C’était à Paris, 104 rue Vaugirard, au Forum 104, dans de spacieux locaux avec jardin fleuri sur lequel brillait ce jour là un doux soleil d’automne. Les personnes venues participer ou assister à la rencontre, plus d’une centaine, ont souvent de beaucoup préféré cultiver les échanges relationnels plutôt que de s’y égayer lors des pauses. La qualité et la diversité des intervenants comme des participants justifiaient largement ce choix.   Comment rendre compte de tout ce qui s’est vécu là ? Le texte qui suit, non exhaustif il va de soi, ne saurait en outre traduire l’ambiance ouverte et fraternelle de la rencontre.

 Introduction de la journée par Marie-Thérèse Plaine et Gabriel Monet

Il y eut les mots de bienvenue de Marie Thérèse Plaine, la présidente de l’association Témoins.

Présentation préalable : Gabriel Monet prépare une thèse de doctorat sur l’Eglise émergente. En qualité que pasteur adventiste il a eu l’occasion d’exercer un ministère auprès des jeunes dans sa fédération, puis d’être créateur d’une église innovante à Paris (l’Eglise de l’Espérance). Il est depuis 2007 professeur de théologie pratique à Collonges-sous-Salève, et s’intéresse particulièrement dans ses recherches aux nouvelles formes d’églises.
 

La courte méditation de Gabriel Monet sur les versets d’Esaïe 54 « Elargis l’espace de ta tente… » étayée d’un test lumineux invitant à savoir sortir du cadre de nos habitudes religieuses pour ouvrir nos églises à ceux qui ne partagent pas notre culture, méditation qui s’est achevée par l’écoute d’une chanson de Joan Osborne sur projection d’images de la vie courante.

Puis Marie Thérèse a présenté l’objectif de la journée.
Présentation préalable : après une carrière dans une grande entreprise à divers postes de responsabilité, et une rencontre tardive avec Jésus, Marie Thérèse Plaine décide de réorienter ses activités vers l’accompagnement et le soutien spirituel.  Son parcours de vie lui donne une forte aspiration à l’unité des chrétiens, la conduisant fin 2005 à connaître Témoins  puis à en devenir présidente en janvier 2008.

Depuis plusieurs années l’association Témoins analyse l’évolution des cultures et des mentalités en France et en Europe face au fait religieux. Face aux questions nouvelles, elle recherche les approches nouvelles d’une Eglise en transformation qui se lève en France et en Europe.
Il y a un an, elle organisait à Paris une première rencontre sur les thèmes de “l’innovation dans l’Eglise et du courant de l’Eglise émergente” . La rencontre d’aujourd’hui est un pas de plus. Marie Thérèse souligne la qualité des intervenants qu’elle remercie de s’être rendus disponibles. Certains sont venus de loin, voire de très loin. Il en est de même de participants venus d’Ecosse, de Suisse, de Belgique et des quatre coins de la France.
Mais plus remarquable encore, la rencontre rassemble, tant parmi les intervenants que parmi les participants, des sensibilités chrétiennes très diverses (catholiques, protestantes réformées, évangéliques) couvrant un large spectre du monde chrétien. C’est une richesse et un défi à relever dans l’écoute, la compréhension mutuelle et le respect des sensibilités de chacun.

Le déroulé de la journée

   Le matin et l’après-midi sont structurés de façon identique : 2 interventions générales, suivies d’une courte séquence de questions /réponses, puis une table ronde de témoignages de terrain, suivie d’un débat.
Les deux tables rondes seront animées autour d’une même question centrale posée à chaque intervenant sur le besoin de transformation des églises et les réponses qu’ils y apportent.
La rencontre se terminera sur une synthèse de Gabriel Monet.

Interventions du matin :

Exposé par Jean Hassenforder «Les espaces socio-religieux en France et en Grande Bretagne.»

Présentation préalable : avec son épouse Odile, Jean Hassenforder a participé à la création et au développement de l’association Témoins, un espace de convergence entre plusieurs courants chrétiens. Docteur en sciences humaines, il préside le groupe de recherche de Témoins consacré à l’étude de la nouvelle culture, l’analyse de la pertinence des pratiques d’église et à l’observation des processus d’innovation.

Ce qui suit n’est qu’un résumé très schématique de l’exposé, accompagné le jour même d’un excellent power point de Claire Masson. Le texte intégral est consultable sur le site **Lire l’article** .

« Dans le sujet qui nous occupe il est important de connaître le terrain dans lequel les innovations peuvent intervenir. En s’appuyant sur des sondages effectués par l’hebdomadaire « La Vie » et le quotidien « La Croix » on peut distinguer trois groupes de croyants : les pratiquants réguliers (dont le poids, en 40 ans, est tombé de 25 % à 4,5%) ; les chrétiens conscients de l’être, « impliqués », en marge de l’institution et les croyants par tradition. A ceux-ci s’ajoutent les sans religion (qui ne sont pas tous des athées) et les autres religions.

Les espaces socio-religieux seront analysés sous trois regards : historique, sur la France, comparatif entre la France et la Grande Bretagne et sociologique pour souligner les dimensions sociales et générationnelles de l’appartenance ou de la non appartenance religieuse, la diversification et la mutation des comportements culturels et l’apparition de nouveaux courants comme celui des « créatifs culturels ».
Au final, des pistes de réflexion et d’action seront lancées car, si les gens d’aujourd’hui ont des comportements nouveaux, ils ne sont pas dépourvus d’aspirations spirituelles et, face au déphasage des modes d’organisation et de communication de bien des églises, de nouvelles expressions du vivre ensemble le message de l’Evangile commencent à surgir. »

Exposé par Henri et Martine Bacher  «Au Tour des canaux»

  Présentation préalable : ancien collaborateur de la Ligue pour la lecture de la Bible, en Suisse romande et au Pérou, Henri Bacher est le co-fondateur et l’animateur de Logoscom. Il développe une recherche dans les nouveaux moyens de transmission de la Bible sur support audio et vidéo. Martine, son épouse est une fine dessinatrice et caricaturiste.
L’intervention d’Henri et Martine Bacher est un exposé-parabole sur le changement de perspective nécessaire pour toucher les générations aujourd’hui qui se présente simultanément sous deux formes : la parole d’Henri et les dessins de Martine.« A la fin du Moyen Age, la société était saturée de religion : les arts, les fêtes, tout était religieux. Les gens baignaient dans une sorte de “marécage” émotionnel et ils étaient saturés d’émotion. A la Réforme, les protestants ont asséché le “marécage” par la mise en avant de la raison au détriment de l’émotion. Le levier technologique de l’imprimerie leur était d’une grande aide. On pouvait dupliquer la Bible. La culture du livre poussée à son paroxysme a durablement généré des déséquilibres. Le travail avec l’émotion a été complètement marginalisé. Aujourd’hui, les gens sont saturés de “sécheresse”. Ils redécouvrent l’émotion tandis que les gens de la culture du livre construisent et s’enferment dans une tour du savoir fondée sur l’écrit. Ils se dirigent grâce aux livres alors que le nouveau levier technologique est maintenant le multimédia.
Hier l’autorité du savoir s’enracinait dans l’écrit, moyen de communication reconnu le plus fiable et tout le monde se référait plus ou moins à un même fond culturel fortement teinté de christianisme. Aujourd’hui on lit de moins en moins. On communique via internet ou le téléphone portable. Les multimédia ont réduit considérablement le poids de l’écrit et les gens ne baignent plus dans une seule et même culture. Pour expliquer ces nouveaux changements, Henri reprend la symbolique de l’eau et montre comment dans ce nouveau monde boosté par le multimédia, l’eau sous forme de canaux reprend ses droits, quoique, pour l’instant d’une manière anarchique.

