Qu’est-ce que la lumière ? Difficile à dire, même si nous en connaissons les bienfaits. Que serait l’univers sans la lumière ? Que dire au sujet de la lumière dans l’art ? Le sujet est vaste. Si vous le voulez bien je vous propose de diriger notre regard sur la lumière en peinture.

La lumière est centrale pour les peintres, qu’il s’agisse des artistes du clair-obscur comme Rembrandt ou Le lorrain ou des artistes « luministes » comme les impressionnistes qui ont cherché à traduire la lumière atmosphérique dans leurs œuvres. Et pourtant, il est bien difficile de la capturer, tant elle est fugace, et changeante. La saisir, la présenter dans les œuvres, est un désir et souvent un défi. Entre notre œil corporel qui regarde les choses et les représentations du monde, il y a la lumière comme médiation.
Arrêtons-nous sur trois artistes abstraits qui de façon paradoxale mettent la lumière au centre de leur travail. Il s’agit d’ artistes vivants : Geneviève Asse, Pierre Soulages et Kim En Joong. Pour moi ce sont des passeurs de lumière.

Etre passeur de lumière, c’est rendre visible la lumière, c’est aussi tenter de laisser passer cette lumière à travers les œuvres. C’est être en quelque sorte une frontière entre les ténèbres et la lumière. Nous allons voir la manière dont ces trois artistes ont su être passeurs de lumière.

Geneviève Asse

Dans les œuvres de Geneviève Asse, il y a une omniprésence du bleu. Le bleu est pour nous le ciel, la mer, de vastes surfaces où notre vision se perd dans les lointains. Pour Geneviève Asse, le bleu c’est l’espace, la liberté. A sa manière, elle veut nous transmettre un mystère, quelque chose qui se joue entre les éléments et elle. Geneviève Asse se voue à ce bleu qu’elle à découvert et qui porte son nom. Il ne faut pas chercher une suite logique dans sa progression plastique. Chaque toile est une aventure singulière. C’est ainsi qu’elle va faire des allers et retours du blanc au bleu, de la libération du geste à son effacement. Que sa toile soit grande ou petite ne change rien. Elle est retenue par l’interstice qu’elle travaille jusqu’à retrouver l’unité. Avec le polyptyque, elle retrouve la géométrie et fait revenir le problème de la ligne.
Cette ligne large ou fine peut aller jusqu’à donner l’illusion de l’incision. Elle y concentre la lumière. Geneviève Asse nous interpelle devant ses toiles réalisées avec le travail traditionnel de la peinture à l’huile, mais approfondies par la transparence. Elle pousse une porte qui s’ouvre sur un monde où est présent l’illimité.

Pierre Soulages

Perre Soulages est fasciné par le pouvoir de la couleur noire, Comment ce noir presque pure, monochrome, peut-il nous apporter de la lumière ? la couleur noire est une couleur d’obscurité et non de clarté.
Et pourtant Pierre Soulages va chercher les reflets et les scintillements de la lumière qui surgissent dans les stries du tableau. Il travaille sur la lumière réfléchie par le noir luisant ou par les reliefs de la pâte. Il va se démarquer de ses contemporains parce que sa peinture n’est pas un langage. Il refuse la figuration, et en même temps il rejette une peinture abstraite qui relèverait du psychologique ou de l’anecdotique. Chez Perre Soulages, le noir est une couleur, la plus riche de toutes. Son ascèse est joie et surabondance. C’est l’expression de l’abstraction poussée à son point extrême. Ce sont les qualités concrètes de la forme qui le retiennent et non les images qu’elles délivrent. Pour lui, l’œuvre est un objet concret, construit, équilibré. Il n’y a rien de commun entre les peintures de Pierre Soulages et les œuvres monochromes des autres artistes ; On ne peut guère comparer les toiles de Pierre Soulages avec les innombrables variations sur le monochrome depuis le carré blanc de Malevitch jusqu’aux bleus d’Yves Klein. Avec les peintures noires de Pierre Soulages, c’est autre chose, le tableau contient sa propre lumière qui émane de sa profondeur matérielle. Le noir est bien ici cette ” couleur de lumière ” dont parlait Matisse.

