Le Centre Chrétien Inter Confessionnel (CCI) est créé en 1986 à partir de plusieurs composantes : les responsables du Comité d’Action Chrétienne, des membres d’un groupe de prière inter confessionnel, des participants à un projet analogue imaginé dans les années 1980 autour d’un pasteur. Le CCI prend rapidement l’appellation de Témoins en écho au titre du bulletin du Comité d’Action Chrétienne qui devient un lieu fédérateur et va grandir en forme de magazine.
En quoi le déroulement passé débouche-t-il aujourd’hui sur des perspectives nouvelles ?
Comment ce mouvement témoigne-t-il d’une culture émergente à partir de laquelle on peut aborder de nouveaux enjeux ?
Le champ est vaste mais son approche témoigne d’une ambition : dépasser les cloisonnements, exprimer une présence chrétienne dans les différents aspects de la réalité.
Vivre et exprimer la foi
Ainsi, lorsque dans la seconde moitié des années 70 le journal Témoins apparaît, comme son titre l’indique, il va porter une culture du témoignage, une expression du vécu chrétien en dialogue avec les interrogations de l’entourage. Cette orientation se poursuit lorsque, au milieu des années 80, Témoins allie son nom à celui du Centre Chrétien Inter confessionnel et s’engage avec une vigueur nouvelle dans une évolution au cours de laquelle il passe progressivement de l’état de bulletin polycopié à celui de magazine.
Au long de ces années, l’expression du vécu chrétien s’approfondit et s’amplifie. La collecte de textes se réalise à partir d’un réseau de correspondants. Elle couvre tous les aspects de la vie chrétienne. Obtenus le plus souvent à partir d’interviews, les témoignages sont le fruit d’une réécriture dont le produit est soumis aux auteurs pour accord. De plus en plus, ils entrent dans le genre des histoires de vie qui se développe à cette époque en France. À travers une politique de numéros centrés sur un thème, ces récits sont accompagnés par des articles présentant une réflexion biblique ou une perspective de sciences humaines.
Bref, il y a bien là une démarche innovante comme le constate dans une lettre à la rédaction Sébastien Fath, encore jeune chercheur à l’époque:
“Votre revue apporte la preuve qu’il n’y a aucun lien organique obligé entre une théologie de l’expérience (ou insistant sur l’expérience concrète du croyant dans la vie quotidienne) et un refus du rationnel, une méfiance vis-à-vis des sciences humaines. Au contraire, les deux dimensions peuvent cohabiter, se stimuler mutuellement dans un processus d’épure critique permettant de tenir à distance ce qui, dans l’émotionnel, porte à la dérive et aussi d’ancrer le rationnel (qu’il soit sociologique, historique) dans une référence religieuse, méta-rationnelle qui peut l’interpeller, l’éclairer” (2)
Ainsi Témoins accueille un travail d’écriture qui suit un certain nombre de fils conducteurs.
Ces témoignages sont rassemblés et publiés dans une approche inter confessionnelle. Un observateur engagé dans une réflexion sur le rapport entre l’expression de la foi et les médias, Roland Sabatier, perçoit l’originalité de cette approche et écrit à ce sujet un article dans le bulletin de “Chrétiens média, Ile-de-France”, organe d’expression des équipes de communication des diocèses catholiques.
“L’objectif affiché de cette revue est d’être un outil pour annoncer l’Évangile à travers le vécu des auteurs d’articles et de témoignages. Son contenu correspond à son objectif. Les lecteurs, ils sont de tous les milieux chrétiens… Le comité de rédaction, c’est une équipe de chrétiens appartenant à diverses confessions et ouverte à de nombreux rédacteurs extérieurs. Dépassant les chapelles et les hiérarchies, ils semblent n’avoir pour référence que l’Évangile… et le bon sens. Le message, c’est le message de l’Évangile dans sa simplicité originelle. Enrichi de nombreuses expériences personnelles d’actualisation, mais souvent dépourvu (en apparence) des apports des grands ténors, que ce soient les Pères de l’Église, les papes ou les théologiens de la Réforme (sauf quelques exceptions). Oubli volontaire? Ou pudeur sur ce qui pourrait être source de divergences jugées factices? Cette absence de références explicites à une autorité religieuse unique fait toute la différence avec les revues catholiques que nous connaissons, même les plus indépendantes de la hiérarchie…” (3)
De fait, cette approche inter confessionnelle permet d’aller à l’essentiel en évitant les polarisations et les extrapolations qui engendrent souvent des points de blocage dans la communication.
Un autre principe est à l’oeuvre dans cette écriture, c’est un effort de discernement. En effet, dans certains cas, la conviction de foi peut s’exprimer avec fièvre et s’accompagner de représentations simplistes. À la croisée des chemins, les rédacteurs de Témoins sont en position de susciter un dialogue, élément d’appréciation critique et facteur d’équilibre. La démarche est d’aller à l’essentiel et de s’inspirer des fruits de l’Esprit.
Par ailleurs, la culture de Témoins entre également en ligne de compte. Cette culture allie les dimensions d’un christianisme de l’incarnation attentif à tous les registres de l’existence humaine et d’une foi sensible à la transcendance dans le mouvement de la Parole et de l’Esprit.
Le travail d’écriture réalisé à Témoins s’inscrit dans un mouvement de la culture qui va dans le sens de la personnalisation à travers le développement de l’autonomie et de l’expression. À cet égard, comme le montre Georges Gusdorf dans son livre “les écrits du moi” (4), au cours des derniers siècles, certaines composantes du christianisme ont anticipé en développant une attitude favorable à l’expression personnelle de la foi. Aujourd’hui, “l’individualisation du croire” s’inscrit dans une évolution générale de la société où les comportements s’autonomisent et se diversifient dans tous les domaines. Les sciences humaines elles-même participent à cette évolution. L’attention portée au vécu se manifeste par la reconnaissance de savoirs étroitement liés à l’action. L’expérience personnelle engendre des connaissances. À côté des savoirs théoriques, on reconnaît maintenant l’existence de “savoirs d’action” existant chez les praticiens (5).
