Interview de Pierre LeBel
- Peux-tu, PIERRE, te présenter en quelques mots aux lecteurs de Témoins ?
Je suis Québécois, marié à Alice depuis 45 ans. Nous avons 3 enfants, tous mariés, et 5 petits-enfants. J’ai été le fondateur et directeur du centre de Jeunesse en Mission (JEM) à Montréal de 1986 à 2019. Je suis l’un des anciens de JEM Canada et l’un des responsables pour le réseau des centres de JEM dans les villes d’Amérique du Nord. Depuis ma conversion en 1973, à 21 ans, je me sens appelé à rendre l’Évangile accessible et pertinent pour la génération actuelle. Mon souci est de contribuer à l’interprétation de l’Évangile au cœur de notre société devenue postchrétienne.
- Selon quelle intention et dans quel but as-tu créé l’espace de conversation spirituelle et théologique sur Facebook : TranscendArts ?
À l’origine, j’ai créé TranscendArts, blogue et dialogue, afin de faire connaître un cours d’introduction à la spiritualité chrétienne que j’offrais depuis quelques années déjà. Celui-ci a donné naissance à mon livre, Imago Dei, devenir pleinement humain. J’ai rapidement commencé à publier de courts textes afin d’aider les chrétiens des églises évangéliques en particulier à mieux comprendre et être témoins de la foi dans le contexte de la laïcité récente du Québec. J’ai aussi fait connaître des auteurs, des livres, des articles de journaux et des évènements que je considérais comme étant pertinent pour ce qui est de la foi en lien avec la culture. À cet effet, j’ai pu contribuer au lancement du film de Guillaume Tremblay, L’Heureux naufrage (2014), ainsi que faire la promotion d’une série de conférences que nous avions organisées dans un bistrot en relation avec des thèmes clés du film. Parmi nos invités, nous étions heureux d’avoir Frédéric Lenoir qui a aussi été invité à l’émission de télévision la plus regardée au Québec, Tout le monde en parle, où il a fait un exposé éblouissant de l’Évangile. Le groupe FB est public et donc visible au grand public. Il propose comme description ce qui suit :
TranscendArts, blogue et dialogue, s’intéresse à la question de la spiritualité et de l’engagement chrétien au sein de la société laïque et postchrétienne qu’est le Québec actuel.
- Dans quel contexte et quand ?
J’ai créé le blogue le 25 septembre 2013 pour annoncer le cours d’introduction à la spiritualité chrétienne. Le logo, TranscendArts, avait été conçu par une graphiste qui était membre d’un comité que j’avais formé au début de la décennie pour la réalisation d’un projet d’art dans le Métro de Montréal pendant la Semaine sainte, le pèlerinage des stations, s’inspirant du chemin de la croix. Celui-ci n’a jamais vu le jour, le projet ayant été abandonné par manque de fonds. Elle m’a permis d’utiliser le logo pour FB en y ajoutant les mots « blogue et dialogue ».
- Quelle a été l’évolution de la participation (visites et interventions) ?
Étant déjà bien réseauté avec ma propre page Facebook au moment du lancement de TranscendArts, j’ai pu inviter rapidement un bon nombre de personnes. Je ne peux donner de chiffres précis, mais probablement que nous étions entre 200 et 300 personnes dès le début. Aujourd’hui, plus de 700 personnes y sont abonnées. L’appartenance des membres est diverse. La communauté principale est Québécoise et évangélique, avec un nombre important de Français, de Suisses ainsi que d’autres pays. D’autres membres sont catholiques et d’autres encore n’ont aucune foi, quelques-uns se disant même athées.
