Quatre étudiants chrétiens nous parlent de leurs expériences et leur désir d’église.
Permettez-nous de nous présenter.
Nous sommes jeunes, plutôt étudiants pour la plupart, originaires d’églises protestantes évangéliques et mennonites, et quand la rédaction de Témoins nous demande de partager notre vécu et notre avis sur l’église en tant que jeunes adultes, on se demande si ils savent à quoi ils s’exposent.
Parce qu’on se sent actuellement plutôt en marge des courants majoritaires de la jeunesse de l’église. Les vieux, en général, on les aime bien, l’âge leur a appris l’écoute et le discernement. Nous avons voulu nous éloigner des pratiques qui voudraient que nous gâchions notre fougue à défendre des idées récitées par cœur sans avoir eu le bon sens de les soumettre à l’épreuve de la vie, de l’expérience, du ressenti. C’est parce que nous n’aimons pas les réponses simples que chacun de nous s’est à un moment ou à un autre senti exclu dans son groupe de jeunes au sens large, et qu’il y a tout juste deux ans nous avons commencé à discuter entre nous de comment nous vivions notre foi, de ce que nous voulions pour notre église. Nous avons fondé un groupe d’étude, sobrement nommé Etudes Bibliques Dissidentes, et nous nous réunissons toutes les deux semaines sur Paris pour échanger sur un texte ou un thème sans langue de bois.
Aussi, pour parler de notre vécu en église, nous avons fait face à ce foisonnement d’expériences, de visions, de revendications. Plutôt que de proposer une solution miracle nous avons trouvé plus constructif que chacun fasse une proposition pour l’église d’aujourd’hui.
Pierre, Amandine, Priscille et Jonathan pour le groupe Etudes Bibliques Dissidentes. (EBD)
Une église en réseau
Je ne comprends pas ce que veut dire l’expression faire église. C’est peut-être ce que certains de mes frères recherchent, quand ils cherchent au culte le sentiment d’être nombreux, de se retrouver en masse. Ils aiment voir l’église se retrouver régulièrement, grandir, se fortifier. Mais pour moi faire corps n’est pas faire église. J’ai une vision plus fragmentée : Mon église, c’est celle où je vais le dimanche, toutes celles que je visite, mes différents groupes d’études bibliques, les scouts, les rencontres oecuméniques qui m’enrichissent, ce sont tous les endroits où je vis ma spiritualité.
Du coup, peut être perds-je mon intérêt pour l’église traditionnelle, celle qui se réunit le dimanche matin ? Mais je suis tellement en train de bouger que j’ai besoin de choses qui bougent avec moi, pas d’une forme figée. Le culte, c’est une ancre dans ma vie spirituelle qui tantôt me ralentit et tantôt me rassure.
Je pense toutefois que vivre en église a son intérêt. C’est déjà toujours un exploit qu’on mélange des gens de cultures, d’âges et de classes sociales aussi différents et qu’on arrive à s’entendre. L’église que je fréquente est un bel exemple de brassage transculturel et trans-générationnel. Mais pour maintenir ça, il faut accepter qu’elle évolue lentement, au rythme de la foule. Je crois que nos églises subissent toujours un décalage trop important face à la société. On se coupe souvent du monde et l’on s’étonne d’être incompris.
S’il y avait un moyen de faire évoluer une église sans risque, on l’aurait sûrement déjà trouvé. Mais c’est là que mon système d’église fragmentée répond à mes besoins. Mes expériences sur l’église de demain, je les tente en petits groupes et je rapporte ce qui marche à mon église. Pour s’adapter au monde dans lequel on vit, je crois que l’église doit développer des systèmes de réseaux en fonction des demandes de chacun, et surtout de leur rythme !
Pierre
Une église plus humaine
Faire église pour moi c’est vivre en communauté. Et c’est pour cela que c’est important d’appartenir à une église. Cela permet de vivre des choses ensemble et de se soutenir les uns les autres. Se connaître. Faire église c’est rendre plus concret la solidarité qui peut exister entre les hommes, c’est se rassembler dans un même lieu et participer à des activités communes (chants, prières, repas…), où tous peuvent prendre part puisqu’il y a l’idée qu’on est tous également enfants de Dieu.
Faire église c’est créer et entretenir des liens forts pour pouvoir accueillir l’autre et soutenir ceux qui souffrent.
C’est pourquoi selon moi l’église ne doit pas nous charger de fardeaux supplémentaires mais nous libérer. Une église idéale pour moi serait une église où l’on puisse confesser ses péchés et ses faiblesses publiquement et pouvoir se pardonner. Bien sûr cela est très difficile à mettre en œuvre, et il ne faut pas que l’église ait une taille trop importante. Mais cela permettrait de prêcher sur des thèmes proches de nos problèmes et cela empêcherait les discours tout faits et hypocrites.