Les “histoires de vie” prennent place désormais dans les modes d’investigation de la recherche mais s’inscrivent également comme une approche privilégiée dans une vision renouvelée de la communication. Les vertus de la narration sont mises en valeur par un philosophe comme Paul Ricoeur. Un psychologue américain, Jérôme Bruner, montre comment les récits sont, dans la culture humaine, le principal support de la construction et de la transmission du sens (6). Cette perspective peut à son tour nous aider à bien comprendre l’apport des histoires de vie pour la vie spirituelle. Celles-ci constituent un moyen inégalable car en présentant une situation singulière, elles permettent aux lecteurs d’y reconnaître en toute liberté des enseignements de grande portée (7).
Et pourtant, cette reconnaissance du vécu n’est pas sans rencontrer des résistances dans certains milieux chrétiens marqués par une culture classique. Là où prévaut un principe d’autorité, l’enseignement fonctionne selon un mode déductif sans prendre suffisamment en compte les savoirs issus de l’expérience. L’approche inductive se heurte à l’intellectualisme. D’une façon plus subtile, les récits de vie dérangent ceux pour qui la vie religieuse s’inscrit prioritairement dans des pratiques institutionnelles ou culturelles. La manifestation du vécu s’affronte à une “discipline de l’extériorité” pour reprendre une expression de Georges Gusdorf (4).
Cette situation est remarquablement éclairée par une analyse du sociologue Enzo Pace.
“Depuis les plus anciens combats menés contre elles par les Lumières jusqu’aux conflits qui ont mis aux prises églises et partis ou idéologies politiques, les traditions religieuses n’ont cessé de mettre l’accent sur la doctrine et l’apologétique, donc sur la dimension cognitive de leurs référents symboliques… Dans la mesure où elles persistent sur cette lancée, elles se tiennent à l’écart du changement culturel… L’importance du schème post-moderne de l’expérience ne doit pas être sous-estimée. S’il est vrai, en effet, qu’il implique une mise en cause radicale de l’ancienne opposition des registres du cognitif et du pratique (avec subordination du second au premier comme du laïc au clerc), le succès social de sa diffusion dans l’univers religieux peut être tenu pour l’occasion d’une mutation notable au sein des traditions religieuses” (8).
La reconnaissance de la place accordée au vécu varie donc encore beaucoup selon la culture dans laquelle on se situe. Lorsqu’on souhaite atteindre des milieux réticents, on pourrait en tenir compte en développant une pédagogie appropriée. Malgré le chemin parcouru, l’expression du vécu chrétien est encore un chemin innovant.
Aujourd’hui, les histoires de vie publiées dans le magazine constituent une banque de données originale et quasiment inégalée en France. Le livre “Itinéraires. Des chrétiens témoignent” (9) présente 80 textes, principalement des témoignages, mais aussi des textes d’accompagnement sur le registre de la réflexion biblique et des sciences humaines. Mille exemplaires de ce livre ont été vendus. L’accueil a été excellent dans certains milieux mais le chiffre actuel des ventes montre bien les limites de la réception qui tiennent pour une bonne part à des barrières culturelles et à des emprises commerciales. Des extraits de témoignages ont également été portés sur le site internet de Témoins dans un espace intitulé: “questions de vie”. C’est un effort pour permettre aux questionnements de se confronter avec des textes porteurs d’expérience.
Depuis plusieurs années, un groupe de partage, “la fraternité”, se réunit chaque mois à Témoins pour réfléchir à des sujets très variés: problèmes de vie, questions de société, interrogations théologiques. Dans sa dimension inter confessionnelle, en rassemblant des compétences croisées en terme de culture biblique et d’expérience spirituelle et en fonctionnant sur le registre d’une communion fraternelle, ce groupe est devenu un lieu original où se produit un discernement sur de nombreuses questions. Dans la complémentarité des apports, des points de vue se construisent dans un va-et-vient fécond entre les différents apports de l’expérience, de l’observation et d’une réflexion nourrie par la parole biblique et enrichie par les savoirs contemporains. Cette voie, là-aussi, est à poursuivre et elle pourra se manifester sur le site internet de Témoins.
Le développement personnel
Ainsi, Témoins intègre certains apports du courant charismatique en ce qui concerne la guérison. L’intervention divine s’inscrit dans une conception chrétienne de l’homme qui allie ensemble une triple dimension : spirituelle, physique et mentale. En théologie biblique, il y a une étroite relation entre guérison, salut et plénitude (10). Dieu appelle l’homme à concourir à son oeuvre à travers toutes ses facultés.
C’est le cas également dans le domaine du développement personnel. À une époque où la psychologie devient de plus en plus performante, comment ne pas chercher à allier l’intuition spirituelle à l’intelligence du psychisme? Témoins s’est engagé très tôt dans cette voie. En effet, dès le départ, il s’est situé au confluent de deux sensibilités: l’accent sur l’oeuvre directe de l’Esprit dans la guérison intérieure, la considération pleine et entière des acquis de la psychologie comme don de Dieu à travers l’intelligence de l’homme.
Si on reprend la chronologie de Témoins, on constate que l’engagement dans ce domaine a été précoce. En effet, il se réalise dès la fin des années 80 et le début des années 90. À cette époque, le Centre Chrétien Inter confessionnel organise conférences et rencontres en faisant appel à des personnes alliant expérience spirituelle et compétence psychologique. Les noms de Claude Meynckens, de Simone Pacot, des formateurs de l’AFRAI (Association de Formation et de Relation d’Aide Intégrée)… apparaissent ainsi très souvent.
En octobre 1990, un numéro spécial de Témoins témoigne de cette démarche: “Un dossier pour y voir clair sur l’accompagnement spirituel et la relation d’aide. Un dossier où pour dépasser les blocages, psychologie, psychothérapie, parole de Dieu et prière font bon ménage et conduisent vers la libération intérieure, la victoire de la Vie” (11).
En décembre 1996, un nouveau numéro spécial: “Foi et psychologie. Chemins de libération” (12) manifeste l’émergence de ce mouvement. Effectivement, dans la seconde moitié de la décennie, les pionniers de cette approche globale vont trouver une audience.
En 1997, le premier livre de Simone Pacot: “la guérison des profondeurs” (13) allie étroitement le donné biblique et les apports de la psychologie. Jacques et Claire Poujol fondent un dispositif pour le développement de la relation d’aide mettant en valeur les apports de la psychologie dans une perspective chrétienne. Leur action se traduit en livres, en formations et aujourd’hui dans un site internet www.relation-aide.com (14). Sous la direction de Denis Guillaume, les éditions Empreinte participent à cette action innovante en publiant des livres écrits en France ou à l’étranger. De nombreuses traductions enrichissent cet apport.