Ce que je remarque, selon les statistiques du groupe proposées par FB, est que les publications sont lues souvent par plus de 200 et, parfois, 300 personnes. Certaines publications sont partagées par les membres sur leurs propres pages ou dans d’autres groupes, tout comme je le fais à l’occasion moi-même. Quoi qu’il en soit, ils sont peu à « aimer » officiellement les publications, les lecteurs et lectrices choisissant le plus souvent de demeurer discrets. Quand une vingtaine ou plus de personnes « aiment » une publication, je sais que le sujet les rejoint particulièrement. Ce sont souvent les mêmes personnes, mais pas toujours, qui s’expriment dans les commentaires pour ajouter à la réflexion ou pour s’y opposer. De temps à autre, des débats d’idées peuvent dériver et s’éterniser, mais c’est plutôt rare.
- Comment perçois-tu l’originalité de cette initiative dans le contexte québécois, et plus largement dans le contexte francophone ?
À ma connaissance, TranscendArts est le seul blogue sur Facebook au Québec dédié à comprendre la foi en postchrétienté. D’autres individus et groupes peuvent en faire mention, mais c’est plutôt l’exception. Pour ce qui est du milieu évangélique québécois — et je crois que c’est la même chose en Europe francophone —, il est à mon avis peu conscient de l’ampleur des changements que provoque la postchrétienté sur la société et la perte d’influence et de pertinence du message évangélique traditionnel. Les Églises ne semblent pas motivées à repenser leurs compréhensions de l’Évangile et de l’Église, celles-ci étant figées dans l’idée millénaire de la séparation de l’Église et du monde. TranscendArts cherche à proposer des moyens de comprendre la foi et d’agir conséquemment au cœur du monde, dans les projets et les débats de société, en tant que citoyens du monde, là où nous avons à vivre, exprimer et interpréter l’Évangile. La théologie devient alors un phénomène public ou doit le devenir sans quoi notre voix n’a plus aucune portée. l
- Quelles sont les thématiques jusqu’ici les plus abordées ? Quelles sont celles qui émergent aujourd’hui ?
En faisant le bilan de ce que j’ai publié depuis 2013, je constate trois thématiques principales qui ont orientées et encadré le choix des publications pour donner un sens à TranscendArts. Avant de les énumérer, il est important de souligner la grande variété des publications, allant de courtes réflexions personnelles jusqu’à la présentation d’une pièce musicale ou d’un lien vers un article dans la presse montréalaise. Le but est de capter l’attention et satisfaire l’appétit des lecteurs et des lectrices. La nature des médias sociaux se résume par le très court moment d’attention porté par ceux-ci à ce qui leur est présenté et ceci à cause de l’abondance sans fin d’amis, d’organismes, de causes, de médias et j’en passe,
qui cherchent à les fidéliser. Il est aussi à noter que les lecteurs et lectrices ne sont pas tous théologiens ou intellectuels, mais des croyants adeptes de la culture qui cherchent aussi à se divertir. Le défi est de capter leur attention. Les textes sont souvent présentés comme une seule bouchée de quelques mots, images ou sons. D’autres textes sont plus élaborés et engagés théologiquement.Les trois thématiques principales :
a) L’Église dans le monde. Le lieu de l’Église est le monde dans lequel Jésus a envoyé ses disciples. Ce monde est devenu postchrétien, un amalgame de la sécularisation, la laïcité, la postmodernité et la postsécularité[1], et au sein duquel nous sommes témoins de Jésus-Christ. Quels sont les enjeux pour l’Église et la foi chrétienne ?
Je cherche à définir ce nouveau contexte qu’est la postchrétienté et puis transmettre une vision holistique de la rédemption : la réconciliation avec Dieu (spirituel), avec soi (psychologique), avec notre prochain (sociale) et avec la terre (à la fois écologique et économique). Le royaume de Dieu est la réconciliation de toutes les réconciliations (pour Paul, il s’agit de « la réconciliation de tout ce qui est dans les cieux et sur la Terre » [Eph 1,10 ; Col. 1,20]. Cela me permet de définir ce qu’est le monde, ses sphères culturelles, sociales et politiques, et enfin transmettre comment nous sommes appelés en tant que croyants à participer à la gouvernance du monde.
