de la laïcité, une approche française unique de la séparation de l’Église et de l’État.
Les activités du centre comprennent des cours d’études, des événements, des visites et des publications. Des visites du patrimoine à travers l’Europe « continentale », l’Irlande et la Grande-Bretagne présentent aux participants les minorités créatives qui ont façonné l’Europe à travers leur foi. Evert Van de Poll, théologien franco-néerlandais bien connu, a co-enseigné dans nos écoles d’été annuelles d’études européennes qui se sont tenues à Amsterdam, Genève et Bruxelles (cette année à Bruxelles, du 21 au 25 août). En partenariat avec le ForMission College et l’Université Newman (tous deux à Birmingham, au Royaume-Uni), le Centre Schuman propose un programme de master à temps partiel de trois ans en « leadership missionnelle et études européennes ».
Le réseau Schuman a inclu des personnes et des événements aux Pays-Bas, en Belgique, en Roumanie, en Finlande, en Lettonie, en Grèce, en Irlande, à Malte, au Danemark et en Hongrie. Ma femme Romkje et moi supervisons un salon ‘Chambre haute’ (Upper Room) et une bibliothèque de recherche à Amsterdam, facilitant les discussions et les études.
Nos résultats souhaités pour le centre sont :
- Une meilleure compréhension, parmi les chrétiens de tous âges, de l’influence sans précédent et omniprésente de la Bible et de la vision biblique du monde sur le passé de l’Europe ;
- Une plus grande prise de conscience des défis et des opportunités auxquels sont confrontés les chrétiens en Europe aujourd’hui, et comment y répondre par les responsables d’églises et d’organisations ;
- Une perspective plus large sur les options qui s’offrent à l’Europe de demain, et sur le type de société vers laquelle les chrétiens devraient prier et travailler pour être agréables à Dieu, parmi les responsables d’églises et d’organisations ;
- Une coopération accrue à travers l’Europe pour un engagement efficace dans la société parmi les chercheurs, les universitaires, les dirigeants et les travailleurs chrétiens ;
- Un climat social plus réceptif à la Bible et à son message en Europe auprès du grand public.
2 Après quelle histoire personnelle êtes-vous devenu directeur du Centre ?
Je suis arrivé en Europe en 1975 depuis mon pays natal, la Nouvelle-Zélande, via le Canada où j’ai vécu pendant 18 mois. On m’a demandé d’éditer un magazine pour une branche du mouvement international et transconfessionnel, Jeunesse En Mission (JEM), basé aux Pays-Bas. En 1990, alors que le communisme implosait, je suis devenu le directeur européen du mouvement, rôle que j’ai occupé pendant vingt ans. En 2010, j’ai senti que je devenais trop vieux pour diriger une organisation de « jeunes ». Pourtant, je voulais continuer à développer un réseau de relations à travers le continent pour promouvoir un engagement plus efficace des chrétiens sur la place publique. Tout en sortant de mon rôle de directeur, je suis resté au sein de l’organisation qui a continué à donner un cadre juridique et financier à toutes nos activités.
J’ai entendu pour la première fois l’histoire de Schuman sur la manière dont le pardon et la réconciliation ont catalysé le processus d’intégration européenne lorsque j’avais emmené mon équipe de direction à Bruxelles en 1991 pour rencontrer un fonctionnaire de la Commission européenne. Nous voulions mieux comprendre ce qu’était « Bruxelles ». Notre hôte nous a accueillis alors que nous entrions dans une salle au sous-sol du Berlaymont, le siège de la CE à Bruxelles, puis nous a dit : « Allons-nous commencer par la prière ? » C’était la dernière chose à laquelle nous nous attendions ! Il a ensuite commencé à raconter l’histoire peu familière de la façon dont des croyants dévots comme Schuman, Adenauer et de Gasperi, influencés par le mouvement de réarmement moral (MRA), se sont tendus la main à travers les haines historiques et ont conduit leurs nations respectives vers la réconciliation et la coopération.
