Esprit sans limite (1) : Une ouverture théologique pour le courant charismatique – William R.Davies
Cependant, certaines des pratiques nouvelles ainsi mises en oeuvre ont suscité critiques et oppositions dans des espaces plus classiques de la vie chrétienne. Certes, on peut attribuer une partie de ces critiques à des réflexes d’appareils soucieux de conserver leur pouvoir, ou plus en profondeur à une culture valorisant l’intellectuel au dépens de l’émotionnel et à la prédominance d’une pratique institutionnalisée et ritualisée.
Cependant, en milieu charismatique, par endroits, certains comportements ont pu aussi nourrir les reproches de triomphalisme, d’autoritarisme et de sectarisme.
Sont-ce là uniquement ou principalement les effets d’un dynamisme effervescent? Il ne semble pas. Certains de ces abus paraissent liés à des représentations théologiques. Cependant, au cours de ces décennies, la culture globale a continué à évoluer. Comme le fait remarquer Stuart Murray, les pratiques des églises et communautés charismatiques sont aujourd’hui interpellées sur un certain nombre de points (2). Et plus généralement, dans un temps où les églises sont appelées à innover, il y a urgence à dépasser les oppositions tranchées.
A ce point, en proposant une théologie ouverte pour “la foi et la pratique charismatiques”, le livre de William R. Davies: “Spirit without measure”(1) est particulièrement bienvenu. L’auteur, pasteur méthodiste, ancien directeur d’un collège biblique réputé en Grande-Bretagne, Cliff College, conférencier apprécié dans le Renouveau charismatique, est bien placé pour nous entretenir de cette réalité.
Or, que nous dit-il? : “Des critiques ont décrit le mouvement charismatique, qui rassemble ceux qui témoignent de la réception du don et des dons du Saint Esprit, comme une expérience sans théologie. C’est une généralisation injuste, bien qu’il y ait eu dans la foi et la pratique charismatiques un certain nombre d’anomalies qui sont examinées dans ce livre. L’une d’entre elle est un exclusivisme qui refuserait de reconnaître l’oeuvre de l’Esprit dans la vie des non chrétiens. Une autre est la polarisation et l’opposition entre le sacré et le séculier, le naturel et le surnaturel, les dons et les talents. Et il y a aussi un genre de triomphalisme qui refuse de reconnaître et d’accepter la réalité de l’échec” (p.XI).
Pour notre part, nous savons également, à travers notre expérience, combien le vécu charismatique requiert un discernement. Ce discernement pourra faire appel à différents registres. William Davies nous apporte ici une approche théologique capable de remédier à des polarisations dangereuses. Dans ces déformations, on peut noter , par exemple, “un rétrécissement qui consiste à attribuer au christianisme la propriété exclusive des oeuvres du Saint Esprit.” Est-ce que, par exemple, une guérison survenue à la suite de la prière d’une personne ne se réclamant pas d’un christianisme orthodoxe, est-elle nécessairement une contrefaçon? “Ne peut-on pas tirer une autre conclusion? Est-il inconcevable que le Saint Esprit soit à l’oeuvre à travers différents canaux?(p.3). “Nous avons besoin d’une vision nouvelle du Saint Esprit, plus vaste, plus inclusive et fondée sur les Ecritures”. “L’Esprit de Dieu n’est-il pas au travail dans le monde aussi bien que dans l’Eglise? L’Esprit de Dieu n’est-il pas à l’oeuvre dans tous les hommes, y compris ceux qui s’inscrivent dans d’autres religions? De quelle manière, l’Esprit de Dieu agit-il d’une façon spécifique chez les chrétiens?”(p.3).
L’Esprit de Dieu dans le monde.
Dans la perspective d’un univers en expansion, entre autres, la création divine est continue. C’est une vision qui impressionne et émerveille. C’est dans cette dimension que s’accomplit l’oeuvre de l’Esprit dans les êtres humains.
L’Esprit de Dieu à l’oeuvre chez tous les hommes.
“Restreindre l’oeuvre de l’Esprit aux seuls chrétiens, c’est commettre une grave injustice par rapport à ce que les Ecritures enseignent”(p.5).
Dans la Genèse, à la fois l’homme et la femme ont été créés à l’image de Dieu et Il leur communique son souffle, c’est à dire son Esprit (Genèse 2/7). “C’est grâce à l’Esprit de Dieu que l’humanité est vivante. L’Esprit de Dieu est vivant dans toute l’humanité”. Après la Résurrection, Jésus souffle sur les disciples et leur dit: Recevez le Saint Esprit (Jean 20/22). Les termes de souffle et d’esprit se recouvrent.