Ainsi, à la fin de la décennie, Témoins n’a plus le rôle incitatif qu’il a pu exercer au début de cette période, mais il continue à avoir un rôle d’accompagnement significatif à travers le magazine. En effet, sous la responsabilité de Denis Guillaume, une rubrique: “foi et psychologie” apparaît au début de 1999 et elle sera suivie par une rubrique “développement personnel” dans la nouvelle formule du magazine à partir de l’année 2000. En France, Témoins est sans doute le seul périodique chrétien qui a rendu compte de ce mouvement d’une façon aussi large et régulière. Cette action reste encore innovante. Certes, il n’a plus aujourd’hui les sérieuses résistances que ce courant a pu rencontrer au départ dans le refus opposé par certains clercs à cette ouverture de la vie spirituelle à des champs nouveaux. Mais ce mouvement n’a pas encore pénétré dans certains milieux, bien que le champ balisé par les publications s’élargisse aujourd’hui. En ce sens, le regard de Témoins est toujours utile.
Chrétiens dans la société
Depuis sa création dans les années 70, une composante majeure de Témoins: le CAC est engagé dans la vie de la cité. Son président Pascal Colin a une activité militante au plan politique et, dans le cadre de l’association, il mène une action sociale très active.
Au début des années 90, au centre chrétien de Gagnières en août 1992, Témoins organise une université d’été sur le thème: témoignage chrétien et action dans la société.
En décembre 1995, un numéro spécial du magazine: “Dossier: Solidaires”, traite de la lutte contre l’exclusion. Au long de la parution du journal, les chroniques de Pascal Colin et de Yves Desbordes font entendre des voix chrétiennes sur l’actualité. Sur le registre de la réflexion de fond, le CCI fait rapidement appel à Frédéric de Coninck qui développe une réflexion biblique originale (16).
À partir de 1998, une rubrique sur “foi et société” est créée dans le magazine avec son concours. Dans la nouvelle formule de Témoins en l’année 2000, l’espace “chrétiens dans la société” figure parmi les cinq principales rubriques du magazine. L’article publié dans le numéro 138: “Réfléchir après le 11 septembre”, ouvre un horizon éclairé par la pensée biblique, pour une action des chrétiens à l’échelle de la planète.
Cependant, si la participation de Témoins à ces préoccupations est une contribution à un mouvement plus large, le contexte dans lequel il a grandi nous paraît davantage original. En effet, comme le montre bien le livre “Esprit, es-tu là?” (17), le Comité d’Action Chrétienne est apparu dans les années immédiatement postérieures à 1968. À l’époque, différents milieux chrétiens en panne de ressourcement spirituel s’étaient polarisés sur un activisme politique. Le gauchisme étendait son influence en forme de religion séculière. Or le CAC ne tombe pas dans ce travers. Au contraire, c’est à travers une motivation explicite de foi que les membres du CAC s’engagent dans l’espace public.
Au long des années, ils vont allier implication sociale et foi chrétienne active. Lorsque se produit le retour du balancier et qu’un repli sur une activité spirituelle en forme de ghetto succède aux excès d’un engagement politique effréné, la spiritualité de Témoins constitue une approche équilibrée qui peut inciter les chrétiens à une présence active dans la société.
La foi et la culture contemporaine
Au cours du dernier demi-siècle, la relation entre les chrétiens et la culture contemporaine s’est poursuivie avec des fortunes diverses.
Au début des années 90, Témoins intervient relativement peu dans ce champ. Sans doute, les responsables ne disposent-ils pas des compétences et des ressources nécessaires pour être actifs dans ce domaine. Ce travail se réalise en d’autres lieux et sur d’autres supports. Présent sur un autre terrain, Témoins s’investit peu dans le rapport avec la “culture savante”. Il y a cependant déjà une exception: l’intérêt porté très tôt aux sciences humaines dans leur relation possible avec la vie chrétienne. C’est le cas dans le domaine de la psychologie. D’autre part, en valorisant l’expression de la foi, Témoins fait oeuvre culturelle en publiant un grand nombre d’histoires de vie où l’écriture intègre le langage parlé. Très tôt, à travers la jeune génération présente à Témoins, la musique occupe une place importante.
En septembre 1996, un numéro spécial de Témoins dresse un bilan de la présence des chrétiens dans la musique actuelle et de la manière d’y exprimer leur foi. Témoins fait ainsi connaître à ses lecteurs le grand courant international de la “musique chrétienne”. Le CCI encourage également le développement de Master Music à ses débuts. De même, il soutient par la suite l’engagement de Daniel Pialat dans ce qui va devenir un “ministère” musical à plein temps.
Témoins encourage ainsi le développement d’une “culture populaire” proche de la “culture de masse” et insérée dans l’actualité. Cette culture, particulièrement active en milieu évangélique, est encore méconnue dans d’autres circuits religieux qui valorisent une tradition patrimoniale et parfois élitiste.
Le public instruit s’éloigne de plus en plus des positions marxistes, structuralistes ou scientistes qui s’opposaient à la foi chrétienne. Il y a là une ouverture nouvelle. Et par ailleurs, les aspirations spirituelles sont manifestes. N’y a-t-il pas là une opportunité et une invitation à être présent dans le champ de la culture?
Bien informé du contexte international, Témoins a découvert l’activité innovante de l’association anglaise Damaris dès la seconde moitié de la dernière décennie. Damaris se comporte comme un observatoire chrétien de l’activité culturelle. Fondée sur un ancrage biblique, cette équipe donne un point de vue chrétien sur les oeuvres culturelles: films, émissions de télévision, livres… qui attirent aujourd’hui l’attention du public. Cette activité se déploie ainsi sur différents registres et concerne à la fois la “culture savante” et la “culture de masse”. Elle s’appuie sur une analyse des mentalités et place ainsi l’annonce de l’Évangile au coeur même de la culture d’aujourd’hui. Témoins a fait connaître en France les livres de Nick Pollard, le fondateur de Damaris (19). Le 25 septembre 2001, Témoins a reçu à Antony une délégation de Damaris; cette rencontre a facilité le développement d’un espace francophone dans le site internet de Damaris (20).