C’était une histoire peu connue que tout le monde devrait entendre, pensais-je ! Surtout que les dirigeants évangéliques influencés par une eschatologie qui supposait que « l’Europe » était la bête, et que l’unité européenne était une étape vers le redoutable « gouvernement mondial unique » (One World Government) à combattre bec et ongles. J’ai demandé à notre hôte d’aider à organiser un symposium pour les leaders évangéliques, qui a eu lieu l’année suivante à Bruxelles. L’un des orateurs était Sir Fred Catherwood, alors vice-président du Parlement européen, et plus tard président de l’Alliance évangélique britannique. Il était un fervent partisan de la réconciliation et de la coopération au-delà des frontières nationales. Ses idées nous ont aidés à rédiger l’Affirmation de Bruxelles résumant les points clés de la consultation et fournissant des lignes directrices pour les évangéliques qui pensent à l’Europe. (voir ci-dessous)
Lorsque j’ai accepté le poste de directeur européen, j’ai fait deux découvertes en cherchant des « mères et des pères » spirituels qui portaient quelque chose du cœur de Dieu pour l’Europe. Premièrement, très peu d’évangéliques semblaient penser à l’Europe, Sir Fred étant une exception. Des livres sur l’Europe traitaient de l’implantation d’églises, de l’évangélisation et de l’histoire confessionnelle. Mais pas d’une vision de la société et de la culture européennes. Deuxièmement, une compréhension biblique riche sur ces sujets devait être trouvée — mais dans un domaine considéré traditionnellement par les évangéliques comme « hors limites » : l’Église catholique. Après tout, la Communauté européenne (comme on l’appelait encore à l’époque) n’était-elle pas un complot romain ?
Plus tard, je suis tombé sur une observation de l’historien catholique Christopher Dawson, qui a écrit : les catholiques voient des forêts ; les protestants voient des arbres. Il voulait dire que depuis la Réforme, les Églises territoriales protestantes — Église d’Angleterre, Église réformée néerlandaise, etc. — ne considéraient pas l’Europe comme leur « paroisse », comme le faisaient les catholiques, mais seulement leurs propres nations. J’ajoute une autre phrase à la déclaration de Dawson : les évangéliques voient des branches. C’est-à-dire que la vision évangélique est généralement limitée à sa propre église et à sa progéniture, et non à la vision nationale ou européenne. Au Centre Schuman, nous essayons d’aider les évangéliques à voir les forêts !
La Consultation de Bruxelles de 1992 a conduit au Forum annuel de la Nouvelle Europe (New Europe Forum) qui s’est tenu dans les années 90, au Forum étudiant de la Nouvelle Europe et finalement au Forum sur l’état de l’Europe, qui s’est tenu pour la première fois en 2011. Organisé chaque année près de la Journée de l’Europe (9 mai) dans la capitale du pays exerçant la présidence de l’UE, le forum réunit des croyants d’appartenance orthodoxe à pentecôtiste, et un large éventail de disciplines allant de la politique à la théologie, pour évaluer l’état actuel de l’Europe à la lumière de la vision de Schuman d’une « communauté des peuples profondément enracinés dans les valeurs chrétiennes.
La France assumant actuellement la présidence de l’UE, le forum de cette année se tiendra à Paris, les 6 (soir) et 7 (toute la journée) mai, au Temple du Marais, en partenariat avec le CNEF, Imago Dei et l’Alliance évangélique européenne. Cet événement hybride permettra aux contributeurs d’Ukraine et, espérons-le, même de Russie de participer. Le thème est « Mettre fin à la guerre, chercher le shalom » et se concentrera sur la guérison de la fragmentation de l’Europe après le Brexit, le Covid, la COP26, l’invasion russe et les élections présidentielles françaises. Nous voulons demander : quelle contribution les évangéliques peuvent-ils apporter à l’avenir de l’Europe ?
