Cofondatrice et animatrice d’une communauté chrétienne émergente dans les années 90 en Savoie, Cécile Lerebours Entremont a poursuivi son parcours en s’engageant dans une recherche auprès des chrétiens distancés des structures traditionnelles de l’Eglise.
A l’Université Marc Bloch à Strasbourg, elle soutient un thèse de doctorat en théologie pratique : « Apprendre la fraternité. De l’intériorité à l’altérité. Evolution de petits groupes d’adultes aux frontières de l’Eglise entre 1995 et 2005 » (1) . Pendant quelques années, elle est appelée ensuite à présider les « Réseaux du parvis », une fédération d’associations de chrétiens d’ouverture qui souhaitent donner d’autres visages à l’Eglise.
Cécile est psychologue. En lien avec plusieurs groupes universitaires de théologie – à Strasbourg et en Suisse -, avec l’association « Expérience et théologie », et avec l’Oblature d’un monastère elle s’investit dans une recherche spirituelle.
Ainsi anime-t-elle des sessions où, à partir de ses compétences, elle aide les participants dans leur évolution personnelle (2). Dans cette interview, nous demandons à Cécile Lerebours Entremont de nous communiquer l’apport de son expérience dans les différentes étapes et les différents aspects de cet itinéraire particulièrement dense et fécond. Son témoignage nous aide à comprendre les aspirations spirituelles des gens d’aujourd’hui.
1- Cécile, en Savoie, dans les années 90, vous avez été amenée à cofonder et à animer une communauté chrétienne émergente.
Pourquoi et dans quel contexte, vous êtes-vous engagée dans cette initiative ?
A cette époque-là, j’observais parmi les personnes que j’accompagnais en psychothérapie, de nombreux chrétiens d’origine, qui avaient dû quitter leur église. La plupart du temps, cette prise de distance avait été nécessaire pour se libérer des représentations fausses d’un Dieu dominateur et tout-puissant, de jugements par rapport à la discipline de l’Eglise, ou d’interdits moraux qui pesaient encore sur eux, dans de nombreux domaines de la vie, comme les relations aux autres, le plaisir ou la sexualité. Pour autant, il leur restait un héritage spirituel qui pouvait être nourrissant mais où ils ne pouvaient plus puiser. Dans le même temps je remarquais aussi, qu’après un long chemin personnel en psychothérapie, ces adultes recherchaient une authenticité et une profondeur dans les échanges avec d’autres, et se trouvaient de ce fait souvent frustrés dans les relations sociales ; cela conduisait certains à s’isoler. Finalement, malgré leur désir, beaucoup vivaient une certaine pauvreté sur le plan spirituel et relationnel et le déploraient.
Aussi quand plusieurs d’entre eux/elles m’ont sollicitée pour lancer un petit groupe d’échange spirituel, dans un esprit d’ouverture et avec une vision anthropologique qui concilie le corps, le cœur et l’esprit, j’ai fini par accepter. Je pensais que réunir des personnes matures et en recherche pouvait être une expérience de grande richesse, et ce fut le cas ! L’un de ces groupes a fondé, avec ma participation, la Fraternité Agapè, qui existe toujours aujourd’hui.
Pouvez-vous nous décrire succinctement la vie de cette communauté ?
Dix à quinze personnes, entre 40 – 60 ans et plus, suffisamment réconciliées avec leurs racines chrétiennes, mais se tenant à libre distance des institutions, et ouvertes aux apports d’autres traditions, se réunissent une fois par semaine pendant deux heures, pour prier et échanger. L’assise en silence est privilégiée au début de la rencontre puis s’exprime, à tour de rôle, l’expérience humaine de chacun-e articulée au texte médité (le plus souvent un passage de l’Evangile). Les plus « anciens », fidèles à l’esprit de la Charte de la Fraternité, forment un Conseil, qui reçoit le nouvel arrivant ou régule la vie de la Fraternité. Celle-ci se donne aussi des temps plus longs, en weekend, pour vivre ensemble et se ressourcer, dans un monastère par exemple.
Qu’est-ce que cette expérience vous a appris ?