L’exemple de Damaris a aussi suscité un intérêt accru de Témoins pour une réflexion chrétienne sur la culture. Ainsi, à partir de l’année 2000, une nouvelle rubrique: “regards sur la culture” a été créée dans le magazine. Elle a manifestement suscité l’attention en abordant des thèmes aussi variés que la philosophie, les sciences, le théâtre, la chanson. À travers cette évolution, la vision de Témoins s’est élargie.
L’essor de la recherche
En effet, dans une situation de carrefour où Témoins est un lieu d’observation, on peut mesurer le décalage entre les aspirations des chrétiens et le fonctionnement de certaines institutions. D’ailleurs, les amis qui se retrouvent pour créer ce groupe ont en commun un vécu qui porte des aspirations et nourrit des questionnements.
Le développement d’un groupe de recherche dans l’environnement de Témoins est de fait favorisé par plusieurs facteurs.
Le contexte inter confessionnel favorise la comparaison en France même, puis rapidement sur le plan international. Il autorise une distance critique.
C’est la conviction chrétienne qui est motrice. Elle refuse de considérer le déclin comme une fatalité. Et par ailleurs, la culture de Témoins rejette toute dissociation entre le vécu intérieur de la foi et la prise en compte des réalités sociales et culturelles. Ainsi, les difficultés des églises appellent un effort d’intelligence et pas seulement un mouvement de piété.
Par ailleurs, issues des années post 1968, les composantes de Témoins s’affrontent au problème de la pertinence des institutions depuis leurs origines.
Au long des années, en exprimant le vécu de la foi, Témoins a développé une approche dans laquelle la vie chrétienne s’exerce dans le contexte du nouvel environnement culturel. Cette expérience est le socle à partir duquel peut se développer une investigation sur le comportement des institutions. Le projet de recherche met l’accent sur le changement culturel et sur le décalage qui s’est opéré entre une transformation rapide de la culture globale et une évolution beaucoup plus lente des micro-cultures religieuses.
Cette approche est développée dans le texte d’orientation du groupe de recherche: “nouvelle ère, nouvelles églises? Un appel à la recherche” (décembre 1998). Ce texte évoque la puissance du changement culturel tel qu’il est décrit par le sociologue Henri Mendras dans son livre: “La seconde Révolution Française” (21). Il formule ensuite plusieurs hypothèses.
Selon différents indicateurs, on peut se demander si les églises ne manifestent pas un retard dans la prise en compte du changement culturel. La chute massive de la pratique dominicale dans les églises historiques, particulièrement chez les jeunes au cours des dernières décennies, ne tient-elle pas, pour une part, à l’inadaptation de leurs propositions par rapport au changement dans les aspirations? Dans quelle mesure la communication des églises estelle pertinente, “relevant” pour reprendre un terme anglais particulièrement parlant?…
Ainsi l’évolution actuelle est source de tensions et de contradictions. Pour avancer dans la résolution des problèmes, il est nécessaire que ces tensions et contradictions soient reconnues et explicitées. Pour reprendre le terme d’un livre anglais (22), “une ère nouvelle requiert des églises nouvelles, des églises renouvelées…”.
Au cours des dernières années, à travers ses travaux, le groupe de recherche a pu vérifier ces différentes hypothèses. Beaucoup de questions ont pu être identifiées et analysées grâce à l’exploration d’une vaste littérature française et étrangère. Le numéro spécial de Témoins (4ème trimestre 1999): “Quelle Église pour demain?” apporte une première mise en perspective. Les contributions du groupe paraissent ensuite dans la rubrique: “ Église en devenir”. Aujourd’hui, la réflexion a progressé. Le terrain est mieux balisé.
Tout d’abord, le concept de culture s’est révélé très heuristique. Il permet de mettre en évidence différents ensembles, leurs mouvements respectifs et leurs rapports. Des auteurs comme Gerald Arbuckle (24) ou Stuart Murray (25) montrent comment le concept de culture permet de comprendre les dysfonctionnements intervenant dans la vie de certaines églises.
Le groupe a pu également dresser un bilan de plus en plus précis de la situation en France. Les articles de Pierre Bréchon (26) et de Yves Lambert (27) ont permis de mettre en évidence
l’évolution des attitudes religieuses en France. “De 1990 à 1998, le pourcentage de catholiques passe de 57% à 51% alors que le pourcentage des sans religion monte de 39% à 45%. Cette évolution s’explique essentiellement par le renouvellement des générations. Les jeunes générations étant beaucoup moins religieuses et intégrées au catholicisme que les plus vieilles, au fur et à mesure que les générations âgées sont remplacées par des plus jeunes, de manière progressive mais nette, les taux des catholiques déclarés décroissent et les sans religion montent” (26a). Ainsi les enquêtes sociologiques confirment la gravité d’une situation déjà visible aux yeux de ceux qui veulent bien considérer la réalité et non la dénier.
Il convient de situer ces données dans une conjoncture historique et sociologique. À cet égard, le livre de Danièle Hervieu-Léger: “Le pèlerin et le converti” (28) fait apparaître les grandes lignes de l’évolution.
“L’affirmation de l’autonomie croyante est vraiment le trait majeur de la modernité religieuse… Les croyances se développent désormais sur un monde extraordinairement individualiste et subjectif. Elles accompagnent le processus d’affirmation de l’individu. Le fait nouveau, c’est que les grandes églises ne sont plus en mesure de fournir des canaux, des dispositifs organisateurs de ces croyances (29).
Ainsi, dans le rapport offre/demande, l’inadéquation de l’offre a un effet certain. Les analyses de Peter Brierley (30) font ressortir que les églises institutionnelles les plus marquées par l’histoire sont aussi les plus affectées par le déclin. Des enquêtes récentes présentées dans des livres comme “Gone but not forgotten” (31) ou “Churchless faith” (32) font apparaître les processus à travers lesquels beaucoup de gens se détachent des églises pour une large part en fonction de l’inadaptation du dispositif ecclésial.
Cependant, si des forces puissantes sont en oeuvre, une issue négative n’est pas fatale. Ainsi, comme le montre le sociologue W. C. Roof, dans le cas des États-Unis, la génération des baby boomers, après s’être éloignée des institutions religieuses, a ensuite rejoint, pour une bonne part, des églises qui se sont créées pour répondre aux aspirations nouvelles (33). En Angleterre, des formes innovantes apparaissent et ouvrent des horizons (34). À l’échelle internationale, à travers les recherches, nous voyons de mieux en mieux comment se dessinent les contours d’une culture d’église en phase avec la société d’aujourd’hui.