Dans le prologue de l’évangile de Jean, il est dit de Jésus qu'”il est la vraie lumière qui donne la vie à tout homme” (Jean1/9). Cette affirmation doit être comprise dans le contexte. Un verset précédent (Jean 1/4) énonce que “ce qui est venu à l’être avec lui était la vie, la vie qui est la lumière des hommes”. En d’autres mots, la lumière qui donne la vie à chacun est Jésus, et, en conséquence,”la lumière de Jésus qui est source de vie, doit être identifiée avec le”souffle” de Dieu qui est porteur de vie. Ainsi, ces versets du prologue, qui témoignent également en faveur de la divinité de Jésus, soutiennent la proposition que l’Esprit de Dieu, décrit en terme de lumière ou de souffle, crée et soutient la vie. Ainsi, l’Esprit de Dieu est à l’oeuvre dans tous les hommes.
L’Esprit de Dieu chez les non chrétiens.
“Cet enseignement ne se fait pas au détriment de la foi en la nature unique de Jésus à la fois divine et humaine, la Parole faite chair qui a habité parmi nous. En aucune façon, il ne diminue l’importance de la mort de Jésus sur la croix pour effacer nos péchés, car il reste vrai que c’est seulement à travers cette oeuvre que quiconque vient au Père à travers Lui, bien que certains peuvent ne pas en avoir conscience. C’est un enseignement qui est une interprétation raisonnable de la vérité biblique” (p.12) L’Esprit de Dieu à l’oeuvre chez les chrétiens.”Certains prétendent que l’Esprit Saint est à l’oeuvre seulement dans la vie des chrétiens. Cette proposition n’est pas seulement contraire à la vérité. Elle est impossible.
En premier lieu, c’est le souffle de l’Esprit qui suscite la vie. En second lieu, les gens ne peuvent devenir chrétiens que s’ils sont convaincus de leur état, ressentent le besoin d’être éclairés par l’Esprit et naissent de nouveau par l’Esprit (Jean 16/9 et 3-8).
Paul fait écho à cette vérité quand il affirme que personne n’est capable de dire: “Jésus est Seigneur” si ce n’est par l’Esprit Saint (1 Corinthiens 12/3)”(p.17). Un incroyant devient chrétien parce que le Saint Esprit est déjà à l’oeuvre en lui.
La différence entre chrétiens et non chrétiens s’exprime dans le fait que les chrétiens reçoivent la conscience spirituelle de l’oeuvre de l’Esprit et de ce qui arrive quand cette conscience s’applique à la vérité de l’Evangile. En croyant ce qu’ils entendent lorsque Christ est proclamé (Romains 10/17), un univers nouveau s’ouvre à eux.
“C’est le Saint Esprit qui révèle les choses spirituelles quand une personne devient spirituellement consciente en Christ. C’est à travers l’Esprit que Dieu donne la révélation de tout ce qu’Il a préparé pour ceux qui l’aiment (1 Corinthiens 2/8/16). Ainsi la différence entre chrétiens et non chrétiens réside dans un degré de conscience (“awareness”). Plus on expérimente la grâce de Dieu et l’Esprit de Dieu, plus grande est la conscience de tout ce que Dieu désire nous offrir à partir de son trésor de bénédictions spirituelles ; et il y en a toujours davantage “(p.18).
Les expériences de l’Esprit
“Etre conscient de la réalité d’un Christ vivant est un pas sur le chemin, un passage de la conscience que Dieu existe à la connaissance de Dieu d’une manière plus personnelle et plus intime en Jésus Christ.
C’est l’appropriation, par la puissance du Saint Esprit, de davantage de grâce, cette grâce que Dieu offre à tous. C’est aussi, bien qu’on puisse ne pas le savoir, un approfondissement de l’oeuvre du Saint Esprit.
…Ce qui a été décrit par certains chrétiens comme la plénitude de l’Esprit, est simplement une conscience plus profonde du Saint Esprit, ainsi que des potentialités et des ressources ainsi offertes”(p.28).
Naturel et surnaturel
Qu’entendons nous par naturel et surnaturel? “En général, le premier terme se réfère au domaine de la nature, au monde dans lequel nous vivons et duquel nous avons une connaissance et une compréhension qui va croissant. Le second se réfère à une dimension différente de la vie, un monde spirituel qui est principalement au delà de notre compréhension et sur lequel nous avons beaucoup moins de connaissances”(p.48). Mais faut-il tracer une ligne de démarcation selon laquelle ces deux univers seraient entièrement distincts, voire opposés?
William Davies montre, au contraire, la nécessité de ne pas diviser ce que Dieu a mis ensemble dans la création. Pour beaucoup de gens, un miracle est quelque chose qui est surnaturel parce qu’ils ne comprennent pas les données du processus. Mais, au cours de l’histoire, on a pu ou on pourra découvrir certaines de ces données.
