Examen de représentations religieuses et de leurs effets.
Les guerres de religion, puis sur un autre mode, les guerres idéologiques hantent notre passé et se sont soldées par d’affreux massacres. Aujourd’hui encore, la violence atteint un paroxysme dans l’islamisme djihadiste. Mais, sur un mode mineur, elle n’est pas exclue de certaines franges du judaïsme ou du christianisme. Cette violence se réclame d’un transcendant absolu qui s’enracine dans une certaine interprétation des textes sacrés. Historiquement, le christianisme a été affecté par ce mal à certains moments et dans certains contextes. Aujourd’hui encore, on observe des traces de cette violence dans certaines représentations religieuses. C’est pourquoi, un livre récent qui vient de paraître aux Etats-Unis : « Disarming Scripture » (1) (Désarmer l’Ecriture), nous paraît apporter un excellent éclairage sur ce problème. En effet, l’auteur, Derek Flood, s’attaque à la racine du mal, en analysant les modalités d’une certaine interprétation de la Bible, telle qu’on peut l’observer dans certains milieux chrétiens fondamentalistes et les conséquences qui en résultent.
Ainsi ce livre traite de l’interprétation de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament. Cet ouvrage, écrit dans un style très accessible, appelle une lecture attentive à laquelle nous ne pouvons pas nous substituer. Nous voulons simplement, par quelques notations, évoquer l’approche de l’auteur et les orientions positives qui en résultent pour une lecture de la Bible à la manière de Jésus et de Paul.
De la violence et de la Bible
L’Ancien Testament rassemble des textes très variés. Quelques uns manifestent une grande violence. Ainsi, « l’entrée dans la terre promise est une histoire de génocide de masse, décrite dans les termes d’une guerre sainte » (p 3). On trouve cette narration dans le Deutéronome et dans Josué, mais l’expression de la violence n’est pas limitée à ces textes. Elle se manifeste épisodiquement dans beaucoup d’autres. « Dans ces passages, l’imagerie est manifestement destinée à susciter l’effroi face à un Dieu violent qui est, soit de votre côté lorsque vous tuez en son nom, ou qui inflige les plus grandes souffrances à ceux qui désobéissent » (p 4). Dans l’Ancien Testament, Derek Flood perçoit deux conceptions de Dieu très différentes : un « Dieu de guerre » et un Dieu de miséricorde et d’amour.
Dans le passé, comme cela a été le cas dans le saccage de Jérusalem par les croisés en 1099, il est arrivé que ces textes aient été utilisés par des chrétiens pour légitimer des massacres. Comment envisage-t-on ces textes aujourd’hui ? L’auteur estime que bien souvent, on ne va pas jusqu’au bout du problème. Certains relativisent ces textes par le contexte historique. D’autres les ignorent délibérément en choisissant les textes positifs et en passant sous silence le contentieux du passé. En regard, « nous avons besoin d’une approche qui fait face à la violence dans la Bible et ceci dans une perspective de foi et dans la nécessaire croissance d’une conscience morale plus développée » (p 19). Dans cette problématique, nous pouvons nous inspirer de l’attitude de Jésus dans la manière où il a interprété et mis en pratique les Ecritures en opposition avec le fondamentalisme religieux. A son exemple, Derek Flood nous invite à choisir « une herméneutique de questionnement fidèle et à rejeter une obéissance qui évite toute question » (p 20)
L’auteur rappelle que l’esclavage a été légitimé par certains au nom d’une interprétation biblique. Aujourd’hui encore, on entend parfois des arguments « bibliques » en faveur des punitions corporelles envers les enfants. Tous ces méfaits sont liés à une représentation de l’autorité de la Bible. Et puisque l’auteur est américain, il est confronté à une théologie fondamentaliste qui persiste dans certains milieux évangéliques. Les commandements bibliques y étouffent la conscience. « Nous devons reconnaître la catastrophe morale induite par une obéissance irréfléchie et son expression contemporaine dans un biblicisme autoritaire, et au contraire, adopter une manière meilleure de lire la Bible selon l’exemple de Jésus dans la voie d’un questionnement fidèle motivé par la compassion » (p233).