Ainsi, là comme ailleurs, la pertinence de l’offre exerce une influence sensible. Dans le domaine séculier, on a pu constater combien la conjonction de la recherche, de l’innovation et de la communication pouvait susciter des changements positifs. Il peut en aller de même dans le champ des églises. C’est dans cette perspective que travaille le groupe de recherche de Témoins. Aussi bien lui a-t-on donné provisoirement une appellation complémentaire: “Chrétiens pour l’innovation et la recherche” tandis qu’un des membres du groupe propose un titre plus ambitieux encore: “Les églises en devenir. Observatoire chrétien des églises dans la société francophone”.
Nous venons de décrire à grands traits comment la réflexion du groupe avait cheminé. Dès le départ, le groupe s’est voulu un carrefour permettant un dialogue entre chercheurs et “acteurs” de la vie chrétienne dans un esprit d’indépendance vis-à-vis des contraintes institutionnelles. Au long des années, il progresse dans cette direction. Ainsi son audience commence à croître. En 2002, des articles sollicités auprès d’un de ses membres sont parus dans deux revues catholiques conciliaires: Parvis, Écoutes et Regards (35).
Depuis deux ans, une collaboration très étroite s’est développée entre le groupe de recherche de Témoins et une commission de l’Alliance Évangélique: “Évangile et Culture””. “Évangile et Culture” s’attache à travailler le rapport de l’Église au monde, à cerner les interactions et les influences réciproques, à mettre en évidence les occasions que la culture actuelle offre au progrès de l’Évangile…” et poursuit plusieurs directions comme “l’étude des tentatives pour
vivre une Église renouvelée, l’analyse de la culture actuelle, une réflexion sur la culture d’Église, une esquisse de ce que pourrait être l’Église…”
Comme on peut le constater, les deux groupes sont ainsi sur la même longueur d’onde. En novembre 2002, ils ont présenté une exposition commune dans le cadre d’un stand au Centre Évangélique de Lognes. Témoins est également associé à une consultation européenne sur le développement de l’Église et les innovations en cours organisée par “Évangile et Culture” les 2-3-4 juin 2003 à Paris (36).
Le groupe de recherche poursuit également une collaboration avec l’association anglaise Damaris telle qu’elle est résultée de la rencontre organisée à Témoins en septembre 2001.
Dans cette perspective, le renforcement des moyens de communication s’avère nécessaire. Différentes formes sont envisagées. La priorité va à la création d’un espace sur la recherche dans le site internet de Témoins. Plus généralement, la progression du groupe passe par le développement de partenariats à l’exemple de la collaboration engagée avec “Évangile et Culture”.
Communiquer
L’Évangile nous dit combien la relation est au coeur de la vie chrétienne. Vivre en relation, c’est aussi communiquer.
Dans les années 70, la création du journal témoigne d’un élan: proclamer la bonne nouvelle de l’Évangile. Mais communiquer, c’est aussi élaborer un message en fonction de ce qu’on imagine de sa réception par son destinataire. Le souci de dialogue est manifeste dès la création du Comité d’Action Chrétienne. Cette attitude se poursuit dans le Centre Chrétien Inter confessionnel. La première université d’été organisée par Témoins au centre chrétien de Gagnières en 1991 porte sur le thème: “Comment communiquer l’Évangile aujourd’hui?”. En parcourant le numéro spécial de Témoins qui en est résulté: “La puissance de l’Évangile”, on constate combien le croisement des approches se révèle fécond. En effet, on y trouve à la fois les apports de la sociologie et du marketing, une approche relationnelle à partir de l’écoute de Jésus, des témoignages portant sur des formes d’annonce très variées depuis l’émergence d’une église pentecôtiste jusqu’au témoignage d’un “prêtre ouvrier” ingénieur.
Quelques années plus tard, Témoins fera connaître les livres de Nick Pollard qui nous font entrer dans la compréhension des mentalités d’aujourd’hui (19).
Annoncer l’Évangile aujourd’hui, c’est dire sa conviction en des termes qui puissent être entendus. La rencontre entre Témoins et l’association Damaris se situe dans cette perspective.
Au long des années, Témoins a été un carrefour qui a mis en valeur les initiatives créatives dans le domaine de l’évangélisation. Dans la seconde moitié de la décennie, le carrefour s’est de plus en plus ouvert à la dimension internationale. Ainsi le magazine a fait connaître le succès des cours Alpha en Angleterre dès 1996. C’est sans doute une des premières informations diffusées en France à ce sujet.
Communiquer, c’est aussi adopter des supports adéquats. Depuis Mc Luhan, on sait qu’il y a inter relation entre le message et le média. Au cours des dernières années, le magazine a été l’objet d’un effort d’innovation graphique. Le site internet de Témoins est créé dès le début de l’année 1998. Si son activité a varié en fonction des ressources et des disponibilités, il y a là un projet qui est cher au coeur des membres de l’association et qui va connaître prochainement un nouvel essor.
Internet est le produit d’une multitude d’initiatives et de la constitution de réseaux. Ce mouvement trouve un écho favorable dans un contexte inter confessionnel puisque celui-ci favorise une dynamique interpersonnelle.
Ainsi peut-on comprendre que Témoins, malgré sa modeste dimension, soit à l’origine des premières rencontres entre internautes chrétiens francophones le 2 décembre 2000, puis le 8 écembre 2001. En juin 2002, Témoins, Eklesia.net et Croire.com organisent des assises de l’internet chrétien. Deux numéros spéciaux du magazine jalonnent ce parcours (38) et font ressortir la nouveauté des perspectives et la richesse de l’innovation.
Ainsi, l’horizon de Témoins s’élargit. Au départ, le journal est diffusé surtout localement. Puis son audience a dépassé le cadre de l’Ile-de-France et est devenue nationale. En même temps, au long des années, les auteurs très souvent interviewés par téléphone forment maintenant un réseau de correspondants qui permet de suivre l’évolution de la vie chrétienne et le développement de l’innovation.
Au cours des dernières années, ce réseau est devenu international à travers les contacts établis avec des organismes comme Damaris, la Bible Society ou le London Institute for Contemporary Christianity. Aujourd’hui les contacts sur internet ouvrent un nouvel horizon.
Au long des années, la communication de Témoins s’est développée dans deux directions: vers le grand public; vers les publics chrétiens.