b) Une spiritualité de plénitude. Pour vivre sa foi en tant que témoin dans le monde, l’identité du chrétien doit être fondée sur l’inhabitation de Jésus Christ, du Père et du Saint-Esprit. Ainsi notre source première n’est plus le monde, mais celui en qui nous avons appris à demeurer en communion, « car en lui nous avons la vie, le mouvement et l’être » [Actes 17,28]. Je cherche à transmettre une spiritualité d’intériorité, la prière centrée ou méditative, dont le langage et les pratiques sont peu connus dans les milieux protestants et évangéliques. J’explore et fais connaître certains auteurs catholiques ou orthodoxes, des mystiques de la foi chrétienne. Je propose une foi véritablement universelle avec l’idée que tout ce qui a été reçu de l’Esprit saint depuis la Pentecôte à aujourd’hui, quel que soit le moment de l’histoire, la tradition ou la dénomination, l’enseignement ou la pratique, fait partie de notre héritage spirituel à tous et nous n’avons pas à nous en priver.
Voici une publication récente :
PRIÈRE MÉDITATIVE
La vie qui est mienne, je la vis dans la plénitude créatrice de celui en qui « nous avons la vie, le mouvement et l’être ». Elle me conduit toujours vers l’émerveillement, la reconnaissance et la révérence. La vie consciente, pensante et aimante qui précède, initie et soutient toute vie, et que nous appelons Dieu, nous guide intérieurement vers l’union et la communion de la foi et nous accompagne extérieurement dans notre participation dans l’ensemble des sphères que comprend la communauté humaine : religieuse, culturelle, sociale et politique. La spiritualité chrétienne a pour but de nous enraciner le plus profondément possible dans une communion intime avec Dieu afin de permettre à chacun la possibilité d’ouvrir leur cœur et esprit pour accueillir et embrasser le monde le plus largement possible.
c) Vers une pratique missionnelle de la foi. La dernière thématique est simple et représente un nombre important de publications dans TranscendArts. Il s’agit, en fait, des mises en pratique multiples et variées du cadre théologique que nous proposent les deux premières thématiques, ceci dans le but de promouvoir une vision et une pratique missionnelle des chrétiens et des églises par leurs participations aux projets et débats de société en tant que citoyens, chacun et chacune dans les sphères qui les concernent, qu’elles soient culturelles, sociales ou politiques, croyant que c’est depuis l’intérieure du monde que nous avons à interpréter l’Évangile. À cet effet, je publie des textes ou partages des articles qui font référence à des enjeux sociaux actuels, dont l’écologie. Je m’intéresse depuis longtemps à la question de l’immigration et des réfugiés au Québec et dont je suis critique de la politique du gouvernement actuel. J’ai pris position à maintes reprises en faveur des droits des peuples autochtones du Canada. Depuis deux semaines, je publie des articles de journaux et de revues concernant la brutalité policière, suite au meurtre de George Floyd, tout en faisant savoir ma participation à une marche pacifique avec plus de 10 000 personnes dans les rues de Montréal pour laquelle je me suis préparé une pancarte :
TOUTES LES VIES COMPTENT
NOIRS, AUTOCHTONES, IMMIGRANTS & RÉFUGIÉS
À TOUS LA DIGNITÉ
La dignité à laquelle je fais référence est fondée sur l’image de Dieu dont chacun est porteur. Ma présence à la marche était aussi une présence en prière pour m’identifier à la souffrance et à la colère de ceux ayant été traités injustement. J’ai pu aussi joindre ma voix aux demandes des manifestants pour des changements dans la pratique policière et ainsi exprimer ma participation en tant que citoyen chrétien à la gouvernance de ma ville, de ma province, de mon pays et du monde.
- Quelles sont les personnalités les plus fréquemment consultées comme ressources ?