3 Vous avez écrit un livre sur Robert Schuman. Que vouliez-vous mettre en avant ?
Après avoir entendu l’histoire de Schuman pour la première fois, je n’ai pas pu trouver un seul livre en anglais racontant son histoire. Il n’y a toujours pas de véritable biographie en anglais. J’ai reconstitué autant de son histoire que j’ai pu trouver dans les chapitres de divers livres sur l’intégration européenne et le réarmement moral et j’ai écrit de courts articles à son sujet. Lorsqu’en 2010 j’ai décidé de créer le Centre Schuman, j’avais prévu d’écrire une brochure expliquant pourquoi nous avions choisi son nom pour le centre. Des amis m’avaient dit que comme personne ne connaissait le nom, il ne serait pas compris. Pourquoi ne pas utiliser un nom biblique ou celui d’un réformateur ? m’ont-ils suggéré. Ma réponse a été que nous devions faire connaître son histoire et que cela provoquerait la question « Schuman, qui était-il ? ».
Avant de lancer le centre lors d’un événement à Bruxelles le 9 mai 2010, exactement 60 ans après la déclaration Schuman de 1950, Romkje et moi avons passé trois mois en famille en Nouvelle-Zélande. J’avais prévu de retourner en Europe via Perth, où je devais enseigner.
Cependant, je me suis retrouvé bloqué pendant deux semaines à Perth à cause du nuage de cendres volcaniques islandais ! L’aéroport de Singapour était fermé, m’a-t-on dit lorsque je suis venu prendre mon vol. Ces deux semaines supplémentaires inattendues m’ont donné l’occasion d’écrire la « brochure » qui est devenue un livre, racontant l’histoire de Schuman et retraçant l’évolution du projet européen. Alors que Schuman avait prévenu que « cela ne doit pas seulement être un projet économique et technologique ; il lui faut une âme », la dimension spirituelle est délaissée par une direction politique de plus en plus laïque.
Avant de finalement prendre mon avion pour l’Europe, j’ai téléchargé mon livre chez mon éditeur qui avait une copie imprimée prête pour moi à mon arrivée à Amsterdam. Depuis lors, le livre, Deeply Rooted en anglais, a été traduit dans plusieurs langues européennes, ainsi qu’en coréen. Le titre français, qui n’est pas encore sorti en France, est : Qui a gagné la paix ?
C’était donc la première chose que je voulais souligner : l’histoire du pardon chrétien et de la réconciliation qui a marqué le début de l’intégration européenne. Je pense que nous avons au moins partiellement réussi à faire connaître son histoire parmi les évangéliques. Et aussi pour remettre en question le mythe largement répandu selon lequel le projet européen était un complot romain. Au contraire, nous espérions défier la communauté évangélique en Europe de sortir de son apathie, son indifférence et son ignorance, et reconnaître notre responsabilité dans la contribution à l’avenir de l’Europe.
J’ai également souhaité sensibiliser à notre responsabilité d’aider à redonner une « âme » à l’Europe, comme l’a mis en garde Jacques Delors lorsqu’en 1995, alors qu’il prenait sa retraite de président de la Commission européenne, il interpellait les chefs religieux : « Si nous n’avons pas trouvé une âme pour L’Europe d’ici dix ans — et je veux dire par là un sens et une spiritualité — la partie sera finie. » Nous ne pouvons pas attendre des hommes politiques qu’ils fassent cela, ce n’est pas leur compétence. C’est la compétence des communautés religieuses.
Un autre objectif du livre est de faire prendre conscience de la façon dont l’UE est née comme un projet de paix impliquant le partage de la souveraineté nationale, et donc l’interdépendance, pour créer une communauté coopérative, et non un club exclusif de nations rivales, chacune en compétition pour sa ‘part de tarte’. Schuman a déclaré au Conseil de l’Europe en 1949 que l’esprit européen signifiait « être conscient d’appartenir à une famille culturelle et avoir la volonté de servir cette communauté dans un esprit de mutualité totale, sans aucun motif caché d’hégémonie pour l’exploitation égoïste d’autrui ».