Regarder aux fruits
L’approche de Jésus se traduit par la méthode de « regarder aux fruits » de telle ou telle interprétation, en évaluant ses effets observables dans la vie en bien ou en mal. « Si nous percevons qu’une interprétation particulière de la Bible mène à un mal observable, cela signifie nécessairement que nous devons arrêter et réviser la position » (p 234). De fait, l’Ecriture doit être lue de telle manière qu’elle engendre l’amour. « C’est une approche de l’Ecriture qui est enracinée dans la vie plutôt qu’enracinée dans le texte. C’est Jésus qui est notre maître et non pas l’Ecriture. Le rôle de l’Ecriture est de servir à nous mener à Christ ». L’expérience est centrale et c’est ainsi que Jésus, Paul et les apôtres ont interprété l’Ecriture. Jésus a fréquemment interpellé les pharisiens pour leur usage néfaste de l’Ecriture en se basant sur une observation des effets de cette attitude sur la vie des gens. « Comme les gens entendaient les paroles de libération de Jésus, comme ils expérimentaient guérison et libération dans leur vie, c’est une expérience de vie qui les motivait. La manière dont Jésus lisait l’Ecriture était modelée par sa propre expérience de Dieu dans sa vie. L’expérience de l’Esprit par Jésus a formé sa compréhension de l’Ecriture, et non l’inverse » (p238). C’est à travers son expérience que Paul a révisé sa conception de l’Ecriture.
Dans la première Eglise, « il y a une rupture avec la compréhension précédente de l’Ecriture, de la religion et de la tradition, et, à la place, une marche avec l’expérience de ce que l’Esprit était en train d’accomplir » (p 240).
L’auteur va plus loin. Aujourd’hui la prise en compte de l’expérience peut se réaliser aussi dans le travail réalisé dans les sciences humaines qui donnent accès à une « connaissance empirique », c’est à dire à une connaissance acquise par l’observation (p 243). C’est une donnée qu’au XVIIIè siècle, Wesley a déclaré prendre en compte dans sa théologie. Aujourd’hui, nous avons à notre disposition l’apport des sciences sociales.
Au total, l’Ecriture doit être lue de telle manière que nous puissions grandir en nous fondant sur ce que Jésus a enseigné. « Notre interprétation de la Bible doit nous conduire à la vie, à une vie abondante et plus concrètement à Celui qui est le Vie ». L’Esprit est là pour nous inspirer en ce sens. « La lettre tue », écrit Paul, « mais l’Esprit donne la vie » (2 Cor 3.3)… C’est l’Esprit de Dieu qui éclaire le texte et le rend vivant. « L’Ecriture est inspirée à travers une illumination active du texte par Dieu insufflant la vie dans l’écrit et révélant sa vérité à nos cœur » (p 251).
« Apprendre à lire la Bible comme Jésus l’a fait, c’est être capable de poser des questions au nom de la compassion. De même, nous sommes appelés à lire la Bible comme des adultes responsables, conscients de nos propres limitations. Parce que, au final, la foi n’est pas liée à la certitude, mais à l’humilité et à la confiance » p 258).
Ce livre est écrit dans le contexte de la société américaine où le fondamentalisme est implanté dans certains milieux chrétiens. Mais, ce livre nous paraît avoir une portée beaucoup plus générale. Il montre en effet l’importance des représentations à travers un examen de leurs effets. L’auteur met l’accent sur l’importance de l’expérience. En regard, c’est dire combien nous avons besoin aujourd’hui d’une réflexion théologique (2) en phase avec la vie.
Jean Hassenforder
(1) Flood (Derek). Disarming Scripture. Cherry-Picking liberals, violence-loving conservatives, and why we all need to learn to read the Bible like Jesus did. Foreword by Brian D McLaren. Metanoia books, 2014
(2) Quelques approches théologiques sur ce site :
« Une théologie pour l’Eglise émergente. Qu’est-ce qu’une orthodoxie généreuse » ? L’approche de Brian D McLaren » : https://temoins.com/une-theologie-pour-leglise-emergente-quest-ce-quune-qorthodoxie-genereuseaampqu/ « La théologie catholique dans une Eglise en crise. Une contribution de Bernard Sesboüé » : https://temoins.com/la-theologie-catholique-dans-une-eglise-en-crise-une-contribution-de-bernard-sesbouee/ « Une théologie pour notre temps. L’autobiographie de Jürgen Moltmann » : https://temoins.com/une-theologie-pour-notre-temps-lautobiographie-de-juergen-moltmann/
« En chaque chrétien, un théologien (Philip Clayton : Transforming christian theology) » :