L’annonce de l’Évangile a été une préoccupation constante. Comment développer un langage adéquat? Cette question interpelle tous les chrétiens. Puisque nous vivons dans les termes d’un environnement et d’une culture, il nous faut penser et exprimer notre foi dans ce contexte. Si internet est une magnifique innovation technologique, encore faut-il y communiquer dans un langage accessible et dans une dynamique répondant aux questions posées. Voilà un horizon de recherche.
Parallèlement, Témoins a oeuvré pour développer la communication dans l’univers chrétien lui-même.
Ainsi a-t-il fait connaître beaucoup de livres et de CDs, beaucoup d’initiatives et d’innovations. Mais sur ce registre, la communion doit précéder ou accompagner la communication. Et c’est bien ce que Témoins a réalisé en diffusant des témoignages à travers lesquels est partagée une expérience profonde. Ce travail reste à poursuivre, par exemple en cherchant une plus grande accessibilité pour des personnes qui ne sont pas familières avec l’intériorité.
Par ailleurs, si Témoins travaille dans la perspective d’un christianisme pluriel, il faut reconnaître que beaucoup de travail reste à accomplir pour permettre aux différents milieux chrétiens de bénéficier des ressources produites dans d’autres milieux. Le marquage culturel et théologique empêche fréquemment ces échanges mais dans de nombreux cas, la communication pourrait être améliorée si l’on parvenait à franchir des frontières culturelles.
Un autre horizon apparaît également. À l’instar de la communication dans d’autres domaines d’activité, le développement des échanges internationaux serait hautement profitable. En consultant la littérature étrangère, nous constatons qu’on y trouve bien souvent des réponses à nos propres questions. Il y a là des ressources qui nous laissent toute liberté pour une accommodation personnelle. À l’instar du “Courrier International” publié en France, pourquoi ne pas réaliser un travail comparable de traduction et d’adaptation sur un registre chrétien?
Dans un livre récent sur internet (39), Pierre Lévy nous propose cette réflexion.
“Plus un régime politique, une culture, une forme économique ou un style d’organisation a des affinités avec la densification des interconnexions et mieux il survivra et rayonnera dans l’environnement contemporain. La meilleure manière de maintenir et de développer une collectivité n’est plus d’élever, de maintenir ou d’étendre des frontières, mais de nourrir l’abondance et d’améliorer la qualité des relations en son propre sein comme avec les autres collectifs” (39a).
Voilà une perspective qui correspond à l’esprit de Témoins et qui peut être poursuivie et développée dans le champ qui est le nôtre.
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Au long des années, le travail de Témoins s’est développé en suivant les pistes que nous venons d’énumérer. Et sans doute pourrait-on en énoncer d’autres. En effectuant ce bilan, on découvre une continuité et, à certains moments, des accentuations. Ainsi, dans les dernières années, Témoins s’est engagé dans une dimension plus collective. À travers le groupe de recherche, il a commencé à exprimer les questions et les aspirations des chrétiens confrontés au changement social et culturel en s’interrogeant en conséquence sur la pertinence des pratiques d’église. En prenant en compte la recherche sociologique, un dialogue s’est établi entre les questionnements des chrétiens actifs sur le terrain et les propositions des chercheurs: données d’enquête et interprétations. Ainsi, une nouvelle voie s’est ouverte.
Or, en allant dans cette direction, Témoins commence à rencontrer des amis qui se posent les mêmes questions. Ainsi, il y a deux ans, la rencontre avec “Évangile et Culture” a été vécue comme un grand encouragement car elle a montré combien la même recherche était partagée. Par ailleurs, l’exploration des ressources à l’échelle internationale a été particulièrement féconde. Elle a fait apparaître combien les questionnements de cette petite équipe française s’inscrivaient dans une problématique internationale et, en même temps, comment les recherches déjà menées à l’étranger apportaient de premières réponses. Comme dans un puzzle, des pièces se sont insérées et ont tracé un sens. Là aussi, des partenariats ont commencé à s’établir. Si on ajoute le travail pionnier réalisé par Témoins dans son effort pour mettre en contact les internautes chrétiens, on constate que l’horizon s’est considérablement élargi.
Témoins est ainsi confronté avec de nouveaux enjeux. Et en même temps ses moyens sont encore très limités. Comment peut-on faire face à ce défi? À cet égard, nous pouvons trouver un encouragement dans cette analyse. En effet, pour grandir, un arbre doit pouvoir faire appel à de profondes racines. Or la trajectoire que nous venons d’évoquer montre combien les différentes orientations de Témoins s’appuient sur une culture originale qui a rendu possibles des réalisations successives. Un historien a défini la culture comme “un ensemble d’habitudes et de représentations mentales propres à un groupe donné à un moment donné…” (40).
Au long de ces trois décennies, une culture spécifique s’est forgée et constitue aujourd’hui une ressource majeure pour Témoins. Les grandes caractéristiques de cette culture nous sont apparues au cours de cette réflexion.
La première figure est sans doute l’interconfessionnalité. C’est une approche complémentaire de l’oecuménisme, mais différente (41). Ici ce ne sont pas des milieux d’église qui se rencontrent mais des chrétiens qui entreprennent ensemble à partir de ce qu’ils sont: des personnes aux insertions diverses et ayant leur propre cheminement. L’interconfessionnalité est certainement aujourd’hui encore une démarche innovante. Mais de plus, elle a rendu possible des initiatives qui n’auraient pu se réaliser dans un autre contexte.
Cependant l’interconfessionnalité ne suffit pas à définir la culture de Témoins. En effet, elle peut s’exercer aujourd’hui dans des approches différentes: sociale ou charismatique par exemple.
Une deuxième caractéristique de la culture de Témoins nous parait résider dans le fait qu’elle allie une dimension de foi personnelle et une dimension d’ouverture à la réalité sociale et culturelle. Cette interrelation est parfaitement visible dans le texte fondateur de Témoins: “un mouvement est né”. La spiritualité de Témoins revêt la forme d’une conviction personnelle qui assume que la relation à Dieu en Jésus est première, qu’elle est nourrie par l’inspiration biblique et la prière et qu’elle débouche sur un témoignage. Et en même temps, si cette spiritualité valorise l’expérience intérieure, elle est tournée vers la prise en compte des éalités de la création et du rôle que le chrétien est appelé à y jouer pour y apporter un ferment d’amour et de justice et y exprimer l’action de l’Esprit.