4 Comment percevez-vous l’évolution de l’Europe ?
Si vous entendez par « Europe » la péninsule occidentale de la masse continentale eurasienne (souvent appelée à tort un « continent », comme je l’ai fait ci-dessus) et la civilisation qui s’y est développée, alors nous devons reconnaître ce que l’athée Richard Dawkins a souvent affirmé : « Vous ne pouvez pas comprendre l’Europe sans comprendre le christianisme et la Bible ». L’historien Christopher Dawson écrivait, il y a environ soixante-dix ans : « Nous ne pouvons pas commencer à comprendre l’Europe sans étudier la tradition de la culture chrétienne, qui était le lien originel de l’unité européenne et la source de ses objectifs spirituels communs et de ses valeurs morales communes ».
Qu’est-ce qui a fait de l’Europe « l’Europe » ?, pouvons nous nous demander, sachant que nos ancêtres sont venus de l’est en tant que tribus migrantes (y compris les Francs), parlant des langues indo-européennes et adorant de nombreux dieux. Qu’est-ce qui a donné à la péninsule européenne un sentiment d’identité si fort par rapport à l’Est qu’elle a été considérée comme un continent, c’est-à-dire une masse continentale contiguë ? Réponse : la venue de la Bible.
L’histoire introduite par des messagers tels que Paul, Patrick, Colomban, Willibrord, Boniface, Basile, Grégoire, Cyrille et Méthode à des groupes de personnes allant de l’Arménie à l’Islande a transformé les anciennes visions païennes du monde du polythéisme au monothéisme, d’une compréhension de soi humaine à la reconnaissance d’être créé à l’image de Dieu dans une fraternité universelle, et du « droit du plus fort » et « œil pour œil » à l’amour du prochain, voire de l’ennemi.
L’auteur britannique Tom Holland (non, pas « Spiderman ») l’a découvert récemment après avoir écrit sur les Babyloniens et les Égyptiens, les Grecs et les Romains, et réalisé à quel point ces cultures étaient cruelles par rapport aux normes européennes modernes. Se demandant d’où venaient ces valeurs, de miséricorde et de compassion, de se tenir près de l’opprimé, il a réalisé que c’était le christianisme. Dans son livre, Dominion, en français, ‘Les chrétiens : comment ils ont changé le monde’[3], il montre l’influence omniprésente des concepts chrétiens sur la culture européenne, y compris le concept de « séculier » lui-même, un mot faisant à l’origine référence à cette époque actuelle, même utilisé dans la version latine de la prière du Seigneur.
Depuis les Lumières, les laïcs ont mis l’accent sur les racines classiques de l’Europe, telles que les compétences organisationnelles des Grecs et l’héritage juridique des Romains. Des étiquettes comme « l’âge des ténèbres » et l’architecture « gothique » (barbare) reflétaient le mépris humaniste de l’héritage chrétien. Pourtant, les concepts de dignité humaine, de droits de l’homme et d’égalité devant la loi, voire de « liberté, égalité, fraternité », ne sont pas issus de la période classique, mais sont le fruit de la révélation biblique. L’idée d’êtres humains créés à l’image de Dieu est le fondement historique des droits de l’homme. S’il s’agit simplement de produits de « la boue et du temps » (slime plus time), d’où les humains tirent-ils leur dignité et leur sainteté ? L’égalité morale est un concept défendu par l’apôtre Paul, qu’Holland appelle le plus grand révolutionnaire de tous les temps. Et est-il possible de parler de fraternité sans parler de paternité ?
Le nationalisme et la sécularisation sont considérés par certains chercheurs comme ancrés dans la Réforme. Dawson a fait valoir que le nationalisme, qui a émergé après la Réforme lorsque les protestants avaient tendance à se concentrer uniquement sur leurs propres nations, a conduit chaque peuple européen à insister sur ce qui le distinguait des autres, au lieu de ce qui l’unissait à eux. Le philosophe canadien Charles Taylor fait remonter le processus de sécularisation au « désenchantement » de l’univers à l’époque de la Réforme, lorsque les monastères étaient sécularisés du jour au lendemain — c’est-à-dire utilisés à des fins laïques ; et l’ère subséquente du déisme lorsque Dieu n’était plus considéré comme étant directement impliqué dans les affaires humaines.