“Par ailleurs, les deux univers auxquels nous nous référons en terme de “monde naturel” et de “monde surnaturel” sont tous deux créés par Dieu et en Lui, ils sont un…. Dieu est le créateur de toutes les choses visibles et invisibles. Qu’il y ait une réalité spirituelle qui soit invisible n’est pas en question. Dieu est Esprit (Jean 4/24) et invisible bien qu’une bonne partie de sa création puisse être vue. Mais prenons garde de ne pas diviser ce que Dieu a mis ensemble dans la création”(p.49).
Un projet de plénitude à l’encontre des forces du mal
Et, dans le contexte de ces paroles, Jésus précise que celui qui s’oppose à cet objectif est un bandit venu pour voler, tuer et détruire.Durant son ministère terrestre, Jésus a porté le vécu de la vie à la plénitude, cette plénitude qu’il voulait pour chacun. Il s’est opposé à tout ce qui était déni de la vie. Et c’est aussi le sens de son opposition au péché; “Que ce soit le péché, le mal, le trouble émotionnel, la maladie mentale ou physique, Jésus s’est élevé contre ces choses précisément parce qu’elles allaient à l’encontre de la plénitude de la vie” (p.65).
Un conflit est apparu entre Jésus, qui a ce projet de plénitude pour chacun, et des forces qui sont opposées à cette dynamique. A ce point, William Davies procède à une étude du Nouveau Testament. Quelles sont ces forces du mal et comment peut-on se les représenter? Aujourd’hui, il y a des différences sensibles dans la manière dont les chrétiens interprètent ces textes. Certains décrivent les forces du mal d’une façon telle qu’ils paraissent en accroître la puissance. D’autres, au contraire, tendent à poser des limites marquées à ces réalités en invoquant que les textes évangéliques sont influencées par les représentations de l’époque. William Davies, conscient de ces difficultés, propose une voie moyenne, prudente, équilibrée. C’est accepter la réalité du diable, comme un être personnel suscitant le mal, mais ne pas s’engager dans une description imagée et illusoirement précise des forces du mal. Cependant, il y a bien une bataille entre, d’un côté un Dieu qui est bon, et d’un autre côté, le mal dans le monde.C’est le Saint Esprit qui, de l’intérieur, alertent les gens sur ce conflit, soit à travers la conscience, soit grâce à un don de discernement. Et c’est par la puissance du Saint Esprit que tout ce qui est déni de la vie peut être surmonté.”L’Esprit nous rend conscient de cette bataille et des ressources données par Dieu pour réagir contre tout ce qui abîme la vie. Plus une personne est spirituellement consciente, plus elle ressent profondément le besoin d’utiliser les dons que Dieu donne pour secourir les malades et les opprimés” (p.71). Dans la mesure où ils s’opposent au mal, les gens de bonne volonté accomplissent aussi la volonté de Dieu. Les chrétiens savent qu’en Jésus-Christ, par delà les aléas de ce combat, la victoire de la Vie est acquise.
Les signes du royaume.
Quels sont les signes du royaume?
Quand Jean le Baptiste entendit dans sa prison ce que Jésus était en train de faire, il envoya des messagers pour lui demander: “Es-tu celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre?” Jésus répondit: “Allez raconter à Jean ce que vous entendez et voyez: Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont guéris, les sourds entendent, les morts reviennent à la vie et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres…”(Mat 14/4) En réponse à Jean le Baptiste, Jésus met en évidence les signes du royaume qui confirment sa messianité. “Le Royaume est là ou Jésus règne, là ou il est roi. Quand une personne devient chrétienne et partage cette royauté, cette personne devient une partie du royaume, mais le processus est plus vaste que cela.
Où que ce soit, de quelque manière que ce soit, là ou le déni de la vie est vaincu, le Royaume est présent, car, en ce lieu, Christ a triomphé.
Ce déni de la vie inclut le péché et la maladie, qui sont des aspects du mal. Le péché n’est pas seulement une affaire individuelle, car il peut, aussi bien, être collectif en recouvrant l’injustice, l’inégalité, la haine. En conséquence, là ou Jésus règne, nous devons témoigner de la justice, de l’amour, de la paix et de l’unité qui sont aussi des valeurs du Royaume.
Ce royaume peut être mis évidence à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Eglise, car l’Esprit est à l’oeuvre dans des formes inattendues. En construisant son Royaume, Dieu utilise des gens qui ne se disent pas toujours chrétiens. Dieu bâtit son Royaume de la manière qui lui plait.
À nouveau on ne peut fixer de limites à l’oeuvre de l’Esprit”(p.115-116).