Comme les navigateurs, les gens des canaux qui ont quitté la tour se repèrent aux étoiles (horoscope) et au GPS. Des chrétiens naviguent également dans ces “canaux”, organisés en forme de réseaux. Ils se positionnent la tête dans les étoiles et les pieds sur terre. Mais les chrétiens de la tour continuent à vouloir demeurer au-dessus des “canaux”, enfermés dans une culture livresque où ils se retrouvent entre eux, érudits et exégètes, d’où ils continuent à offrir aux peuples des “canaux” le même discours que jadis, sans se soucier de savoir ce que leur propre culture leur permet d’en comprendre. Il serait bon d’apprendre à penser selon le mode des canaux et moins selon le mode de la tour.
Nous devons quitter notre confort culturel, ne pas craindre de nous immerger dans un monde qui nous semble étranger, où les gens ne se réfèrent plus aux canons élaborés par la civilisation de l’écrit. C’est difficile de changer de culture, d’accepter de perdre ses repères, bref  de descendre de la tour protectrice pour tenter de participer à la vie des navigateurs et d’en faire des chercheurs de Dieu, et les inciter à créer des églises de tribus multiculturelles etc. Comment procéder ?
Certes en apprenant à utiliser les outils et les codes de la civilisation du multimédia mais surtout en rompant avec notre présentation habituelle de l’évangile (commentaires, analyses de texte, exégèses, etc.) pour revenir aux paraboles, aux histoires vivantes qui enchantent, aux récits construits sur le mode analogique plutôt que sur le mode du raisonnement démonstratif.
Comment communiquer avec nos contemporains si nous n’entrons pas dans leur univers multiculturel et ne maîtrisons pas leur langage ? »
A propos de nouvelles formes de communication, Henri nous fait la démonstration du « Tagmobile », dont il a tiré une application pour communiquer l’Evangile .

Pour en savoir plus sur les activités d’Henri et Martine Bacher :  **Voir le site logoscom** .

   Relevés de quelques échanges avec la salle

N’y a t-il pas contradiction entre les phénomènes de tribalisation et de mondialisation ?
Henri Bacher : Non car la mondialisation ne signifie pas l’uniformité. Elle permet au contraire aux tribus de se répandre et de se fédérer dans le monde entier, notamment grâce au web.

On ne peut pas opposer de manière tranchée les gens de la tour et ceux des canaux. L’individu est une personne plurielle qui peut avoir un pied dans la tour et un autre dans le marécage.
Henri Bacher : Bien sûr. Et l’écrit conserve une certaine place mais il n’est plus la référence absolue. De nos jours la parole a basculé dans un mode d’expression que nous pourrions résumer en terme d’oralité électronique.

1ère table ronde.

Intervenants : Michel Anglares, Gilles Boucomont, Matthew Glock et Henri Bacher.

Marie Thérèse leur demande de nous dire, en dix petites minutes et à partir d’expériences concrètes, en quoi l’église a besoin de transformations, et en quoi ils ont été acteurs de transformations.

 

Témoignage : Michel Anglares.

Présentation préalable : Michel Anglares est docteur en théologie et en sciences des religions, prêtre, responsable de la Maison d’Eglise de la Défense **Voir le site catholiques.aladefense.cef.fr** , curé de la paroisse de Courbevoie et membre du conseil presbytéral. Il est par ailleurs membre du comité national de Jonas.

« La Maison d’Eglise de la Défense est née du double constat que le monde professionnel est déserté par l’Eglise et qu’il est devenu très dur. Sachant qu’il passe chaque jour à la Défense environ 400 000 personnes, l’église catholique a souhaité aider les croyants immergés dans ce quartier des affaires à se retrouver. Le projet a vite pris de l’ampleur. Il rassemble aujourd’hui plus de 200 personnes divisées en 20 équipes de 10 qui se retrouvent autour de l’évangile ou d’autres sujets prégnants. Des équipes se forment par affinités de métiers, d’autres préfèrent se mélanger. Le but de toutes est de remettre l’humain au centre de l’entreprise.

La Maison d’Eglise est un lieu ouvert dont l’architecture originale attire les curieux. Beaucoup de gens y viennent, y compris des personnes non croyantes ou d’autres religions. C’est un lieu de prière, de partage de la foi, d’aides sociales. On y organise aussi des expositions, des concerts, des activités culturelles, des conférences sur des questions économiques et de société. Une chorale gospel réunit des choristes de cultures et de milieux différents dont le seul point commun est de travailler dans ce quartier. Elle se produit tous les ans sur le site.
Mais à la Défense se rencontrent aussi d’autres souffrances que celles liées au business. C’est pourquoi nous bénéficions de la présence d’un sociologue, d’un conseiller conjugal, d’un prêtre qui fut exorciste dans son diocèse, d’une antenne des alcooliques anonymes. Nous travaillons avec la Maison de l’amitié, une association laïque qui accueille de jour et de nuit des personnes sans domicile fixe.
Dans ce haut lieu des affaires, qui se vide le dimanche, la messe principale a lieu le mercredi. Elle est suivie d’un repas. Des petits déjeuners sont offerts le lundi matin. Enfin, comme dans toutes les paroisses, une messe y est dite tous les jours. »

Témoignage : Gilles Boucomont

Présentation préalable : pasteur de l’Eglise Réformée du Marais **Voir le site temple.dumarais.fr** à Paris 4ème Gilles Boucomont est passionné par la créativité en Eglise. Il est responsable de plusieurs projets liés aux nouvelles technologies, aux nouveaux media et à l’évangélisation par la musique. Il a aussi un ministère d’accompagnement et de délivrance.  

« L’Eglise du Marais est au cœur d’un quartier dont la population, aux origines très diverses, comporte un pourcentage non négligeable d’artistes. Il y a cinq ans, seulement une dizaine de personnes assistaient au culte du dimanche. Face à cette situation mon réflexe ne fut pas de chercher une méthode ou un modèle efficaces mais de me mettre à l’écoute de l’Esprit. Je crois en effet qu’Il ne tient pas le même discours à toutes les églises (cf. les lettres aux églises de l’Apocalypse) Pour l’Eglise du Marais Il m’a inspiré, dans ce quartier à la population si contrastée, d’être un point de repère, un phare et même une arche de Noé accueillant des personnes d’origines et de cultures extrêmement variées.

Et tout d’abord je me suis demandé comment faire pour que les chrétiens, qui naturellement préfèrent se conforter entre eux, se sentent concernés par les autres : comment rendre visible la fraternité dans la diversité ? Il n’y a pas de méthode miracle. On agit au cas par cas.
Par exemple, quand nous accueillons un groupe d’une autre origine, nous lui imposons de ne pas se constituer en communauté ethnique. L’un de nos objectifs fut de renforcer la collaboration entre les différentes communautés chrétiennes auxquelles nous prêtons nos locaux, de les obliger à entreprendre et à réaliser des choses ensemble, à ne pas se cantonner à leurs cercles mais à manifester envers tous une fraternité visible, une solidarité trans-communautaire concrète qui s’est effectivement produite, en particulier dans des situations de souffrance.

Aujourd’hui, nous avons cinq cultes le dimanche, animés : un par des afro-antillais, un par des arabophones, un par des Japonais et deux par des Réformés qui ont le choix entre un culte traditionnel et un culte «  plus réveillé ». La croissance de chaque groupe est d’environ 50 % par an.
Parmi la forte population d’artistes, des musiciens surtout, beaucoup ont une vraie recherche spirituelle. Nous travaillons donc avec  « La fonderie » une association qui les accueille sans chercher à les intégrer dans une Eglise. On y fait un travail de recomposition musicale, des clips.

Nous essayons également de répondre aux besoins de ceux qui sont fragiles ou en difficulté. Dans l’Eglise, une quarantaine de personnes a un ministère ; et parmi eux plusieurs exercent un ministère de « prédication individuelle » d’accompagnement, une sorte de coaching qui ne cherche pas à ce que les gens deviennent membres de l’Eglise mais, bien au contraire, qu’au final ils se sentent capables de la quitter ! Notre objectif est de leur permettre, non de rester dépendants d’une structure ou d’un accompagnant, mais de trouver leur autonomie, leur propre autorité avec Jésus.
L’Eglise du Marais propose, à qui traverse des périodes plus ou moins critiques ou s’interroge, de faire simplement un bout de chemin avec lui jusqu’à ce qu’il se sente assez fort pour marcher seul avec Jésus, trouver son autorité spirituelle personnelle et sa capacité à se laisser guider par l’Esprit, en d’autres mots jusqu’à ce qu’il soit un chrétien accompli.
Et bien sûr, quand on ne cherche pas à les retenir, les gens se sentent libres de partir mais aussi de se joindre à l’Eglise du Christ, celle du Marais ou une autre. S’ils ont des racines ecclésiales nous les invitons à les garder. »

 

Témoignage : Matthew Glock.