Malgré les réactions à l’idée d’un Dieu lointain exprimée dans le piétisme, et les réveils (revivals et awakenings), la laïcité définie comme l’inutilité de la religion pour la vie quotidienne est devenue la norme pour une grande partie de l’Europe occidentale à la fin du XXe siècle. Même les chrétiens « croyants en la Bible » ne sont généralement pas conscients de la mesure dans laquelle la Bible a façonné la culture européenne, y compris l’art et la musique, l’architecture et le design, l’agriculture et le jardinage, les affaires et l’économie, les villes et les nations, la dignité et les droits, l’éducation et l’érudition, l’éthique et la moralité, la santé et l’hospitalité, le droit et la justice, la langue et la littérature, le mariage et la famille, la politique et la démocratie, la science et la technologie, le temps et l’histoire, la guerre et la paix… Les Européens deviennent culturellement illettrés, car ils ne connaissent pas la Bible, et ne peuvent pas comprendre l’art qu’ils voient dans les galeries (par exemple Rembrandt ou Carravagio), la musique qu’ils entendent dans les salles de concert (par exemple Bach ou Haendel), les livres qu’ils lisent à la bibliothèque (par exemple Shakespeare, Tolstoï ou même Victor Hugo).
5 Aujourd’hui, l’agression contre l’Ukraine est une tragédie. Comment envisagez-vous cet événement, ses conséquences ?
Encore une fois, nous ne pouvons pas comprendre la guerre actuelle que la Russie mène contre l’Ukraine sans comprendre la dimension religieuse. Il faut remonter plus de mille ans en arrière jusqu’à la conversion des peuples slaves sous Vladimir le Grand en 988, à Kiev ; et six cents ans avant la chute de Constantinople (la deuxième Rome) aux Turcs, lorsque le prince de Moscou (la troisième Rome) a repris le rôle des empereurs orientaux de Byzantine en tant que défenseur de la foi orthodoxe. Vladimir Poutine considère qu’il a un mandat divin pour défendre l’orthodoxie russe et les russophones partout.
Les théologiens orthodoxes non russes ont condamné la forme de « fondamentalisme religieux ethno-phylétiste » orthodoxe, promue par le président Poutine et le patriarche Kirill, appelée Russkii mir ou le monde russe, un faux enseignement de caractère totalitaire, qui attire de nombreux membres de l’Église orthodoxe. Leur déclaration :
(https://acadimia.us8.list-manage.com/track/click ? u=9eb49964b8f057dadfc67eaea&id=71ca4c5832&e=90e990dbc0)
décrit l’enseignement comme suit : « Il existe une sphère ou une civilisation russe transnationale, appelée Sainte Russie ou Sainte Rus’, qui comprend la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie (et parfois la Moldavie et le Kazakhstan), ainsi que les Russes de souche et les russophones du monde entier. Il soutient que ce “monde russe” a un centre politique commun (Moscou), un centre spirituel commun (Kiev comme “mère de tous les Rus”), une langue commune (le russe), une Église commune (l’Église orthodoxe russe, Patriarcat de Moscou), et un patriarche commun (le patriarche de Moscou), qui travaille en “symphonie” avec un président/dirigeant national commun (Poutine) pour gouverner ce monde russe, ainsi que pour défendre une spiritualité, une moralité et une culture communes et distinctives. »
Poutine avait déclaré à plusieurs reprises que l’effondrement de l’Union soviétique était la plus grande tragédie du XXe siècle — un siècle avec deux guerres mondiales au cours desquelles des millions et des millions de personnes ont été tuées ! Son objectif est de faire revivre la gloire de l’empire russe, un empire qui ne reconnaît pas l’Ukraine en tant que nation ou peuple distinct. En fait, l’existence d’une nation démocratique avec une population assumant la responsabilité de son propre avenir, rejetant le régime des oligarques et des autocrates et luttant contre la corruption en son sein, et avec un dirigeant qui démontre les valeurs que l’UE prétend défendre, est une grande menace pour l’administration corrompue de Poutine. Prétendant dénazifier sa terre voisine, il utilise des tactiques tout droit sorties de Mein Kampf, y compris l’annexion de la Crimée, qui rappelle l’anschluss d’Hitler en Autriche, et la piste de mort gratuite et de destruction jamais vues depuis le règne d’Hitler.