Kim En Joong

Quant à Kim En Joong, c’est un artiste religieux, dominicain. Il arrive à Paris en 1969. Chez lui la lumière a une dimension délibérément métaphysique. Dans ses œuvres, la tension entre le vide et le plein est à son paroxysme . Il exprime la lumière avec davantage d’évidence dans les tableaux où la présence du vide et du plein se côtoient avec harmonie. Il y a la prédominance du blanc face aux couleurs vives éclatantes, la réserve face au plein. On peut parler d’un « figuratif abstrait », mais nous sommes à mille lieux de l’art religieux habituel. Ce qui n’a pas été sans questionner ses contemporains, adeptes d’un art religieux saturé d’images figuratives.
Quant on lui demande d’expliquer sa démarche, ses intentions, il répond : « Expliquer ma peinture quel supplice ! La sensation intime ne s’explique pas. Je la mets dans ma peinture… » Il préfère laisser la liberté à ceux qui regarde ses œuvres, d’imaginer ce qu’ils peuvent y voir. Pour lui le réalisme de Fra Angelico l’empêche souvent d’entrer dans Le mystère. Il reconnaît que pour certaines personnes c’est utile. Mais lui ne peut pas réduire quelque chose d’inconcevable à un monde avec des images. C’est aussi pour cela qu’il ne donne pas de titre à ces tableaux.
L’artiste doit relever le défi de la lutte avec la toile qui demande habileté, souplesse, fermeté . Après Valéry, Kim En Joong rappelle : « la peinture, c’est quatre-vingt-dix-neuf pour cent de travail et un pour cent d’inspiration. C’est le travail qui donne l’inspiration. » Ce n’est pas tout à fait l’image que l’on se fait de la “vie d’artiste “.

Dans un monde marqué par le matérialisme et la souffrance de certains peuples, nous avons besoin plus que jamais d’un de ces artistes comme Kim en Joong. Cela nous incite à ne pas nous résigner au superficiel.
Cette lumière engendrée par le tracé de l’artiste n’est pas due au hasard mais sans doute à une inspiration spirituelle qui nous entraîne au cœur du mystère de la création.

 

Pour conclure

Que ce soit devant le bleu ouvrant l’espace de Geneviève Asse, devant les noirs de Pierre Soulages, où devant les peintures lumineuses de Kim En Joong, nous ne pouvons rester insensibles.
Pour conclure, nous pouvons constater que l’indice ou la présence affirmée de la lumière dans leurs toiles donnent à ces artistes le privilège d’être passeurs pour nous donner à voir ce que notre œil ne sait voir. Ces artistes nous conduisent au-delà des formes et de l’opacité de la matière. A travers la banalité de notre existence, ils nous guident et nous conduisent vers une autre lumière, nous entraînant au cœur du mystère de la création. Pour peindre ainsi, ils ne peuvent être soutenus que par un état de grâce, portés par une inaudible voix. Ils nous livrent un combat avec la toile où parfois la lutte est inégale parce que la matière est puissante, insaisissable, insensible.
Ainsi l’œuvre achevée, on peut s’écrier : « Que c’est beau ! » Ces paroles exaltant la beauté restent subjectives, mais ce sentiment esthétique est en même temps une source de bonheur et, peut-être, l’expression de l’indicible. Nous pouvons nous poser la question devant toutes ces œuvres anciennes ou contemporaines : que venons nous chercher ? Ne sommes-nous pas des mendiants de lumière ? Représenter ce qui n’a pas de figure, rendre réel quelque chose d’impalpable, nécessite une grande part d’humilité face à la création.

Brigitte Deris

 

En post scriptum quelques mots de Brigitte Deris sur sa propre peinture :

En ce qui me concerne ma création est une aventure.
Ma peinture peut-être figurative et réaliste mais aussi abstraite. Ma technique est souvent mixte. J’utilise plus fréquemment de la peinture acrylique associée au pastel gras. Parfois, j’ajoute des fragments de feuilles d’or ou des papiers collés ou les deux. Lorsque je travaille sur un thème particulier j’effectue de nombreux croquis,qui s’épurent au fur et à mesure de mes recherches. Il m’arrive de prendre un support visuel…mais il ne sert que de point de départ. Tout est différent ensuite.
Quant je réalise des peintures d’inspiration spirituelles, ma création trouve sa source dans ma relation avec le Tout-Autre. Je suis persuadée qu’il conduit mes gestes et le choix de mes couleurs.
Mais, bien sûr, dans l’action, je n’y pense pas. Une fois mon œuvre terminée, je m’étonne de ma création. Parfois, je trouve cela très réussi, mais, d’autres moments, c’est plus compliqué et plus long.
Parfois certains passages du Nouveau Testament retiennent mon attention. A d’autres moments, un psaume m’inspire, résonne en moi, me parle. Il me vient alors la nécessité intérieure de le transcrire sur la toile comme un écrivain ne peut s’empêcher de coucher sur le papier ses pensées.
Il est vrai qu’avant de commencer à peindre je demande à l’Esprit-Saint de me conduire, de me porter dans ce travail.
La plupart du temps je débute en traçant une ligne verticale, certainement parce qu’elle fait le lien entre le ciel et la terre, vient ensuite une horizontale. Ensuite le mouvement et la pose des matières colorées entrent en scène. C’est difficile d’expliquer pourquoi j’applique sur la toile plus le jaune que le rouge : c’est une alchimie intérieure
J’y mets alors ma conversation avec Dieu
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 JRCD<C>

 

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