Le lien vital entre Evangile et fraternité ! Lorsque des personnes creusent ensemble l’Evangile, le méditent, le commentent librement, le corrèlent à leur vécu et le partagent, elles mettent en pratique le message évangélique, et se trouvent en particulier en train d’appliquer entre elles le « aimez-vous les uns les autres » de Jésus. Et dans l’autre sens, ces cherchant-Dieu qui se réunissent régulièrement et qui fraternisent, vivent des moments de cette communion qui ouvre le cœur. Leur cœur s’ouvre avec compassion aux uns et aux autres, laissant tomber les jugements, et voyant dans le prochain un autre enfant de Dieu « comme soi-même ». Et leur cœur s’ouvre aussi aux Ecritures, du dedans, lâchant le mental … et, comme pour les pèlerins d’Emmaüs, « leur cœur est tout chaud » au retour !
2- Votre itinéraire s’est poursuivi dans une enquête auprès de chrétiens en recherche et la préparation d’une thèse de doctorat en théologie pratique soutenue en 2008 à l’Université Marc Bloch de Strasbourg.
Pourquoi vous êtes-vous engagée dans cette recherche ?
Ma recherche pour le doctorat en théologie pratique était le prolongement naturel, en quelque sorte, de cette expérience avec la
Fraternité Agapè. J’ai voulu élargir mon champ d’observation, à d’autres groupes informels de chrétiens plus ou moins distants des églises. Existait-il une typologie de ces participants et de ces groupes ? Comment fonctionnaient-ils ? Quelles étaient leur durée, leur évolution, leurs atouts, leurs limites ? Quels critères dégager pour établir leur validité et pouvoir les considérer comme de nouveaux lieux d’Eglise ? A notre époque de perte de la transmission, perte des repères, émiettement des liens et des appartenances, effondrement de l’autorité et des institutions, cela m’intéressait au plus haut point de soulever des pistes pour l’avenir de l’Evangile « hors les murs ».
Quel était son objet et en quoi a-t-elle consisté ?
Il s’agissait donc de réaliser une enquête avec interview auprès de ces groupes de croyants « en liberté » pour saisir les ressorts de leur quête spirituelle, leurs références, leurs besoins et désirs, et leur vision de la transcendance ; puis de confronter les résultats avec les sciences humaines – construction de l’identité et des liens en réciprocité – et théologiques – quête de sens et de Vie – pour répondre aux problématiques soulevées, en particulier à propos de l’animation de ces groupes, et de leur mise en liens avec d’autres pour envisager un accompagnement idéal de ces croyants et de ces groupes.
Quels en sont pour vous les principaux acquis ?
En théologie pratique on s’accorde sur le fait qu’une recherche croyante est un itinéraire personnel et que l’Evangile est une source sûre. Par contre, l’aspect communautaire est souvent négligé alors qu’il est à mon avis de la première importance : on ne devient pas disciple du Christ tout seul ! De même, la théologie est trop souvent déconnectée de la vie des gens : la corrélation entre la vie et l’Evangile est essentielle pour actualiser les Ecritures et pour participer à la Création en mouvement. Pour moi, un groupe fraternel nourri de la Parole, où l’autre me confronte et m’enrichit, est un lieu privilégié pour « grandir » en confiance et pour s’ouvrir au Souffle divin. L’Evangile et le partage fraternel mis en pratique conjointement authentifient une démarche spirituelle engagée. A l’époque du narcissisme et du déni de réalité, où la majorité des croyants sont en dehors des Eglises, il faudrait encourager la fondation de ces groupes, et aider à les fédérer.
3- Vous avez été appelée ensuite à la présidence des « Réseaux du parvis ».
Dans quel contexte avez-vous reçu et accepté cet appel ?
Tout naturellement, la Fraternité Agapè étant membre des Réseaux du Parvis, j’ai été amenée à participer au Bureau de la Fédération ; puis d’en assumer la présidence. Ma pratique d’animation de groupes et mon parcours en théologie m’aidaient bien à accepter cette demande ; même si j’avais la crainte de ne pas être à la hauteur de cette responsabilité (les Réseaux du Parvis fédèrent une bonne quarantaine d’associations de chrétiens d’ouverture ce qui représente environ entre 5 et 7000 personnes adhérentes ou sympathisantes) j’ai pu investir cette fonction avec joie.
Comment avez-vous vécu cette présidence et quelles grandes orientations avez-vous cherché à mettre en oeuvre ?