Une autre dimension de Témoins, qui n’est pas étrangère à la précédente, c’est la prise en compte du savoir des sciences humaines pour observer, analyser et transformer les réalités. Cet éclairage, conjugué à une démarche de foi, balise une réflexion et une action qui participent à un mouvement en avant. Il n’y a pas ici une nostalgie du passé mais une approche qui accepte le changement, valorise une attitude innovante et prépare une émergence. Témoins adopte les nouveaux styles d’expression et de communication. Il travaille pour une Église nouvelle dans une culture nouvelle. D’une certaine façon, la culture de Témoins assume la globalité. Elle refuse les cloisonnements. Elle rejette les élitismes. Elle regarde les ensembles pour en comprendre les différents aspects dans toutes leurs interrelations.
Il y a là un mouvement exigeant. Peut-être cette exigence paraît-elle excessive à certains? Cette impression ralentirait la mobilisation et expliquerait les difficultés et les lenteurs dans le développement de Témoins. Et pourtant cette culture de Témoins nous paraît bien en phase avec les attentes de notre époque et les aspirations spirituelles en gestation.
La culture que nous venons de décrire est aussi bien vivante.
Toutes les réalisations que nous avons évoquées sont le fruit d’une oeuvre collective qui s’est poursuivie dans la durée. Deux enquêtes effectuées auprès des lecteurs du magazine montrent que cette culture n’est pas seulement la marque d’un petit groupe. Elle est vécue par un public plus vaste et, par là, elle commence à acquérir une visibilité sociale.
En effet, les 104 réponses recueillies dans l’enquête réalisée auprès des lecteurs en 1998 (42) font apparaître une image très proche de celle que nous avons dessinée à partir des productions de l’association. 90% des répondants considèrent le caractère inter confessionnel de Témoins comme un élément attractif. Les témoignages rendant compte du vécu chrétien sont fortement appréciés (90% de réponses positives).
La référence à la Parole de Dieu est centrale. 80% des lecteurs lisent personnellement la Bible chaque jour ou chaque semaine. L’ouverture à la culture d’aujourd’hui se manifeste par l’audience des rubriques: foi et société, foi et psychologie. 80% des lecteurs les apprécient, et parmi eux, 20% désirent davantage encore. La réflexion des dossiers est appréciée par 80% du lectorat. Dans un style personnel en phase avec l’actualité, l’éditorial est lui aussi apprécié par 4/5 des répondants.
Le positionnement des lecteurs en terme d’églises est très varié. 80% fréquentent une communauté chrétienne le dimanche. Ces communautés sont évangéliques (2/5), catholiques (1/4), protestantes (1/6).
Dans l’enquête de 1988, le lectorat se répartissait en trois groupes à peu près égaux: catholiques, protestants, évangéliques. En fait, à travers une histoire personnelle, c’est-à-dire les circonstances de la vie, mais aussi les courants spirituels qui les ont nourris, des chrétiens adhèrent à la culture de Témoins dans des milieux confessionnels différents. On peut noter la présence croissante de Témoins dans la mouvance évangélique. Cette tendance peut être attribuée à une conjonction de facteurs: affinité avec l’expression d’un vécu de foi mais aussi disponibilité et aspiration à une ouverture culturelle, particulièrement dans les couches les plus jeunes et les plus instruites de ces églises (43).
L’influence de Témoins s’étend donc bien au-delà d’un groupe militant. Il faut y ajouter un autre aspect. Les productions de Témoins sont l’expression d’un réseau qui dépasse de beaucoup l’équipe de base. Au long des années, les auteurs ayant participé au magazine se comptent par centaines. Ils ont manifesté par là une sympathie.
Comme l’a écrit Roland Sabatier dans une analyse de Témoins: “Les témoignages, parfois émouvants, toujours d’une impressionnante sincérité, manifestent non seulement la confiance en Dieu mais aussi dans les lecteurs de Témoins… De toute évidence, les auteurs n’ont écrit en confiance qu’après avoir lu d’autres témoignages aussi ouverts dans les numéros précédents de Témoins. Le “parler vrai” des témoignages fait boule de neige.” (3). Là aussi, il y a quelque part une adhésion à la culture de Témoins.
Ce texte met ainsi en évidence un esprit, une culture. Il indique des ressources. Il décrit une trajectoire. Il esquisse un avenir. Voilà ce qu’a été Témoins. Voilà ce qu’il est aujourd’hui. Voilà ce qu’il peut devenir.
En effet, par delà la fragilité des forces en mouvement, on peut lire dans ces lignes une émergence, la montée d’une vision. Chers amis lecteurs, vous qui avez partagé cette aventure commune, il dépend de vous que nous puissions faire un nouveau pas en avant. Comment pouvons-nous partager, travailler, prier ensemble pour permettre à Témoins de grandir et de porter tout son fruit?
Jean Hassenforder
Notes
(2) Lettre de Sébastien Fath à Témoins. Témoins n° 120, janvier-mars 1997, p 23.
(3) Auxiplume, septembre 1995. Extraits publiés dans Témoins, n° 116, p. 23.
(4) Gusdorf (Georges). Les écritures du moi. Lignes de vie. Paris, Odile Jacob, 1991.
(5) Savoirs théoriques et savoirs d’action, publié sous la direction de Jean-Marie Barbier. Presses Universitaires de France, 1996.
(6) Bruner (Jérôme). L’éducation, entrée dans la culture. Retz, 1996.
(7) Cette approche est développée par Philippe Meirieu. Meirieu (Philippe). Praxis pédagogique et pensée de la pédagogie . Revue française de pédagogie, n° 120, septembre 1997, p. 25-37.
(8) Pace (Enzo). Formes et contenus de l’offre religieuse à destination des jeunes, p. 301-367, in: Cultures jeunes et religions en Europe, sous la direction de Roland Campiche. Paris Cerf, 1997. (Citation, p. 348).
(9) Itinéraires. Des chrétiens témoignent. Empreinte. Temps présent, 2000.
(10) A time to heal. A contribution towards the ministry of healing. A report for the house of bishops. Church House Publishing, 2000.
Commentaire: Plénitude et guérison. Témoins n° 133, janvier 2001, p. 6-7.
(11) Victoire de la vie. Témoins n° 97-98, octobre-novembre 1990.