Présentation préalable : venu des USA comme missionnaire en France dès 1993 Matthew Glock a d’abord travaillé dans un ministère itinérant d’évangélisation où il a progressivement pris conscience de la distance entre l’homme de la rue et la réalité des églises. En 1998 il devient le coordinateur du groupe Evangile et Culture, une commission de l’Alliance  Evangélique qui milite pour une nouvelle manière de faire église. Depuis 2001 il exerce un ministère pastoral dans la région grenobloise où il met en pratique le fruit du travail du groupe Evangile et Culture. Par ailleurs membre d’International Teams il fait partie d’un réseau international qui s’inscrit dans la mouvance des églises émergentes.

« Tout est parti d’une observation anodine : un samedi il y avait eu une soirée chaleureuse et gaie animée par deux femmes qui respiraient la joie et donnaient le meilleur d’elles-mêmes. Le lendemain, bien présentes au culte, elles étaient figées, silencieuses, vivant ce moment  comme un devoir et non un moment bienfaisant. Alors toute une réflexion est née visant à donner au culte plus de cohérence, de dynamisme et de créativité, à accentuer l’accueil et la participation. Nous avons conçu ce que j’appelle « un culte IKEA » c’est à dire un lieu à l’ambiance agréable, divisé en plusieurs espaces offrant des pratiques différentes dans lesquels chacun pouvait circuler librement. Cinq espaces furent ainsi définis dans l’église (autour de la louange, l’adoration, l’intercession, etc). Durant les deux heures du culte, les gens circulaient librement de l’un à l’autre et nous avons vu des personnes, qui ne s’exprimaient jamais d’habitude, commencer à prier et à partager des choses.
Dans ces cultes spéciaux une vraie place était faite aux artistes mais sans donner à leur participation une allure de show ou de spectacle. Nous voulions repenser ensemble ce temps passé les uns avec les autres et avec Dieu et vivre une vraie louange.
Vécu sous cette forme ouverte et variée, ce temps ensemble, nous ne le voyions pas passer et bien des personnes extérieures aux églises s’y sont associées. Sur les 300 personnes qui ont assisté à un de ces cultes, 100 appartenaient à notre communauté, 100 à d’autres églises et 100 à aucune église.
Face à de nouveaux contextes, l’expérience grenobloise a dû pour l’instant s’interrompre.
Aujourd’hui, ce qui me semble essentiel à tout projet d’innovation est qu’il soit inspiré et réalisé dans l’amour. »

 

Témoignage : Henri Bacher.

« Comment transmettre la Bible aujourd’hui ? En travaillant avec  et pour les enfants on observe un phénomène qui peut donner à réfléchir. Dans les églises, quand on s’adresse aux enfants on met tout en œuvre pour captiver leur attention, pour les intéresser, pour rendre les séances vivantes et animées. Mais ensuite, l’école biblique achevée, on dit à ces gamins devenus adolescents : bon, maintenant tu assistes au culte, c’est-à-dire : tu ne bouges plus, tu te tais et tu écoutes. Glacial !
Mon but c’est justement d’aider à transmettre le message du Christ d’une manière captivante pour les adultes, en proposant des activités et des outils appropriés au monde actuel.
Ces techniques de travail, mises au point depuis une quinzaine d’années, s’exposent en partie sur les sites suivants: **Voir le site logoscom** et **Voir le site allobible**  .
Depuis plus d’une année, nous avons expérimenté un embryon d’église en réseau basé sur des groupes d’intérêts et d’affinités. Martine et moi en étions les moteurs, mais d’un commun accord avec le groupe responsable de base, nous avons mis en veilleuse ce développement. Nous, le couple moteur, nous avons déjà dépassé la soixantaine, or aujourd’hui les générations des “canaux” ne cherchent pas des idées ou des concepts théoriques à appliquer, mais ils cherchent des modèles et de préférences des modèles qui ont leur âge. Nous pouvons appuyer en arrière-plan, mais nous aurions besoin de trouver des leaders (des moteurs) de l’âge des générations que nous voulons atteindre en priorité. Plus la vieille génération s’implique directement dans le développement des églises émergentes, plus elle va faire fuir les plus jeunes. La culture issue du multimédia et d’internet ne prend plus les “vieux” pour modèle  y compris chez les chrétiens.

 

   Relevés de quelques échanges avec la salle :

Quelle place occupe la liturgie dans l’innovation ?
La place de la liturgie ne se pose pas de manière identique selon les églises. Les catholiques et les réformés ont une structure liturgique. Ils peuvent essayer de la repenser pour l’adapter à nos contemporains. Les évangéliques ont plus de difficultés à repenser la structure du culte dans la mesure où ils ne l’ont en général pas pensée.

Témoignage d’un participant : à des jeunes qui disaient s’ennuyer au culte on a proposé des célébrations « modernes » mais les jeunes n’ont pas accroché. Quand on leur a demandé pourquoi ils se sont exclamés : « Mais c’était pas un culte ! »
Terrible paradoxe que d’avoir identifié depuis l’enfance la liturgie avec telle forme jugée ennuyeuse et de ne pas pouvoir imaginer en changer !

Interventions de l’après midi :

Après une délicieuse pause sandwichs, gâteaux et café ou thé mis à notre disposition par une équipe sympathique, le quelques pas dans le parc, le programme a repris.

Exposé par Gilbert Bilézikian «Aimer l’église»

Présentation préalable : Gilbert Bilézikian a commencé à enseigner à l’Institut Biblique Européen, tout en exerçant un ministère pastoral. En 1961, il s’envole aux Etats-Unis, obtient un doctorat en théologie à l’université de Boston et suit un programme post-doctoral de 7 ans à la Sorbonne à Paris. Puis il rejoint la faculté américaine de Wheaton College où il enseigne  pendant 20 ans. En 1975 un de ses élèves, Bill Hybels, sollicite son aide pour fonder une nouvelle église à Chicago. C’est le début de Willow Creek qui deviendra l’une des plus grandes et vivifiante église des Etats Unis. Il est l’auteur de plusieurs livres dont « Solidaires ou Solitaires », qui a reçu en France le prix littéraire évangélique 2001.
Si son nom reste associé à Willow Creek, ce qui le réjouit moins depuis qu’elle s’est « institutionnalisée », il est également connu comme un amoureux de l’église, ce qui demeure mais, nous allons le voir, ne fut pas toujours le cas.

« Pour vous parler aujourd’hui je dois revenir en arrière, mais n’ayez pas peur, je ne vais pas vous raconter ma vie ! Enfant j’ai reçu une double éducation religieuse. Mes parents ont tenu à ce que je suive l’école du dimanche protestante et les cours de catéchisme catholique et, très tôt, le personnage de Jésus m’a touché. Parfois, après l’école du dimanche, j’assistais au culte et j’étais frappé par le contraste entre les deux : la vie d’un côté, la tristesse et la morosité de l’autre (vieux cantiques, sermons du haut de la chaire) A l’adolescence j’ai tout rejeté : l’église et la foi.

C’est jeune adulte, dans les Cévennes, que j’ai connu une conversion foudroyante. J’ai saisi le pardon de Dieu et su que la foi chrétienne impliquait de se joindre à une église. Mais il y avait si peu de rapport entre ce que je vivais et ce qui se vivait dans les églises que j’ai décidé d’étudier la Bible et de servir seul le Seigneur. Mais un jour j’ai eu un choc : j’ai pris soudain conscience que le Christ aimait l’église et qu’Il l’aimait comme un homme aime son épouse. Que voit-Il donc en elle pour l’aimer ? Cette question m’a poussé à mener toute une réflexion et, en étudiant la théologie, à développer une vraie passion pour l’église. Puis il y eut cette rencontre cataleptique avec un de mes étudiants à Chicago qui lui aussi en avait plus qu’assez des églises mortes et ne savait que faire. Ainsi est née la communauté de Willow Creek, une épopée qui a eu un grand impact. Depuis quelques années cependant elle n’est hélas plus « émergente », elle s’est institutionnalisée.

