En réponse à nos questions sur la conjoncture de l’Eglise catholique après l’entrée en fonction du pape François, Michel Pinchon, prêtre engagé de longue date dans les groupes Jonas, d’inspiration conciliaire et réformatrice (1), nous confie ce témoignage dans lequel il retrace son parcours dans l’Eglise durant plusieurs décennies (2). Ce témoignage d’une vie, bien souvent émouvant, nous aide à comprendre le vécu et le ressenti d’une histoire. Dans ce contexte, les propos du Pape François sont perçus positivement comme répondant à une aspiration réformatrice. Espérons, avec l’auteur que, malgré les obstacles, le processus du Concile va se remettre en mouvement. J.H.
UN CHEMIN D’ESPERANCE POUR L’EGLISE
Pour moi ce chemin est bien long. Durant ma vie, j’ai connu huit papes: Pie XI, Pie XII, Jean XIII, Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI et, depuis quelques mois, le pape François. Cette longue période a été marquée par plusieurs évènements importants qui ont marqué l’Eglise sur son chemin : la guerre de 40-44, le Concile, Mai 68…Ces évènements et d’autres, moins importants, ont aussi marqué ma vie.
Mon enfance est d’avant guerre. Je suis venu au monde dans le rural, en Normandie, dans une petite exploitation agricole. J’ai vécu dans une famille chrétienne. La pratique religieuse l’emportait sur le culte. On allait à la messe et on ne disait jamais de mal des prêtres. J’ai eu la chance de faire mes études dans un petit collège de province. Ce fût pour moi une première ouverture sur le monde accompagné par des professeurs dont les enseignements contenaient une vraie éducation. Ces professeurs étaient des prêtres qui m’ont aidé à bien vivre et proposé de découvrir le chemin de la foi. Grâce à eux, j’ai eu la chance de participer à des petits voyages à la découverte du monde. J’ai aussi participé à des grands rassemblements d’Eglise. J’ai été impressionné par le nombre de chrétiens assemblés, par ces foules qui priaient publiquement. J’ai connu en ces occasions une Eglise vivante.
J’avais 16 ans en 1945. J’ai découvert pendant et après la guerre le scoutisme où la foi m’avait semblé plus fraternelle et plus vivante. J’ai assumé dans cet engagement mes premières responsabilités. J’ai pu aussi participer à la naissance du mouvement des Jeunes Ruraux Chrétiens, la JAC. J’ai participé à de nombreuses rencontres de jeunes qui cherchaient ensemble une autre manière de comprendre la foi et de la vivre. Là se situe mon premier vrai contact avec l’Evangile. Dans ces partages, j’ ai commencé à comprendre que la vie des hommes au milieu desquels je vivais avait un lien profond avec ma foi. Cette découverte reste une grande lumière sur mon chemin.
VERS VATICAN II
En 1947, j’avais 19 ans. Je suis entré au séminaire à l’Institut Catholique de Paris. C’était une sorte de monastère où j’ai vécu un horaire important de réflexion et de prière. Le silence était de règle. J’ai découvert dans cette maison beaucoup d’amis dont certains sont encore de ce monde. C’est en leur compagnie que j’ai peu à peu décidé de recevoir l’ordination. Là, j’ai découvert et apprécié l’enseignement de la philosophie, de la théologie. Mais je fus surtout attiré par l’étude de l’Ecriture Sainte, la Bible, ancien et nouveau Testament. J’ai appris une méthode de travail pour continuer à travailler cette base de la foi. Cette étude sérieuse rejoignait le lien entre la vie et la foi découvert dans les Mouvements d’Action Catholique.
Entre nous, au séminaire, on se posait beaucoup de questions que nous n’avions pas la possibilité d’exprimer publiquement ; Nous nous demandions quel serait notre engagement dans l’Eglise. Nous n’avions pas d’idées nettes sur l’Institution, sur Rome ni sur les documents qui nous venaient du Vatican. Nous espérions des réformes et surtout plus de liberté. Nous rêvions de changements. Nous étions curieux de ce que vivaient ceux qui avaient choisi des expériences nouvelles : la Mission de France, la Mission de Paris, les Frères Missionnaires des Campagnes. Il nous semblait que de nouvelles recherches voyaient le jour. Nous avions envie de rejoindre ces manières d’être prêtres aujourd’hui.
VATICAN II.
Après mon ordination, je fus nommé directeur d’un Lycée Agricole. Un jour, le 25 janvier 1959, par la radio, dans ma voiture, j’ai appris le projet que le pape Jean XXIII proposait à l’Eglise. Il était nouvellement élu et sans qu’on ait pu le prévoir, il annonçait la convocation proche de tous les évêques du monde entier pour les réunir en Concile. Ce fût Vatican II. J’ai accueilli le discours du pape pour l’ouverture de la première session avec beaucoup d’intérêt. Je me sers encore de ce texte pour retrouver les appels lancés par lui à l’Eglise pour retrouver une nouvelle relation avec le monde. Ce Concile serait un acte de paix et non de condamnation. Il faudrait accueillir le monde tel qu’il est, partager ses évolutions, ses questions, ses joies et ses souffrances, réaliser un aggiornamento de l’Eglise. Le pape proposait aussi une mise à jour des questions que se posait l’Eglise et de ses structures pour mieux la mettre au service des hommes.