Je reçois chaque matin les méditations du père franciscain, Richard Rohr, le fondateur du Center for Action and Contemplation[2] au Nouveau-Mexique, qui aborde tant de thèmes théologiques pertinents pour l’Église aujourd’hui. Je reçois aussi tous les jours les courriels de l’organisme, Sojourners[3], situé à Washington depuis presque cinquante ans. Son fondateur, Jim Wallis, représente une voix chrétienne incontournable pour moi dans ma compréhension de la foi et son articulation sociale et politique aux États-Unis. La tendance de Sojourners vers la gauche fait contrepoids à la droite religieuse dans ce pays. Jeff Fountain, directeur du Schuman Center for European Studies[4] à Amsterdam, est un ami de longue date dont je reçois chaque semaine, en anglais comme en français, sa pensée de la semaine. Il me permet, tout comme le fait Témoins, à mieux comprendre les enjeux de la foi chrétienne sur le continent européen. Le philosophe irlandais, Peter Rollins, m’interpelle par sa « pyrotheology »[5], une version de la théologie radicale. Bien sûr, Jeunesse en Mission m’offre un cadre pour débattre de certains enjeux de la mission chrétienne avec mes collègues. Enfin, ici à Montréal, le Forum missio Dei, un petit groupe de réflexion théologique et missiologique dont je suis membre ainsi que l’est le théologien, Martin Bellerose, me permet aussi un lieu d’échanges riche et stimulant. Autrement, mes lectures sont variées et je continue à découvrir de nouveaux auteurs qui m’amènent toujours plus loin sur le chemin de la foi.
- Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté ?
TranscendArts m’offre un lieu où je peux facilement partager certaines de mes convictions publiquement avec un nombre suffisamment important de personnes parmi lesquelles quelques-uns viendront enrichir le dialogue avec leurs points de vue, et d’autres encore s’y opposer pour les raisons qui sont les leurs. TranscendArts permet d’échanger et de débattre la justesse d’une perspective théologique ou la pertinence d’une action particulière. Les [bientôt] sept années de TranscendArts m’ont permis de mieux comprendre et, j’espère, encore mieux exprimer mes convictions. Ils m’ont aussi permis de mieux saisir les sensibilités des chrétiens évangéliques québécois et de créer des amitiés avec des personnes que je ne connaissais pas auparavant. C’est un lieu qui me permet de grandir et où j’apprends à aimer même mes détracteurs. Selon les objections à mes publications, je dois parfois passer plusieurs heures ou attendre le lendemain pour savoir comment y répondre, tout en étant honnête et respectueux. Le fer aiguise le fer.
- Quels échos reçois-tu des participants ?
Il m’arrive que des lecteurs ou des lectrices m’envoient un message personnel pour demander conseil. Récemment, un jeune leader d’un organisme missionnaire en France m’a demandé comment approfondir sa relation avec Dieu et comment mieux voir le développement de son ministère. À Montréal, le leader d’une organisation m’a demandé de le rencontrer à l’occasion en tant que mentor. Un troisième, faisant des recherches pour sa maîtrise [masters] en théologie, m’a également contacté. Cela m’apporte beaucoup de pouvoir les encourager dans leurs propres marches. À l’occasion, je reçois aussi des messages comme celui d’un ami professeur me remerciant pour TranscendArts et me disant l’importance de celui-ci.
Animateur de TranscendArts, Pierre LeBel est aussi depuis longtemps engagé dans la vie chrétienne du Québec comme nous en informe son interview en 2012 :
Aujourd’hui, Pierre est partenaire de Témoins à travers ses contributions sur ce site:
https://www.temoins.com/parcours-de-foi-aux-marges-cadres-institutionnels/
[1]Pierre LeBel, Avancées vers l’inculturation des Églises émergentes dans la société québécoise postchrétienne : des pistes ecclésiales et missiologiques à retenir?, p 35-38. https://corpus.ulaval.ca/jspui/handle/20.500.11794/37921;jsessionid=03B1817431391B235B55D63FC73661D3?mode=full
[2] https://cac.org/#gsc.tab=0