Qu’est-ce donc qu’une église émergente ? Considérons la première d’entre elles, pas Willow Creek ou une autre mégachurch, non, considérons l’église de Jérusalem d’après la Pentecôte, celle qui a gardé sa vitalité durant 3 siècles ! Observons au passage qu’elle ne cherche pas à s’adapter à la société, mais que c’est la société qui sera, en profondeur, changée par elle. Le modèle c’est quand les disciples de Jésus ont reçu l’Esprit et qu’alors a commencé une vie d’église effervescente.
Ecoutons la prière de Jésus en Jean 17, ce moment où il s’adresse au Père devant ses disciples et plaide pour que ceux qui le suivent soient protégés et qu’ils soient un comme Jésus et le Père sont un. Voilà le modèle éternel, celui qui a ses racines dans qui est Dieu. Car Dieu est courant d’amour constant entre le Père et le Fils où s’exerce une soumission mutuelle : Jésus fait ce que le Père Lui demande et le Père fait ce que Jésus Lui demande. Parfaite réciprocité où le Père donne tout au Fils qui en retour se donne Lui-même au Père, où le Père glorifie le Fils qui ne cherche qu’à glorifier le Père. C’est la dynamique même de la communauté qui existe avant même la naissance de l’église. En fait je vais vous dire : le meilleur moyen de faire de l’évangélisation est de ne pas en faire mais de vivre l’église telle qu’elle devrait se vivre. »

Exposé par Jonny Baker  «Imaginer faire église autrement»

Présentation préalable : Jonny Baker participe au travail de la “Church Mission Society” pour soutenir et développer la mission et de nouvelles manières d’être église dans la culture émergente au Royaume Uni. Il donne des conférences sur la mission et la culture. Il a publié le livre:  “Alternative worship”, un ensemble de ressources liturgiques pour  l’année ecclésiale. Il dirige: “proost.co.uk”, une entreprise créative qui produit des ressources inspirantes pour nourrir la foi. Il est aussi un photographe londonien indépendant. Et il est actif sur son blog ** Voir le blog** : et sur le site de Témoins **Lire l’article**.

Dans son exposé, traduit par Matthew Glock, s’insérera l’exemple de l’église de son ami Richard Sudworth

« Bonjour et merci de m’avoir invité. Nous nous demandons quel est le défi de l’église émergente ? Regardons la photo de ce pont en travaux. Il relie le quartier moderne à celui de la vieille ville avec son clocher. D’un côté la tradition, l’histoire de l’église sans laquelle il n’y aurait pas d’église et de l’autre ce quartier animé, vivant dans une culture post-moderne où je me sens chez moi. Comment concilier les deux ? Le défi des chrétiens aujourd’hui, écartelés entre ces deux mondes, est d’être capable d’utiliser leur imagination pour voyager entre la tradition et la culture ambiante à laquelle ils veulent relier leur foi. Le fait de travailler avec une œuvre missionnaire m’y aide grandement puisqu’on y apprend à s’immerger dans une autre culture, à y semer l’évangile puis à voir comment il va en émerger. La problématique est devenue la même en Grande Bretagne qu’en Afrique ou ailleurs : annoncer Jésus Christ sans faire de l’impérialisme culturel, sans obliger les gens à le recevoir dans notre culture et à nous imiter culturellement. Ce fut une erreur commise dans le passé que les missions s’efforcent maintenant d’éviter.
J’appartiens à une église anglicane où l’on fait des cultes mi-traditionnels, mi-modernes, des cultes où les gens, le dimanche, se sentent bien, non déconnectés d’avec ce qu’ils vivent les six autres jours de la semaine. La liturgie anglicane classique est riche mais décalée d’avec la société et si le style charismatique est plus dynamique on s’est aperçu qu’à la longue il devenait pauvre et répétitif. C’est constamment qu’il faut se renouveler et tisser des liens entre tradition et modernité.
Je vais laisser mon ami Richard va vous dire quelques mots sur l’église du Sanctuary. »

Présentation préalable : collaborateur de la “Church Mission Society”, Richard Sudworth est un consultant de l’association : “Faith to Faith”. Ayant précédemment travaillé en Afrique du Nord, il est maintenant basé dans une zone à majorité musulmane à Birmingham en Grande Bretagne.

« Sanctuary est une église multi-ethnique où se mêlent des convertis de toutes origines et des musulmans, des sikhs qui y entrent pour connaître Jésus, qui y sont accueillis comme musulmans ou sikhs en recherche. Le quartier se compose d’une forte population de pakistanais de la 2ème et 3ème génération et le mélange culturel est grand. Pour faire lien, l’église accorde une large place aux repas et aux fêtes. Toutes les occasions sont bonnes pour se réunir autour d’un repas ! Ainsi, à Sanctuary par exemple, on fête la fin du ramadan.
Une de nos expressions favorites est : « no eating no meeting » Nous expérimentons une  convivialité par delà les différences culturelles et les différentes étapes des recherches spirituelles de chacun. »

« Merci Richard. Il m’apparaît capital de réfléchir à l’interaction entre l’institution et les mouvements émergents qui se vivent dans les marges. Il y a quelques années l’église anglicane a fait un état des lieux et publié un rapport sur les différentes expressions marginales de la vie chrétienne qu’elle a ensuite validées. Elle a compris l’importance de reconnaître ces nouvelles pratiques et de ne pas se limiter à ce qui se vit le dimanche. Nous traversons une période de profonds changements qui ne se réduisent pas à des questions de formes. L’église doit être moins dans le culte du passé et plus dans l’anticipation de l’avenir voulu par Dieu. Nous avons besoin d’un baptême de notre imagination. Rappelez-vous : on ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres et le vin vieux est mieux. Ca sonne bien en français ! Mais pour avoir demain du bon vieux vin il faut le produire aujourd’hui. C’est en quelque sorte ma vision : récolter aujourd’hui du bon vin nouveau qui sera bien meilleur demain. Cela dit, sachons aussi conserver le vieux vin s’il est bon !
Le courant émergent était une petite chose il y a 20 ans mais depuis 4 ans, depuis que l’église anglicane l’a reconnu, il a pris de l’ampleur. Actuellement, en Grande Bretagne, on ne compte pas moins de 600 communautés de ce style.

Qu’est-ce au juste qu’une communauté émergente ? Imaginez que l’on découvre une pièce de Molière en 5 actes, qu’une partie du 5ème acte soit perdue et que l’on demande à des artistes d’improviser la partie manquante. Leur improvisation ne sera t-elle pas d’autant meilleure qu’ils connaîtront bien l’auteur ? C’est pareil pour l’église : elle est une pièce de théâtre dont une partie du 5ème acte, le nôtre, reste à écrire et notre tâche, dit le théologien Tom Wright, est d’en faire une improvisation fidèle. Or, pour faire une improvisation fidèle, pour avoir une vraie liberté d’improviser dans le contexte actuel, il nous faut nous imprégner à la fois du passé et des improvisations existantes. Deux écueils seront ainsi évités : copier ce qui s’est fait dans le Nouveau Testament ; penser que notre tradition est la bonne. Car le renouveau vient et des marges, et du centre. On a besoin à la fois de pionniers inventifs et de radicaux loyaux. J’appelle radicaux loyaux ceux qui restent dans les institutions mais savent créer de l’espace pour les pionniers.
J’ai parlé de l’Angleterre, mais le défi, pour la France, où est-il ? Il est de ne pas chercher à imiter ce qui se fait en Angleterre mais d’imaginer ce qui va émerger en France. »

 

  Relevé de quelques échanges avec la salle :

J’ai lu dans le Christianisme au 20ème siècle l’interview d’un responsable de mégachurch qui avait un regard critique sur son église.
Gilbert Bilézikian : l’autocritique  est difficile car une fois entraîné dans le courant de l’œuvre on considère tout en bloc comme étant l’œuvre de Dieu et non plus comme étant, soi, simplement à la disposition de Dieu. C’est ce qui est arrivé à Willow Creek, qui fêtera bientôt ses 33 ans. Nous avons été entraînés par l’esprit de succès, le culte du leader, la recherche du nombre. C’est pourquoi j’ai quitté Willow Creek il y a 15 ans. Mais depuis un an ou deux, suite à un sondage, on a pris de conscience de ces dérapages et on s’efforce de redresser la situation.