J’ai aimé le climat de liberté qui s’est instauré entre les évêques dès l’ouverture de la première session. Liberté de parole: Chaque évêque pouvait s’exprimer faire des propositions dont quelques unes étaient inattendues. J’ai suivi le travail du Concile avec passion chaque jour, dans la presse. Mon évêque venait d’être ordonné quelques semaines avant l’ouverture ; Ce fût son premier engagement. Il participa à toutes les sessions. Entre les rencontres, il revenait dans le diocèse avec beaucoup de documents, avec les premiers textes. Ensemble nous avons parcouru le diocèse pour mettre le plus de chrétiens possible au courant des questions posées, résolues ou à résoudre. Ces soirées dans les paroisses passionnaient les participants car, eux aussi, trouvaient là des réponses à leurs besoins et une grande espérance. Tous les débats, tous les textes leur semblaient répondre à leurs souhaits. Ces chrétiens prenaient aussi la liberté de parler ; Ce fût vraiment un temps d’enthousiasme stimulant pour notre Eglise. Le Concile répondait aussi aux questions que je me posais depuis longtemps. Cette assemblée mondiale des évêques a changé ma vie.
Les points principaux que j’ai accueillis avec joie pour en parler et pour en vivre, sont les suivants:
La réforme de la liturgie.
Une nouvelle manière de vivre en Eglise, dans les paroisses, les mouvements, les séminaires, dans l’organisation centrale également.
Une attention bienveillante au monde qui était le mien ; on n’userait plus de condamnation dans le gouvernement de l’Eglise. « Plus de prophètes de malheur » disait Jean XXIII.
Une nouvelle prise en compte du laïcat ; un appel à créer des conseils, à tous les niveaux et à prendre de vraies responsabilités.
Une responsabilité partagée entre les prêtres et les laïcs.
La mise en place de conférences épiscopales dans chaque pays, avec possibilité pour elles de prendre des décisions.
Autre proposition que tout les chrétiens attendaient : la liberté religieuse ; et la réconciliation entre les Eglises et avec les autres religions.
C’est donc avec enthousiasme que j’ai tout fait pour vivre ces valeurs en lien pour moi avec l’Evangile. J’ai passé beaucoup de temps pour répandre cette bonne nouvelle. Tout cela concernait ma vie personnelle et mon ministère. Je voyais dans toutes ces invitations autant d’occasions de parler et de mettre en place des lieux nouveaux dans l’Eglise. Il a fallu organiser les changements proposés dans les documents approuvés par les évêques. Ce fût le cas, dès la fin du Concile pour la liturgie, la messe et les sacrements. Je pensais que les grandes lignes de ce Concile rejoignaient les engagements pris dans les mouvements d’Action Catholique et dans le CCFD. J’ai commencé à chercher des liens avec des chrétiens d’autres Eglises et avec des croyants d’autres religions. Ce qui me semblait impossible quelques années auparavant était devenu une joie. Beaucoup de groupes se sont créés pour partager la foi et réfléchir aux problèmes de notre société.
APRES LE CONCILE.
Après ce printemps d’Eglise, vint Paul VI qui eût la lourde tâche de mettre en œuvre tous ces projets. Assez vite on a senti quelques hésitations sur un point ou sur un autre, spécialement sur la liturgie, l’ouverture au monde, la liberté chrétienne, l’œcuménisme ; Ces mutations ne plaisaient pas à tous. Il n’est pas impossible que Paul VI lui-même n’ait été inquiet de ces mutations. Nous pensions plutôt que ces documents formaient comme une loi-cadre et qu’il faudrait en continuer la mise à jour prévue dans tous les domaines de la vie du monde et de la vie de l’Eglise.
Je crois qu’une des causes de cette hésitation était l’évolution de monde lui-même et de la société autour de nous. Le monde avec lequel l’Eglise voulait renouer des relations, a changé très rapidement dans beaucoup de domaines. Après les «30 Glorieuses », où le développement économique était constant et semblait normal, nous avons connu des années plus austères, au moment et à la suite du premier « choc pétrolier ». C’est la société qui devient frileuse et ce refroidissement a touché notre Eglise. On a senti que certains responsables du Vatican qui n’avaient pas vraiment adhéré aux décisions, voulaient en rester aux documents et ne pas aller plus loin dans le changement. Des prises de position sur la liturgie sur la vie morale, sur la théologie se faisaient jour secrètement. On se souvient que le nouveau code de Droit Canon n’a paru qu’en 1983, c’est à dire presque 20 ans après le Concile. Dans ce Code beaucoup de décisions n’ont pas été officialisées juridiquement. Par exemple la décision de créer des conférences nationales d’évêques. C’est à cette époque que Paul VI a publié l’encyclique « Humanae Vitae » à la grande surprise de beaucoup de chrétiens. Cela représenta un sérieux coup de frein. Certains théologiens ont été condamnés, certains livres censurés. On revenait en arrière.