Une vision universelle
L’Esprit de Dieu est à l’oeuvre dans toute la création pour lui permettre d’entrer dans la plénitude à laquelle Paul se réfère en envisageant l’oeuvre de Christ. L’Esprit de Dieu est en voie de renouveler l’ensemble de la création ; Il agit à la fois dans l’Eglise universelle, et, parce qu’il est un Esprit universel, aussi bien à l’extérieur. C’est un appel pour les chrétiens à reconnaître l’action de l’Esprit en dehors de l’Eglise” (p.144).
Et, par ailleurs, c’est aussi une requête de compréhension mutuelle entre chrétiens de différentes dénominations. Ce respect réciproque devrait aussi s’appliquer aux relations entre les chrétiens et les personnes se référant à d’autres religions. Et soyons attentifs à l’oeuvre de l’Esprit parmi eux.
Pour que tous puissent jouir de la Vie en Christ en plénitude ici et maintenant aussi bien que dans la Vie à venir, la mission de faire des disciples de toutes les nations est une exigence fondamentale.
Reconnaître l’oeuvre de l’Esprit dans le monde devrait y contribuer. La tâche de l’évangélisation est d’amener les hommes à devenir conscients de la grâce et de l’Esprit de Dieu déjà à l’oeuvre en eux et de ce que la grâce de Dieu a déjà gagné pour eux. C’est une vision “catholique” au
sens large du mot, une vision universelle (p.158).
Un horizon
William Davies traite de problèmes cruciaux à partir d’un bon sens spirituel, fondé sur un report constant à la parole biblique et une expérience vécue dont il fait état et qui rend son texte extrêmement accessible. Bien sur, sur tel ou tel point, on peut ne pas s’accorder avec lui, mais au total, son approche nous parait extrêmement éclairante.
Ce livre nous introduit dans une perception de l’action de l’Esprit.
Il nous appelle à voir l’action de Dieu dans toutes les réalités auxquelles nous sommes confrontés. Et, bien sur, dans cette perspective, il nous apprend à mieux discerner. Nous avons besoin de la sagesse de Dieu pour exercer ce discernement. L’oeuvre du Saint Esprit s’accomplit à la fois dans notre vie intérieure et dans notre environnement humain. Ainsi ce livre nous encourage à reconnaître la présence de Dieu. A cet égard, il rejoint la pensée de Leanne Payne qui fonde la vie chrétienne sur la reconnaissance de cette présence (3). C’est une pensée qui élargit notre compréhension de l’oeuvre de Dieu. Elle évoque par exemple la pensée de Jean-Paul Gabus dans son livre:”L’amour fou de Dieu pour sa création”(4) ou celle de Jurgen Moltman dans son livre: “Le rire de l’univers”(5).
William Davies nous montre l’Esprit saint comme le levain dans la pâte. Comme l’écrit Brian McLaren dans son livre:”Generous orthodoxy”(6): “Le Royaume de Dieu est une réalité au sein de laquelle nous sommes en train d’émerger, au fil des siècles, une réalité qui est bien plus vaste que ce que nous entendons généralement par christianisme, mais, en même temps, une réalité qui est au coeur d’un christianisme généreusement orthodoxe. Puisse-t-il venir à nous. Puissions-nous aller vers lui”.
Jean Hassenforder
Novembre 2005
Notes
(2) Murray (Stuart). Church planting. Laying foundations. Paternoster, 2000 “La spiritualité des églises charismatiques s’inscrit souvent dans un “éthos” qui est mal perçu dans la culture contemporaine.” L’art du dialogue devrait être développé. S. Murray suggère quelques orientations majeures: mieux intégrer les dimensions de la transcendance et de l’immanence; élargir la vision spirituelle d’une perception dominante de la chute et de la rédemption, à une perspective biblique plus vaste incluant ce déroulement dans un champ allant de la création à l’avancement du royaume de Dieu; développer une position équilibrée dans la prise en compte de la dimension surnaturelle….
Présentation de ce livre sur ce site (rubrique: groupe de recherche. perspective) sous le titre: Nouvelle génération d’églises.
(3) Payne (Leanne). Vivre la présence de Dieu. Edition Raphael,1990
(4) Gabus (Jean-Paul). L’amour fou de Dieu pour sa création. Croire en un Dieu créateur et libérateur. Les bergers et les mages, 1991
(5) Moltmann (Jurgen). Le rire de l’univers. Anthologie. Cerf, 2004
(6) McLaren (Brian D.). Generous orthodoxy. Zondervan, 2004 Commentaire à propos de ce livre sur le site de Témoins sous le titre: Une théologie pour l’Eglise émergente, selon Brian McLaren. <Lire l’article>Références: Groupe Recherche Témoins