Jean Hassenforder rappelle que Sébastien Fath vient de publier un livre très documenté sur les mégachurchs et demande à Gilbert Bilézikian s’il pense que se focaliser sur les gens en recherche, ce qu’a fait Willow Creek dès le départ, est une pratique pertinente des mouvements émergents ?

Gilbert Bilézikian : Evidemment, puisque les méthodes d’évangélisation classiques ne marchent pas. Un de mes fils qui est psychologue dit que l’un des signes de la folie est quand on continue à faire ce qu’on sait qui ne marche pas. C’est ce que l’église fait alors que, pour aller de l’avant, elle devrait revenir en arrière, non pour imiter l’église primitive mais pour retrouver le principe qui l’animait et la guidait. Quel était son but ? Etre présente, tout simplement présente et prête à aider les gens, non à leur imposer l’évangile. Vivre à leur côté. Jésus n’a pas dit à tous d’aller évangéliser mais il a dit à tous d’aimer son prochain. On assomme les gens avec des versets ou un message qu’ils ne comprennent pas. J’aime cette parole de saint François d’Assise : « Témoigne en tout temps et, si nécessaire, utilise les mots » Inutile de répondre à des questions que les gens ne posent pas. L’essentiel est de partager, d’accompagner, d’être à l’écoute et de faire confiance à Dieu et au Saint Esprit.
Je crois que lorsqu’un chrétien se lie d’amitié avec un non chrétien une troisième personne les rejoint, le Saint Esprit. Je ne fais pas confiance au chrétien qui témoigne mais au Saint Esprit qui utilise la vie du chrétien dans les besoins les plus profonds du non chrétien qui, sans le savoir lui-même, est peut-être déjà en recherche.

Remarque de Frédéric de Coninck, sociologue : En écho à ce qu’ont dit vers la fin nos amis anglais je rappellerai que la notion d’émergence vient de la théorie des réseaux. Un réseau a une capacité d’auto organisation, de souplesse et d’apprentissage comparable au cerveau. Cela peut nous rendre optimiste. Mais on reste dans l’analogie car cela ne fonctionne pas si aisément dans le monde social. L’institution a de puissantes ressources tandis que le réseau, au moment de se pérenniser, est fragile. On s’est aperçu (dans le social où je travaille) qu’un réseau qui ne s’appuie pas sur l’institution est effectivement fragile. Or dans l’église, ce qui fait défaut ce sont des médiateurs entre les courants marginaux et l’institution capables de permettre à ces marges d’exister sans que l’église traditionnelle panique.

Autre courte  remarque : Oui, l’église doit encourager ces courants marginaux et, dès qu’ils sont solides les reconnaître. Mais j’attends aussi d’elle qu’elle sache accepter que des pionniers se cassent la  figure et qu’elle les aide à se relever.

Gilbert Bilézikian J’ajoute qu’on ne s’institutionnalise pas pionniers. Les pionniers ne sont pas appelés à rester pionniers toute leur vie. On fatigue, on vieillit. Un jour on doit se mettre sur le côté, accompagner quelqu’un d’autre et le former, l’aider à se lancer à son tour. La parole de Jésus : « Les premiers seront les derniers » peut aussi se comprendre qu’à un moment le pionnier doit passer derrière et laisser la place un nouvel initiateur.

Question de Jean Hassenforder à Jonny Baker : Comment le mouvement émergent se sent-il encouragé par les nouveaux styles de relations dans la société ?

Jonny Baker : Il y a de belles choses dans la culture, une véritable économie du don, de la générosité.  L’esprit est certes présent dans l’église mais aussi dans le monde. J’aime la vision orthodoxe de la Trinité : un mouvement, une danse entre le Père, le Fils et le Saint Esprit à laquelle nous participons. Trop souvent l’église est négative envers la culture moderne alors que celle-ci recèle beaucoup de belles et bonnes choses. L’église doit davantage mettre l’accent sur le relationnel, la participation, la générosité, le partage.

2ème table ronde.

Intervenants : Daniel Schaerer, Jean René Bruandet, Eric Zander et Pascal Geoffroy.

 

Témoignage : Daniel Schaerer

Présentation préalable : Daniel Schaerer est un enseignant qui se consacre aujourd’hui, avec son épouse, au développement des Groupes de Maisons dans l’optique d’atteindre des personnes extérieures aux églises. Dans son dernier livre « L’Eglise en toute simplicité » **Lire l’article**  sur ce site, il donne des pistes pour une église plus accessible.

« Nous avons beaucoup parlé ici de l’innovation dans les églises classiques et, moi-même et Pascal Geoffroy, pasteur de l’ERF, travaillons en étroite collaboration. Ceci dit, je viens de lire dans une revue qu’aux USA 6 millions de personnes avaient abandonné les églises classiques, mégachurchs incluses, pour les groupes de maisons.
L’aventure que nous avons vécue, mon épouse et moi il y a 15 ans fut d’abord l’émergence d’une sorte de petite entreprise familiale. Nous avons ouvert notre maison pour des partages autour de la Bible et de la foi et elle s’est remplie en quelques mois. 25 personnes et plus venaient à participer aux rencontres. Alors des groupes se sont constitués dans d’autres familles. On a commencé à m’inviter partout en France pour parler d’un phénomène dont je me sentais plus spectateur qu’acteur. C’était l’œuvre de Dieu et quand il s’est constitué des groupes animés par les enfants eux-mêmes, ce dont mon épouse a parlé l’an passé , j’ai senti que le Seigneur nous disait tout simplement « laissez faire ».

Aujourd’hui nous diversifions les approches. Ma fille a développé un groupe gospel. Ils sont 36 et, dans notre salon pourtant spacieux, croyez moi, ils tiennent de la place ! Les trois quarts d’entre eux ne sont affiliés à aucune église et nous les accueillons sans chercher à les convertir. D’autres groupes se retrouvent autour d’activité de broderie, de balades à vélo, de marches etc. Ce sont des formes de pré-évangélisations et pour que ces expérimentations fonctionnent bien et se diversifient nous travaillons beaucoup sur la formation d’animateurs.

Cependant, en jetant un regard en arrière j’avoue qu’après des années notre enthousiasme du début est un peu retombé. Pourquoi ? Nous avions cru que le phénomène allait faire boule de neige et que la France entière allait se couvrir de cellules de vie ! Il n’en fut rien mais nous avons découvert la souffrance des chrétiens : nombreux ont besoin d’être accompagnés longtemps et peu sont aptes ou prêts à prendre des responsabilités. Curieusement on constate moins ces problèmes chez les enfants. Vu leur jeune âge, ils n’ont pas, pour la plupart, accumulé trop de blessures de la vie.

Autre chose : les gens ne supportent plus la structure pyramidale de l’église. Elle n’est d’ailleurs pas conforme à l’esprit du Christ. Le Seigneur m’a donné le défi d’offrir à tout le monde une place active dans les groupes. Ce n’est pas gagné car nous sommes pétris dans des systèmes qui structurent notre mental depuis des siècles. Cela ne concerne pas la seule institution catholique, ni n’est de la faute des seuls clercs ou responsables. Cela vient également du peuple peu disposé à participer activement, à s’engager.
Récemment j’ai été interpellé à ce sujet. J’ai eu une capsule rétractile à un bras, je ne pouvais plus m’en servir. Or savez vous comment cela s’attrape ? Quand on fait trop travailler un même muscle ! J’ai compris devant le Seigneur que je devais diminuer pour que les autres croissent, que je devais me taire plus souvent. Il ne suffit pas, pour descendre de la pyramide, de distribuer des petits jobs à tous. Il faut, dans tous les domaines, permettre aux enfants spirituels de devenir adultes, c’est à dire capables à leur tour d’enfanter.

Pour conclure je dirai que nous vivons des expériences à la fois fabuleuses et difficiles. Aux seins des réseaux il y a ceux qui adhèrent à des églises et ceux qui restent en dehors. Cela nous plaît moins mais ils existent et nous devons les côtoyer, les accepter. Ils ont des choses à nous apprendre et besoin en retour de ce que nous pouvons leur apporter. Dans ma région comme sur la plan national j’essaie de faire le lien entre les divers styles de réseaux. »

 

Témoignage : Jean René Bruandet

Présentation préalable : Jean René Bruandet est un ex chef d’entreprise aujourd’hui pasteur à plein temps de l’église Cépée (FPF) de Besançon ** Voir le site eglise-besancon.com** . Sa vision : rendre l’église accessible aux incroyants et transformer les croyants en véritables disciples de Jésus-Christ. Dans cette démarche il est soutenu par le pasteur Jean-François Mauffrey et le Docteur Gilbert Bilézikian.