J’ai connu en ces années-là une vraie tristesse, un temps de déception. Nous avons mis en place des groupes de réflexion, de réaction. Beaucoup se sentaient désireux de défendre le Concile contre ceux qui l’attaquaient ou le relativisaient. C’est à ce moment que le P. Riobé, évêque d’Orléans, est intervenu dans les rencontres des évêques de France pour relancer des questions dont on ne voulait plus parler.
Ce fût le temps des ruptures comme celle de Mgr Lefèvre. Nous avons senti comme un grand recul les négociations entre Jean Paul II et l’évêque d’Ecône. On était à la veille de
corriger les textes pour retrouver l’unité. Cette correction concernait deux textes importants sur la liberté religieuse et sur l’œcuménisme. Des théologiens se firent entendre, mais sans écho.
C’est à cette époque qu’avec quelques amis, nous avons créé deux revues: « les cahiers du libre avenir » et « le courrier de Jonas ». Nous voulions partager nos questions, publier des textes de résistance et de vérité. Nous avons reçu de nombreux articles, des témoignages, des expériences de fidélité au Concile. Ces revues ont touché beaucoup d’amis qui ressentaient aussi le découragement et l’inquiétude. Nous sommes entrés en relation avec de nombreux groupes de pays étrangers cherchant dans la même ligne que nous. Ces publications furent un chemin d’espérance pour tous ceux qui avaient pris le Concile au sérieux et qui se sentaient désavoués ou abandonnés.
Nous avons ainsi traversé les pontificats de Jean Paul II et Benoît XVI. Ils ont laissé cette dérive s’installer, même si l’un a ouvert l’Eglise sur le monde et joué un rôle important, et si l’autre a fait preuve de courage en dénonçant les crises intérieures de l’Eglise et les scandales qui l’ ont blessée profondément.
LE PAPE FRANCOIS.
Je suis heureux de terminer ma vie à la lumière du pape François. Je ne le connaissais pas. Mais dès son apparition dans la loge de saint Pierre, j’ai ressenti en moi, un mouvement d’amitié.
Il a su, en souhaitant le bonsoir à la foule qui l’attendait sur la place, devant la basilique, trouver les mots qui conviennent et qui atteignent le cœur.
Il a le courage de prendre des attitudes nouvelles qui contrastent avec beaucoup d’habitudes d’autrefois. Habiter un petit couvent au lieu d’occuper les appartements du pape. Aimer et vivre cordialement les bains de foule, parler aux gens, embrasser les enfants, sortir dans Rome sont une preuve de grande humanité. On le sent très attentif à l’humanité de ceux qu’il rencontre. Ses paroles, ses écrits sont simples, très personnels. Même les premiers textes de son pontificat, comme « l’exhortation apostolique » qui invite tous les chrétiens à reprendre l’élan de la nouvelle Evangélisation, est une déclaration pleine de son expérience personnelle, de bienveillance, d’exemples concrets. Ce style est vraiment nouveau. Tout cela révèle un homme dont la vie est animée par l’Evangile. Cela apparaît dans sa manière d’être, son enseignement, son action. Je suis heureux qu’il soit à la tête du troupeau. Je suis très attentif à ce qu’il dit, aux interviews qu’il donne, à sa bonne humeur. Il m’arrive de citer ses paroles au cours d’une homélie. Je ne me souviens pas d’avoir jamais fait cela auparavant.
Ce pape semble donner, dès le début de son pontificat, la priorité aux questions qui concernent l’Institution et son fonctionnement. On sait qu’il pense à une sérieuse réforme du Vatican qui a connu plusieurs scandales. Il a déjà mis en place un « gouvernement » nouveau en réunissant régulièrement 8 évêques venant de tous les continents. Il veut travailler avec ce gouvernement restreint à l’écoute des hommes du monde entier. C’était là l’objectif premier de Vatican Il. Il place tous ces travaux sous la lumière et la chaleur de l’amour du Christ, dans la joie de l’Evangile.
Tout cela est une « bonne nouvelle » pour aujourd’hui. C’est le signe qu’il est encore possible de reprendre le chemin du Concile dans la joie et dans l’espérance.
Une lourde responsabilité est maintenant celle du pape François ! Je lui souhaite de garder le sourire !
Michel Pinchon
(1) Les groupes Jonas publient un bulletin : « Le courrier de Jonas » et s’expriment ** Voir le site. ** A plusieurs reprises, Témoins a fait référence à des articles publiés par Jonas.
(2) ** Voir sur ce site un article de Michel Pinchon ** : « Diversité religieuse en milieu rural. A la rencontre d’autres croyants » .