(12) Foi et psychologie. Chemins de libération. Témoins n° 119, octobre-décembre 1996. Avec des contributions de Simone Pacot, de Jacques et Claire Poujol, de Bruno et Myriam Dal Palu et le compte-rendu d’une session de Leane Payne.
(13) Pacot (Simone). L’évangélisation des profondeurs. Cerf, 1997.
(14) Pour aider, se former. Témoins n° 139, mars-avril 2002, p. 6-7.
La psychologie sur le net. Témoins n° 132, novembre-décembre 2000, p. 6-7.
(15) Dossier: Solidaires. Témoins n° 115, octobre-décembre 1995.
Exclusion: enfin des solutions? Formation et insertion.
(16) Coninck (Frédéric). Le réel m’interroge. Témoins, n° 122, septembre-novembre 1997, p. 6-7.
Itinéraire intellectuel de Frédéric de Coninck mettant en évidence la genèse de son approche biblique.
(17) Varlet (Christophe). Esprit, es-tu là? Histoire du Comité d’Action Chrétienne, 1973- 2003. Éditeur: Christophe Varlet. Diffusion: Comité d’Action Chrétienne.
Cette chronique permet de comprendre l’évolution du CAC et son rôle de composante majeure dans Témoins.
(18) Des sons pour la lumière. Témoins n° 118, juillet-septembre 1996.
Marc Brunet et Séphora, Jo Akepsimas, Daniel Pialat, Master Music, Corinne Lafitte.
(19) Ces livres ont été traduits aux éditions Farel.
Pollard (Nick). L’évangélisation légèrement moins difficile. Présenter Christ aux terriens du XXIème siècle. Farel, 1998.
Pollard (Nick). Pourquoi font-ils cela? Comprendre nos adolescents. Farel, 1999.
(20) Site internet de Damaris: www.damaris.org
(21) Mendras (Henri). La seconde Révolution Française 1965-1984. Gallimard, 1998. (Éd. refondue folio essais, 1994).
Ce livre couvre une période cruciale dans l’évolution des attitudes et des pratiques.
(22) Chalke (Steve). Radford (Sue). New era, new churches. Harper, 1999.
(23) Quelle Église pour demain? Bug culturel ou mise à jour. Témoins, n° 128, 4ème trimestre 1999.
Des perspectives appuyées sur une littérature de recherche, des questionnements et des expériences.
(24) Arbuckle (Gerald A). Refonder l’Église. Dissentiment et leadership. Bellarmin, 2000.
(25) Murray (Stuart). Church planting. Laying fundations. Paternoster, 1998.
(26) Bréchon (Pierre). Les attitudes religieuses en France. Quelles recompositions en cours.
Les archives de sciences sociales des religions, n° 109, janvier-mars 2000, p. 11-29. (26a) p. 14-15.
(27) Lambert (Yves). Religion: développement du hors-piste et de la randonnée, p. 129-153, in: Bréchon (P), dir. Les valeurs des français. Évolution de 1980 à 2000. Armand Colin, 2000.
(28) Hervieu-Léger (Danièle). Le pèlerin et le converti. Flammarion, 1999.
(29) Hervieu-Léger (Danièle). L’autonomie croyante. Questions pour les églises. Témoins n° 134, mars-avril 2001, p. 12-13.
(30) Brierley (Peter). Future church. A global analysis of the christian community to the year 2001. Monarch books, 1998.
(31) Richter (Philip), Francis (Leslie). Gone, but not forgotten. Church leaving and returning. Darton, Longman and Todd, 1998.
(32) Jamieson (Alan). Churchless faith. Faith journeys beyond the churches, SPCK, 2001.
(33) Roof (Wade Clark). Spiritual seeking in the United States. Report on a panel study.
Archives de sciences sociales des religions, n° 109, janvier-mars 2000, p. 49-65.
(34) Moynagh (Michael). Changing world, changing church. Monarch books, 2001. En cours de traduction et de publication aux éditions Empreinte.
(35) Hassenforder (Jean). À monde nouveau, Église nouvelle. Les réseaux des parvis, n° 13, mars 2002, p. 5-6.
Hassenforder (Jean). L’innovation, un impératif majeur. Écoutes et Regards, n° 42, décembre 2002, p. 5 et 13.
(36) Évangile et Culture. Contact: Matthew Glock. Tél.: 06 21 08 15 13. E-mail: evangileetculture@wanadoo.fr.
(37) La puissance de l’Évangile. Communiquer l’Évangile aujourd’hui. Témoins n° 103, décembre 1991.
(38) Journée des internautes chrétiens francophones. Témoins n° 132, novembre-décembre 2000. Internet chrétien. Témoins n° 140, novembre-décembre 2002.
(39) Lévy (Pierre). World philosophie. Le marché, le cyber espace, la conscience. Odile Jacob, 2000. (39a) p. 29.
Tout récemment, cette exigence de communication est énoncée avec conviction par Mark Greene dans un manifeste “Imagine” publié par le “London Institute for Contemporary Christianity” (mars 2003). “Pourquoi la culture d’église apparaît-elle comme étrangère à ceux avec qui nous vivons durant la semaine? Peut-être parce que celle-ci ne reflète pas non plus la ulture de la majorité des gens qui sont dans l’église. Nous ne trouvons pas les moyens de nous exprimer nous même” (p. 11) Les différentes cultures d’église communiquent également parfois difficilement entre elles. La médiation de sociologues ou de journalistes est bienvenue. À cet égard, un article récent sur les églises évangéliques paru dans “La Croix” nous paraît une vraie réussite. (Claire Lesegretain. L’étonnant succès des églises évangéliques. La Croix, jeudi 6 mars 2003, p14-15).
(40) Rioux (Jean-Pierre), Sirinelli (Jean-François). Pour une histoire culturelle. Seuil, 1997. Citation Jean-Pierre Rioux, p. 13.
(41) Chrétiens en liberté. Initiatives inter confessionnelles en France. Témoins n° 100, mars 1991.
Une étude sur le courant inter confessionnel, p. 10-12.
(42) La parole des lecteurs. Enquête auprès des lecteurs de Témoins. Témoins n° 128, 4ème trimestre 1999, p. 19.
(43) Hassenforder (Jean). Témoins, interconfessionnalité et protestantisme évangélique. Communication à la journée organisée par le groupe de sociologie des religions et de la laïcité, le 5 mai 2000.
(Texte reproduit dans Varlet (Christophe). Esprit, es-tu là?, p. 201-213).