Je cherche une église sans hiérarchie, sans un leader mais plutôt un lieu où les gens peuvent exprimer librement leurs désirs, leurs attentes, et leurs talents. Dans mon église il y a une vision forte à suivre ce qui paralyse la potentialité des talents certains de ceux qui sont en marge de la vision.
L’église que je connais et dans laquelle j’ai grandi donne une place importante au partage de sujets de prière, et c’est quelque chose que j’apprécie. Mais le dialogue entre les jeunes adultes et les plus âgés est difficile. Il n’y a aucun adulte plus âgé de l’église que je connaisse vraiment. Mais nos vies sont tellement différentes… je ne pense pas qu’il soit possible que cet aspect change. Pour qu’une église trans-générationnelle puisse marcher, il faudrait pouvoir faire des activités ensemble hors de l’église. Les moments de retraite sont toujours des moments privilégiés où l’on peut apprendre à connaître les autres.
Une église transculturelle est possible si on ne cherche pas à tout unifier, si on accepte des aménagements en termes de rites, d’organisation,… Il me semble nécessaire de laisser tour à tour les divers groupes culturels ou d’âge apporter leur contribution pour que tous fassent l’église.
L’église pour moi c’est former un seul corps, avec nos différences, en se complétant, dans la vérité et l’amour !
Amandine et Jonathan
L’église à idées (une église feu d’artifice)
L’église, c’est un réservoir d’idées. Être ensemble c’est penser ensemble et accepter ce que les autres proposent. Pour moi, l’important de vivre en église est de côtoyer une diversité d’approches. Faire église permet aussi de rencontrer des adultes chrétiens et de profiter de leur réflexion, de leurs doutes, de leurs difficultés. C’est important de profiter de leur maturité, du nouveau discernement de ceux qui ont été travaillés par la vie et qui savent que tout n’est pas tout noir ou tout blanc.
Mon église rêvée – et mon église actuelle s’y essaie – serait une église qui change, qui propose des façons innovantes de vivre sa foi. Nous avons essayé plusieurs formules : des groupes de maison, des cours alpha, des comédies musicales, des concerts, une bibliothèque, des marches méditatives, une pâque juive où l’on a mangé des herbes amères (je vous le déconseille), des cultes sur les 5 sens. Certaines propositions ont duré 15 jours, d’autres 6 mois et certaines même perdurent. L’église c’est l’ouverture. C’est rencontrer des gens qui ont d’autres passés, d’autres fois, d’autres idées farfelues.
Pour construire les cultes j’apprécie donc particulièrement les apports extérieurs : les échanges de chaire, la liturgie, les recueils de textes, les chants d’autres confessions chrétiennes, etc.
À cet égard je suis plutôt satisfaite de l’église que je fréquente aujourd’hui. Il y a des étincelles de génies, des idées bizarres, des personnalités variées, des cultes inégaux, des interruptions du message pour faire une boutade au prédicateur. On reproche rarement à quelqu’un d’avoir proposé quelque chose hors de la ligne. On lui donne des conseils bien sûr, quand c’est utile pour se former et progresser mais la participation est toujours encouragée.
C’est là la clé vers une église trans-générationnelle. Mon église est relativement jeune, mais néanmoins nous avons une certaine difficulté de communication entre les générations. De laisser les autres, et donc les jeunes, proposer leur propre style améliore les relations. J’ai pour vous une idée pour encourager ce dialogue que nous avons récemment expérimenté : le moment de prière sur base d’une question posée à tous. Chaque petit groupe pioche un papier sur lequel il y a une question : « est-ce que votre voisin est ou a été engagé dans une association ? » « Quelle formation a-t-il suivi ? », etc. Tout le monde répond puis on prie pour les engagements de chacun. En faisant l’expérience je me suis aperçue que je connaissais très mal la vie de personnes que je fréquente depuis l’enfance. Et j’ai redécouvert ma voisine en apprenant qu’elle avait suivi une formation d’apiculteur. Ça nous permettait également de prier en ayant une prise sur les réalités de la vie du voisin.
Le jusqu’au-boutisme d’une telle église diversifiée serait bien sûr une église transculturelle. Mais nous le vivons déjà tous à notre échelle : les églises des autres confessions sont d’une autre culture ! Ce que j’ai remarqué c’est qu’on peut faire église ensemble à partir du moment où l’on se penche sur un projet commun. Par exemple pendant plusieurs années nous avons fait tourner un groupe de scoutisme avec une église évangélique et une église charismatique. Ça marchait du tonnerre puisqu’on avait un but commun. On laissait de côté nos différences dogmatiques qui finalement avaient la même traduction concrète.
En route donc vers une démocratisation et une diversification des pratiques d’églises !
Priscille