Parmi les autres facteurs géopolitiques, citons les vastes gisements de pétrole et de gaz découverts en 2012, deux ans avant l’invasion de la Crimée, qui auraient potentiellement pu saper le quasi-monopole de la Russie sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe. De plus, la perturbation de l’approvisionnement en blé de l’Ukraine vers l’Europe, l’Afrique et d’autres continents peut déstabiliser les nations et provoquer un nouveau flux de migrants, ce qui fait pression sur les gouvernements occidentaux.
Bref, l’Europe et le monde occidental sont à un carrefour historique. Les Ukrainiens luttent pour la démocratie, la justice et la paix au nom de nous tous. Ils ont désespérément besoin du soutien des nations occidentales. Les nations occidentales ont désespérément besoin des Ukrainiens pour l’emporter. Il n’y aura pas de paix, de pardon et de réconciliation tant que Poutine n’aura pas changé radicalement d’avis ou qu’il ne soit mis à l’écart, pas plus que la paix, le pardon et la réconciliation étaient possibles après la Seconde Guerre mondiale alors qu’Hitler respirait encore.
Au cours des deux années qui ont précédé l’arrêt de la pandémie, j’ai été invité à plusieurs événements à Kiev et à Lviv avec des pasteurs, des politiciens et des dirigeants de la société civile. Un forum national a réuni des représentants militaires, agricoles, éducatifs, gouvernementaux, religieux et de la santé, dont l’ancien président Victor Iouchtchenko et le général d’armée responsable du front oriental. Ils ont tous reçu un exemplaire de mon livre Deeply Rooted sur l’histoire de Schuman, en ukrainien. Assis à côté d’un mufti de la communauté musulmane, j’ai raconté pendant vingt minutes comment la paix était arrivée en Europe occidentale grâce au pardon et à la réconciliation.
Lors d’un autre événement, 150 pasteurs pentecôtistes de tout le pays s’étaient réunis pour recevoir des exemplaires du même livre et pour entendre et discuter l’histoire de Schuman. Hanna Hopko, alors présidente de la commission parlementaire des affaires étrangères (que j’ai récemment interviewée), m’a parlé dans son bureau pendant 90 minutes du pardon et de la réconciliation. De l’autre côté de la frontière polonaise à Rzeszów, aujourd’hui le principal point de livraison d’armes occidentales pour l’armée ukrainienne, on m’a demandé de donner « une perspective spirituelle » lors d’une conférence Europe-Ukraine. À ma grande surprise, les délégués ont éclaté en applaudissements spontanés lorsque j’ai expliqué comment le pardon « avait vidé le marais ».
L’historien russe Andrej Zubov estime que nous devons commencer à réfléchir dès maintenant à l’avenir d’une Europe unie. La Russie est aujourd’hui dans la même situation que l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. « Nous, par nos actes d’agression, avons commis de nombreux crimes au sens du droit international et des lois de la guerre. » La réconciliation et l’unité entre la Russie et l’Europe, reconnaît-il, ne seront possibles qu’après un changement de leadership.
Si et quand l’Ukraine l’emporte, cela aura d’énormes implications pour les autres nations postsoviétiques — et pour les autocraties qui maintiennent leurs populations dans une semi-servitude. Nous prions afin de pouvoir considérer 2022 comme un moment de la grâce de Dieu dans l’histoire européenne, tout comme l’ont été la déclaration Schuman de 1950 et 1989 avec la chute du communisme.
Que la vérité l’emporte ! Que la volonté de Dieu soit faite en Ukraine et en Russie comme au ciel.
[1] https://www.schumancentre.eu/
[2] Vous pouvez aussi consulter https://weeklyword.eu/fr/ et https://www.youtube.com/c/schumantalks/videos
[3] https://vivreetesperer.com/comment-lesprit-de-levangile-a-impregne-les-mentalites-occidentales-et-quoiquon-dise-reste-actif-aujourdhui/