Le texte qui suit, de Salary Hoareau, s’inscrit dans un dossier intitulé « théologie et développement de l’église » et publié dans le numéro 120 d’Action Missionnaire, la revue de France Mission. Ce travail, piloté par Timothée Huck, pose des questions majeures sur les rapports entre les conceptions théologiques et le développement des églises. Il fait émerger une réflexion originale.
Salary Hoareau présente ici les orientations théologiques qui inspirent les églises émergentes en se référant aux travaux du groupe de recherche de « Témoins ».
Une église incarnationnelle
Le modèle d’incarnation que Jésus a été sur terre a une portée fondamentale pour l’identité de l’église. Jésus a pris part à une culture et il ne peut être pleinement compris que dans la prise en compte de cette culture. S’il a été également un modèle de contre culture, il nous montre que celle-ci doit être précédée par un embrassement de la condition de l’autre. Ainsi, il nous invite à rejoindre nos contemporains là où ils sont et à entrer en relation avec eux, pour qu’ensemble, on puisse aller vers une transformation mutuelle – cela implique de savoir mourir à l’église qui nous a bercés pour laisser place à de nouvelles formes de vivre ensemble chrétien.
Une église missionnelle
Ce mouvement « vers » ne doit pas se limiter à susciter des conversions, mais doit viser le bien du monde ; doit chercher à être une bénédiction pour tous. C’est là que le Royaume de Dieu émerge : quand le Christ est communiqué ; quand sa présence, grandie par le Saint Esprit, est tangible. Il faut pour cela s’inspirer de la vie de Jésus : il était l’ami des pécheurs, le défenseur des faibles, le réconciliateur, le combattant de la liberté, le briseur de chaînes, le libérateur, le pacificateur, celui qui démasque les systèmes d’oppression et apporte l’espoir… C’est la « mission » que Dieu demande d’accomplir à tous les chrétiens et l’église n’est qu’un moyen parmi d’autres pour que cette mission soit accomplie. Ceci fait dire à plusieurs que la missiologie ne devrait pas être envisagée comme une branche de la théologie mais l’inverse : la théologie, et notamment l’ecclésiologie, devrait être envisagée comme une sous partie de la missiologie.
Une église généreusement orthodoxe
Défendre les faibles, réconcilier, combattre pour la liberté, etc. sont des preuves de l’action de Dieu dans le monde – au sein des églises, par le biais des églises, mais également en dehors des églises. Le royaume de Dieu est une réalité qui est bien plus vaste que ce que nous entendons généralement par christianisme. En créant le monde, Dieu s’est engagé dans un acte missionnaire qu’il poursuit : il le soutient, il le rachète, il le libère. Sa Seigneurie ne se limite pas à l’église : le Saint Esprit agit chez les croyants et les hommes en recherche ; par sa grâce, les effets mortels de la chute sont contenus et le monde entier en bénéficie. Cela dit, l’église doit rester centrée sur l’œuvre de l’Esprit en vue du salut – autrement dit, sur la grâce qui sauve et s’applique aux individus.
Une église plurielle centrée sur le Christ
Si nous suivons l’enseignement de Paul, l’église locale et l’église universelle sont des réalités conjointes : nous pouvons considérer un petit groupe comme étant une église au même titre qu’un rassemblement à un niveau plus vaste. Ces groupes de chrétiens ont toujours eu leurs particularités : dans la Bible, les églises d’Antioche et de Jérusalem étaient différentes. Cela est tout autant d’actualité de nos jours ; c’est même une nécessité pragmatique avec la montée de l’individualisme et l’émergence du sujet notamment.
Cela dit, il ne faut pas perdre de vue que ce n’est pas le fait d’être joint à l’église qui joint une personne à Christ, c’est l’inverse : les croyants sont unis les uns aux autres parce qu’ils sont un avec Christ. C’est la relation au Christ qui doit rester première.
Or, la chrétienté n’a pas toujours mis Christ au centre : Au 4ème siècle de notre ère, elle s’est caractérisée par l’instauration du christianisme comme religion officielle, imposée d’en haut par une pression sociale et politique, accompagnée de moyen coercitifs et incarnée dans une caste cléricale contrôlant la vie religieuse. Les enseignements de Jésus, ses rencontres, son style de vie subversif, etc. n’étaient pas au centre, ils étaient à la marge. Ce qui était au centre, c’était l’église, comme organisation sociale.
Dans la post-chrétienté, notre plus grande ressource, c’est Jésus. Notre priorité doit être de redécouvrir comment dire l’histoire de Jésus et présenter sa vie, son enseignement, sa mort et sa résurrection. Ainsi, l’église (qui est un moyen et non une fin) saura répondre à son objectif qui est de contribuer à ce que le plus grand nombre puisse être dans les conditions d’une relation avec Dieu.
Une église engendrée par un Dieu de relation
Parce que l’église est engendrée par Dieu, notre vie de chrétien est intimement liée à l’être de Dieu. Dieu comme le Père, le Fils et le Saint Esprit en relation, en communion. Cette relation dynamique devrait être perçue comme le modèle qui inspire, qui structure l’église. En effet, si Dieu est perçu comme un flux de relation dans la communion du Père, du Fils et du Saint Esprit, alors nous trouvons une perspective dynamique qui mène vers un genre d’église plus « fluide ». C’est à travers les relations, les groupes, les communications entre les gens que se constitue l’église. Et cette réalité se traduit nécessairement dans des formes culturelles différentes.