« Je vais d’abord vous raconter une histoire, celle de deux souris tombées dans un pot de lait. L’une, abattue et déprimée se laisse couler, l’autre se démène, bat des pattes, transforme le lait en beurre et sort du pot. C’est un peu l’histoire de l’église de Besançon où je suis pasteur avec un collègue, une église de 100 à 150 personnes, fondée, dans les années 70, par les groupes bibliques universitaires. En 1990 elle avait quasiment disparu suite aux ravages provoqués par une personne du New Age qui s’y était infiltrée.

En 1991 on m’a appelé pour prendre en charge le petit groupe de 10 personnes qui restait.
A l’époque j’étais chef d’entreprise et les premières réunions se sont déroulées dans le réfectoire de mon usine, puis dans le gymnase. En 1998 nous étions 70. Parallèlement mon entreprise avait pris de l’ampleur à l’étranger et, ma femme et moi, devions partir nous installer aux USA. Alors j’ai prié : « Seigneur tu me bénis professionnellement, et en même temps, tu développes notre petit groupe. Que dois-je faire ? » Et Il m’a convaincu de vendre mon entreprise. Nous nous sommes alors retrouvés sans locaux durant deux ans, le temps d’effectuer des travaux dans un garage que nous avions acheté. Mais nous avons continué à nous réunir dans les maisons. Le dimanche, nous nous dispersions dans les autres églises pour assister au culte et découvrir ainsi des styles différents.

En 2002, le local prêt, nous avons réfléchi à ce que nous voulions faire ensemble et nous avons conclu que notre vision était double : offrir à Dieu la meilleure adoration possible et toucher les incroyants, leur permettre d’entrer facilement dans l’église. En effet, d’un côté il y a des non-croyants indifférents à l’église, de l’autre des croyants n’osant pas inviter leurs amis au culte, surtout s’il est de style charismatique. Ils pensent qu’il est risqué pour eux de révéler la coupure entre leur comportement au travail et leur comportement à l’église. Que penseront leurs collègues s’ils les voient prier en élevant les mains ou, pire, parler en langues ?
Pour résoudre cette difficulté nous avons décalé le culte habituel au vendredi soir, puis au dimanche à 9h, et programmé un culte alternatif plus tard en matinée. Le culte alternatif est conçu en fonction du regard d’un non-croyant.

Aujourd’hui que voit un non chrétien qui pénètre dans l’église ? Une décoration renouvelée chaque mois, un accueil personnalisé. On lui remet le texte de la prédication et une feuille d’appréciation pour noter de 1 à 10 : la déco, le sermon, les activités du jour. Si la personne revient et que l’une des activités lui plaît, elle l’intègre et se retrouve à officier le dimanche.
Le culte alternatif est de ce fait animé à la fois par des convertis et des non convertis. En 3 ans et demi 400 personnes y ont assisté parmi lesquelles 100 chrétiens venus d’ailleurs que nous avons chaleureusement invités à ne pas délaisser leurs églises. Chez les 300 autres qui sont au moins venus une fois nous voyons des résultats et avons des baptêmes de plus en plus nombreux.
Pour résumer notre situation je dirais que les trois quarts des personnes de notre église sont à l’extérieur de l’église et qu’il nous faut aller les chercher ; et pour ceux qui sont à l’intérieur, chrétiens ou non chrétiens en recherche, que tous ont un potentiel et que nous prenons le risque de mettre en marche ce potentiel. »

 

Témoignage : Eric Zander

Présentation préalable : passionné par « l ‘inculturation » du  message de l’Evangile, l’approche sociale, les arts, le multimédia, Eric Zander, après onze ans comme directeur de la Mission Evangélique Belge, revient à sa vocation première : l’implantation d’église. Mais l’expérience lui a montré que le monde a besoin d’une autre expression du vivre ensemble chrétien. Il poursuit un Master en théologie pratique au Collège Spurgeon à Londres et tente d’appliquer la vision d’une église alternative en phase avec notre culture francophone post-catholique. Depuis un an il expérimente différentes expressions de l’église en réseau.

« Sachez tout d’abord que je suis belge. Comme ça vous pourrez passer sur l’accent et surtout sur des choses dérangeantes que je pourrais dire. Vous n’aurez qu’à penser « Pas de souci, c’est en Belgique ! ». Sachez de plus que je ne représente que moi-même. N’allez donc pas imaginer que les églises belges pensent comme moi, ça me protège pour le retour !
Mon objectif est de lancer de nouveaux projets d’églises. Ma question n’est pas : que vais-je faire avec mon église mais quel genre d’église nous pourrions voir demain. L’approche est sensiblement différente de celles des intervenants précédents.

Il a beaucoup été question du décalage entre l’église et la société comme d’une chose qui menait à une vie de schizophrène : d’un côté ce que je vis à l’église, mes postures, mon langage, de l’autre ce que je vis au travail, avec les voisins etc.
Certes il y a l’étrangeté du Christ qui nous différencie. Le jour où l’on ne voit plus la différence entre un chrétien et le reste du monde, il y a forcément problème.
Malheureusement ce que l’on voit « en Belgique » ce n’est pas l’étrangeté du Christ mais ce que j’appelle une « déculturation ». Je me suis rendu compte que la différence ne venait pas du fait d’être chrétien mais du fait que notre culture d’église, surtout évangélique, était différente de la culture du monde. Nous vivons cloisonnés : les autres sont les autres et nous c’est nous avec notre façon de vivre.

Une autre raison pour laquelle nos églises ont besoin de se renouveler, en tout cas les églises évangéliques francophones, est que leurs modèles sont inappropriés parce qu’importé. Ils ne sont pas nés chez nous, ils ne sont pas nés de nous. Et puis, au fil des siècles, le monde a changé, la culture a bougé jusqu’à culbuter, basculer à un moment dans tout autre chose tandis que l’église restait fidèle à sa culture. Ainsi, non seulement le modèle de nos églises évangéliques est importé mais il s’est distancié toujours plus d’avec le monde qui l’entoure.

Et ce modèle en plus est utopique : je voyage beaucoup et je vois presque partout des responsables d’églises qui vivent dans la frustration permanente de ce que leur communauté devrait être : « Ca ira mieux quand on pourra payer un pasteur, quand on aura un nouveau local, quand on sera 60 ou 70 etc. » On court après un idéal qu’on n’atteint pas et on vit constamment dans la frustration intérieure.
Je vais encore noircir le tableau : Que manquerait-il à la société si nos églises disparaissaient ? Que lui apportons-nous ? Bien sûr nous sommes là pour annoncer l’évangile, la grâce de Dieu, je sais cela, mais concrètement où est notre impact ? Je m’adresse surtout aux évangéliques.

Je milite, je rêve d’un vivre l’église qui vienne de chez nous, de notre culture. Que serait un vivre l’église en phase avec notre culture ? Bien sûr notre culture s’enracine dans le passé, dans des siècles de traditions, y compris chrétiennes, mais que serait un temps de culte si nous devions l’inventer là, maintenant, entre nous ? Je ne rêve pas d’une émergence en rapport avec les autres églises évangéliques mais en rapport avec une sorte d’émanation de notre propre ambiguïté culturelle. Car si l’on parle de post-modernité, de post catholicité on vit aussi encore dans une culture moderne et catholique. Là est l’ambiguïté.

L’autre choix d’église est arranger au mieux ce que l’on a. L’exemple donné par Jean René,  deux cultes le matin, deux temps différents, presque deux langages, est fort intéressant.
Je ne cesse de réfléchir à tout cela et, en fonction de mes réflexions, j’essaie, avec d’autres, d’imaginer et d’expérimenter de nouvelles formes cultuelles. Je ne suis pas de prime abord pour un style de culte qui n’en serait plus un afin d’attirer les non chrétiens. Dans notre culture post-catholique je crois possible de proposer ouvertement des offices chrétiens mais vécus avec les éléments de notre culture. Jean l’a très bien dit ce matin.
On a aussi parlé de réseau, de tribus. Comment travailler parmi les tribus ? Nous avons démarré quelque chose avec des motards, ça c’est une tribu croyez-moi ! Si vous en touchez un avec l’évangile il va en parler à un autre qui va en parler à un autre … et hop, vous avez une communauté. Quel culte, quelle liturgie élaborer avec cette tribu là ? Nous venons également de commencer un projet de réseau social. Lequel ? Le tien, le mien, nos parents, nos amis qui invitent leurs amis, tout simplement.

On a parlé de convivialité. Où se manifeste la plus grande convivialité ? A table ! Quand on mange et quand on boit ! Ne pourrait-on pas concevoir et réaliser des cultes à table ?
On a parlé participation : comment faire une liturgie où les gens font quelque chose ? Faire participer des non chrétiens au déroulement du culte est aussi une idée à retenir. J’aime l’expression « pas encore », « pas encore chrétien ». Nous avons fait un culte spécial en septembre, (et nous récidivons la semaine prochaine) où 6 à 7 personnes qui étaient venues auparavant pour la première fois vont déjà participer activement au culte. J’ai aimé que Jean parle d’intelligence collective. Cela me renvoie à la manière dont nous prêchons le plus souvent : comme le maître qui a l’intelligence, qui détient la connaissance et la communique ex cathedra. Ne pourrions nous pas utiliser l’intelligence collective ? C’est ma dernière question, il y aurait encore beaucoup à dire. Voilà, c’est fini ! »

 

Témoignage : Pascal Geoffroy

Présentation préalable : pasteur de l’Eglise réformée de France depuis 20 ans, Pascal Geoffroy est Président de la Faculté de théologie réformée d’Aix en  Provence depuis 5 ans. Il a publié en 2004, chez Olivétan, “La fin de la catéchèse” où sont revisitées, en contexte réformé, la formation biblique et l’expression de foi de l’enfant dans la famille et dans l’Eglise. Cet essai préconise aussi l’implantation de clubs d’évangélisation pour enfants et adolescents.

« Depuis un an je suis pasteur dans la Drôme, où réside Daniel Schaerer, et j’ai l’opportunité de collaborer avec lui. Je suis né dans l’église réformée et j’y ai rencontré le Seigneur. Quand, après avoir exercé un autre job, je suis devenu pasteur, le problème des enfants et des adolescents dans l’église m’a interpellé. La pratique réformée de la catéchèse les cantonnait dans une petite bulle de la vie de l’église. On ne les voyait ni au culte ni dans les autres activités de la paroisse. J’ai résisté à cela, cette sorte de segmentation trop marquée du corps du Christ, ce démembrement qui veut que les enfants soient là, les vieux ici, les couples ailleurs, les brodeuses autre part etc. Ce n’est pas ainsi que l’on peut vivre la communauté et la fraternité.

Une bonne partie du début de mon ministère a consisté à comprendre ce fonctionnement et à essayer de mettre en place quelque chose pour regagner de la fraternité perdue. L’important me semblait de pouvoir intégrer les enfants au culte. Mais comment les intéresser ? Par chance mon épouse est artiste. Elle a confectionné des aides visuelles qui nous ont tous aidés à raconter les histoires, à réfléchir ensemble à notre vie avec Dieu, avec Jésus, avec le Saint Esprit. Elle a su également développer l’esthétique des lieux. Dans ce domaine, l’esthétique, force est d’avouer que chez les réformés la sobriété recherchée est souvent synonyme de laideur. Nous avons une belle pente à remonter pour retrouver le sens du beau à l’exemple de ce que vivent les orthodoxes.

Toutefois, même en faisant tout pour que les enfants participent au culte une partie d’entre eux n’y participaient pas. On a alors organisé des clubs pour eux en semaine, des clubs de rue dans les villages et là, surprise, j’ai pu contacter des enfants qu’on ne voyait jamais. Et dans ces villages on a soudain pu pousser des branches en direction de quartiers et de familles nouvelles où il n’y avait pas de chrétien.

Depuis un an je suis dans une nouvelle paroisse, Valréas, je manque donc encore de recul. Cependant l’an passé nous avons déjà mis en place un club de l’avent, animé avec des catholiques, qui s’est clôturé par une grande procession dans la ville. Nous rééditons l’expérience cette année. Plusieurs familles se sont depuis signalées comme prêtes à recevoir chez elle des clubs le samedi matin pour de courtes périodes.

Etant un vrai réformé l’institution et la liturgie me semblent certes importantes mais je n’oublie pas non plus la devise : « Une église réformée toujours à réformer ». Nous avons mis en place un pré culte d’une demi-heure durant lequel, selon les dimanches, nous apprenons des chants à plusieurs voix, nous étudions la Bible sous forme de partages etc.
J’ai observé dans ma première vie pastorale que ceux qui viennent pour louer Dieu ne sont pas ceux que viennent aux études bibliques. Comment le peuple qui aime à se réunir pour louer Dieu apprendra t-il donc à rendre compte de sa foi et à la confronter ? Je n’oublierai jamais le regard étonné de ce jeune quand il a vu ses parents et grands-parents penchés eux aussi sur un programme de questions à approfondir et à débattre et découvrir que l’étude de la Bible dure toute la vie, qu’elle ne s’arrête pas à la fin du caté. »

    Relevés de quelques échanges avec la salle :

Réponse à une question à Daniel Schaerer et Pascal Geoffroy sur les relations entre les églises de maison et l’église réformée :
   Pascal Geoffroy : Quelqu’un a parlé de « pionniers loyaux » et c’est la clef. Dans notre région, au début la situation était crispée. Les églises de maisons étaient tenues à distance par l’ERF. Il y avait un soupçon de déloyauté de la part des responsables des églises institutionnelles envers les leaders des églises de maisons. Mais ce soupçon n’existe manifestement plus aujourd’hui chez nous. En quelques mois, même si la reconnaissance officielle n’est pas encore là, j’ai vu s’instaurer la confiance et les conditions sont réunies pour que les choses avancent.

   Daniel Schaerer : La dynamique des églises de maisons ne se limite pas à une seule dénomination. Les nombreuses personnes qui découvraient Jésus au travers des églises de maisons n’avaient aucune connaissance, aucune culture religieuse et nous ne nous sentions pas le droit de profiter de leur ignorance pour les orienter vers telle ou telle dénomination. Nous les avons laissées aller où elles se sentaient bien. Certaines ont rejoint l’ERF, d’autres sont allées ailleurs et d’autres encore sont restées dans le groupe de maison et l’ont considéré comme leur église.

André Pownall rappelle la distinction entre églises et groupes de maison et demande s’il y a en France des réseaux d’églises de maisons analogues à ceux des USA

   Daniel Schaerer : La semaine dernière j’ai participé à une réunion de responsables de réseaux d’églises de maisons. Il y a plusieurs cas : des églises de maison rattachées à aucun réseau, qui se suffisent à elle-même ; des églises dites cellulaires en liens les unes avec les autres où un ensemble de groupes constitue l’église ; des groupes qui, comme moi, travaillent en partenariat avec les églises institutionnelles.

Une participante s’interroge sur le rôle et la place des instituts bibliques et des facultés de théologie dans les courants innovants ou émergents. N’y a t-il pas un déphasage entre leurs enseignements et les pratiques nouvelles ?

   André Pownall, professeur de théologie pratique à l’Institut biblique de Nogent : l’ouverture est encore minime. Personnellement j’essaie de pousser mes étudiants dans ce sens. Nous devons aller encore de l’avant dans ce domaine et je suis heureux que soient présents ici aujourd’hui plusieurs professeurs d’autres instituts ou facultés.

   Marie Thérèse : Oui, le chantier reste grandement à ouvrir et je rappelle que Gabriel Monet, avec lequel nous travaillons beaucoup, prépare un doctorat sur la théologie émergente.

   Jonny Baker : En Grand Bretagne nous avons cherché à établir une formation théologique pour pionniers. Nous proposons 5 week-ends par an qui se situent toujours là où il existe une communauté émergente. Ainsi, un de ces week-ends se fera à Sanctuary, chez Richard, et nous étudierons la mission inter-culturelle et trans-culturelle. La personne qui suit le cours est épaulée par un mentor. Pour reprendre les images d’Henri disons qu’il y a des compétences différentes selon que l’on souhaite travailler dans les tours ou dans les canaux.

   Eric Zander : J’ai eu l’occasion de visiter toutes les écoles bibliques. De réels projets novateurs il y en a peu. On est là dans l’émergence de l’émergence. Dans leur vaste majorité les écoles bibliques sont au service des églises traditionnelles. Leur objectif majeur est de former des jeunes qui y travailleront. Elles ne sont pas prêtes à accueillir des étudiants aux idées peu ordinaires et, le plus drôle, si l’on peut dire, est que nous avons constaté à l’institut d’Emmaüs, avec Matthias Radloff qui y enseigne, qu’il y a aussi des étudiants qui ne sont absolument pas prêts à entendre ces choses. Je ne pense pas que les écoles bibliques ont vocation à être avant-gardistes mais elles sont présentes ici et c’est encourageant.

   François Anglade : Pour ceux qui connaissent,  j’ai fait « Rencontres Yvelines 78 dans les années 1990 – 95. L’objectif du mouvement était de créer un grand nombre de cellules de maisons à partir d’une évangélisation par appels téléphoniques suivis de remises de brochures,  puis de proposition de rencontres personnelles puis de participation à un groupe. Le succès fut époustouflant mais il n’y a pas eu de suites durables. Les groupes qui se sont constitués à l’issue de la campagne n’ont pas tenu. Pourquoi ? Parce que les chrétiens bienveillants qui animaient ces groupes manquaient de formation.

   Marcel Metzer, ancien doyen de la faculté de théologie catholique de Strasbourg. : L’église catholique s’ouvre de plus en plus à l’engagement des laïcs. Plusieurs thèses et études sur les chrétiens aux marges des églises ont été publiées. De nombreuses formations bibliques sont offertes aux laïcs.

   Daniel Schaerer : Notre objectif est de former des personnes sur le terrain, de leur permettre de croître spirituellement pour être à leur tour capable de prendre des responsabilités et, selon le degré d’engagement, des formations complémentaires peuvent être proposées.

   Gilbert Bilézikian : Ce n’est pas le rôle des facultés de théologie de former les responsables de groupes de maisons. Cela incombe au mouvement lui-même. A Willow Creek il existe des formations sur place (cours, modules etc) Les leaders de groupes ont des mentors pour les soutenir. Il est arrivé parfois que certains de ces leaders aient à cœur d’aller plus loin et entreprennent alors des études de théologie pour devenir pasteur.

   Jean Hassenforder : Je reviens au problème de la légitimité. En Grande Bretagne les groupes émergents ont nettement progressé dès lors que l’église anglicane les a reconnus et a accepté pour eux une formation appropriée. Or, j’aimerais demander à Jean René s’il accorde une même valeur ou légitimité au culte alternatif qu’au culte classique.

   Jean René Bruandet : La question est purement sémantique pour moi. Les temps et les expressions changent. Il n’y a pas une seule forme de culte mais une grande variété. Qu’importe le style. Ce qui importe c’est l’excellence, c’est qu’il soit bien compris, et le mieux possible, par tous.

Eric Zander : Je dis cela sans jugement car les idées proposées sont bonnes, mais la plupart d’entre elles répondent à la question : « Comment rendre mon église plus attractive » et non à la question : « Comment aller vers les gens ». Je suis plus motivé par des tentatives visant à faire église chez les gens plutôt que par des tentatives visant à amener les gens chez nous. Pour le dire simplement : comment faire advenir, émerger l’église là où sont les gens ?

 

Synthèse par Gabriel Monet

Au cours de la journée notre axe de réflexion tournait autour de la question de savoir si l’Eglise est en transformation. A n’en pas douter, la réponse est oui. C’est non seulement une réalité mais une nécessité pour que l’Eglise soit autant que possible en phase avec les évolutions de la société et fidèle à ce pourquoi elle existe. Pour esquisser une synthèse de l’intelligence collective que l’ensemble des intervenants et participants ont essayé de développer, nous pouvons essayer de répondre brièvement et subjectivement aux questions en lien avec l’Eglise en transformation : Pourquoi, quand, qui, quoi, comment…

Pourquoi la transformation de l’Eglise ?
D’abord parce que la société change. On peut se demander si l’Eglise doit être en réaction ou en proaction dans cette évolution de la société. Et dans ce sens on peut s’interroger afin de savoir si le problème est aujourd’hui celui de l’offre plus que de la demande ? Mais les modes de fonctionnement en réseaux et un certaine forme de tribalisation sont une réalité de notre époque ; les Eglises ne se doivent-elles pas d’entrer dans ces approches qui touchent à la forme plus qu’au fond afin de vivre ce pour quoi l’Eglise existe, à savoir : l’adoration, l’édification, la compassion et la mission. Enfin, l’Eglise en tant que corps est un organisme vivant… et donc appelée  vivre et à évoluer, à croître et s’adapter. Le Dieu créateur continue sa création entre autre par et pour l’Eglise qui donc se transforme sans cesse. Elle est une communauté vivante à l’exemple de la trinité…

Quand l’Eglise se transforme-t-elle ?
Tout le temps… La notion d’émergence n’est finalement pas nouvelle. L’Eglise est sans cesse émergente, même si ce vocabulaire fait aujourd’hui référence à une intention toute particulière des Eglises de vivre une approche missionnelle dans une société postmoderne. Mais parce qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, et que l’émergence de l’Eglise a toujours eu lieu et doit continuer à s’écrire, il faut prendre en compte le passé pour penser l’avenir, et finalement s’ancrer plus fort dans ses racines pour élargir l’espace de nos tentes (Esaïe 54.2).

Qu’est-ce qui se transforme dans l’Eglise ?
Les domaines de la transformation dans l’Eglise touchent principalement à trois champs : les formes des cultes, la relation entre chrétiens, la présence au monde.

Qui sont les acteurs de la transformation ?
L’innovation et les églises émergentes sont le fruit des praticiens. La notion de leadership est fondamentale et c’est parce que des leaders s’engagent que la transformation est possible. Qu’ils soient pasteurs ou non, ce sont des leaders qui développent une vision qui engagent l’innovation. Cependant il faut mentionner l’utilité pour ne pas dire l’importance que ces pionniers soient à la fois connectés entre eux et soutenus. Cette question du qui peut être déclinée dans le par qui, mais aussi dans le pour qui ? La dimension missionnelle de l’Eglise paraît alors évidente. Dans le contexte de décroissance de la fréquentation des Eglises, il est urgent de penser à des formes d’Eglise adaptées aux besoins de nos contemporains. Une des raisons qui peut donc pousser à la transformation des Eglises consiste en cet intérêt de proposer l’Eglise comme un moyen adapté (et pas une fin) de contribuer à connecter des personnes au Christ.

Comment transformer l’Eglise ?
Dans la réalisation de la transformation de l’Eglise, la séparation sacré-profane doit probablement être amenée à s’amenuiser afin de rendre l’Eglise plus fluide et plus présente dans les activités et les relations habituelles des contemporains. Dans le rapport aux institutions ecclésiales, la transformation ne pourra s’opérer que dans une démarche d’autorisation de l’innovation et de l’expérience ou alors aux marges, si ce n’est en dehors des institutions. C’est par une dynamique relationnelle que la transformation se développe. Peu de méthodes, peu de doctrines, mais une importance de la rencontre, d’une reconnaissance mutuelle, d’une évangélisation relationnelle. Si notre société est marquée par l’individualisme, il y a néanmoins un désir de communication et de convivialité. La transformation de l’Eglise implique aussi d’évoluer dans le rapport d’appartenance à la communauté. S’il semble que beaucoup croient sans appartenir, il s’agit d’engager les gens à appartenir à des communautés de vie ouvertes même sans croire au départ afin de développer un chemin de découverte spirituelle. Un moyen fondamental de la transformation de l’Eglise consiste en à la reconnaissance et la mise en valeur d’un réseau d’expériences novatrices, dans lesquelles il faut accepter une part d’échec. C’est en quittant le rivage que la découverte de nouveaux horizons est possible. L’Eglise, pour être pertinente, se doit de garder une part de la radicalité du message de Jésus et de son impertinence. Et bien sûr, pour ne pas que l’Eglise se meure, nous avons besoin de semeurs !

Françoise Rontard

 

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