Je souhaitais d’abord que s’instaure un climat fraternel dans nos débats, tant au niveau du Bureau que du Conseil d’Administration où siège un représentant par association. Ensuite, mon objectif était d’arriver à ce que, dans l’esprit de Parvis, on sache respecter les sensibilités particulières des différentes associations sans nuire à l’ensemble de notre fédération. C’était tenir « la diversité dans l’unité ». D’ailleurs, le point d’orgue de cette présidence a été pour moi, notre Grand Rassemblement de 2010 à Lyon, où nous avons réuni 500 personnes sur deux jours : intense et mémorable !
Je souhaitais aussi amorcer des ouvertures : vers des personnes isolées sur l’hexagone, comme vers d’autres associations de ce type en Europe, en favorisant les liens – comme par un nouveau site internet par exemple – les rencontres régionales et les représentations à l’international . C’est ce qui continue aujourd’hui.
A la relecture, quels sont pour vous les acquis de cette expérience ?
Rien ne vaut la rencontre ! « Quand deux ou trois seront réunis en mon Nom, je serai parmi eux » : je l’ai vécu dans ma chair avec les autres, qu’ils soient cinq, cinquante ou cinq cents.
4- Vous exercez la profession de psychologue.
Comment et pourquoi êtes-vous entré dans cette profession ?
Très tôt, à partir de ma propre histoire bien entendu, j’étais curieuse de la vie, et j’avais besoin de clarifier le mystère de l’humain. Jeune, j’ai vécu des deuils ; et, constatant qu’il ne restait de mes chers défunts que la relation vécue avec eux et à poursuivre sur un autre plan après la mort, j’ai été confirmée dans mon désir de consacrer ma vie aux relations humaines. Après les 5 ans d’études universitaires, j’ai commencé l’exercice de la profession à 22 ans … c’était bien jeune, en effet ! Mais j’ai commencé par le travail en institutions d’enfants avant de suivre une psychothérapie pour moi-même, puis une formation pour être psychothérapeute et exercer en libéral 10 ans plus tard. Cela fait donc plus de 40 ans aujourd’hui que je suis psychologue et j’aime toujours exercer ce métier !
Pouvez-vous nous dire succinctement la manière dont vous concevez l’exercice de votre métier ?
Je reçois donc les patients, enfants ou adultes, à mon cabinet, en consultation ou en séances régulières de psychothérapie. L’accueil de la demande et de la souffrance, le respect de la confidentialité, l’écoute sans jugement de ma part, sont les bases nécessaires pour que s’instaure la confiance. Il m’importe aussi que cette confiance soit partagée et que je sois respectée. A partir de là, j’accompagne du mieux que je peux, avec tout ce que je suis aujourd’hui, pour que la personne s’exprime, se libère de ses fardeaux et de ses freins, se réconcilie avec son histoire et avec elle-même, et retrouve la direction de son propre chemin de vie.
Quelles leçons plus générales en tirez-vous sur la vie des gens aujourd’hui dans leurs problèmes et leurs aspirations ?
Je remarque de plus en plus souvent qu’ils sont « perdus », comme ils disent ; et qu’il est fondamental pour eux de rencontrer quelqu’un de vrai, calme et centré, qui les regarde et les écoute vraiment, avec amour si j’ose dire, et en profondeur. Je pense donc que la perte des repères et des valeurs, l’emprise des écrans, l’éclatement du lien social et le manque de perspective dans une civilisation en transition génèrent beaucoup de stress, d’angoisse, d’instabilité et de morosité. Les gens cherchent alors à être rassurés, réconfortés – c’est d’ailleurs pourquoi on leur vend du rêve en permanence – et ne peuvent l’être vraiment que par des liens humains solidaires et authentiques.
5- Vous êtes engagée dans une recherche spirituelle que vous partagez dans l’animation de sessions.
Comment cette recherche s’est-elle développée au long des années ?
Je pourrais parler de trois facteurs de chance sur mon parcours. D’abord, pour des raisons particulières, la religion était sujet tabou dans ma famille, et de ce fait je n’ai pas suivi le catéchisme catholique comme les autres enfants de mon âge, et je n’ai pas eu à m’en défaire plus tard ! Ma deuxième chance c’est d’avoir rencontré au long de ma vie des amis et des religieux qui ont su m’entendre, m’éveiller ou me guider. Enfin, mon métier m’a révélé le mystère du divin au cœur de l’humain, comme une flamme secrète irréductible à toute analyse. Avec ce vécu, j’ai pu être très libre à l’intérieur de moi, et chercher à approfondir jusqu’au doctorat de théologie.
Quels sont les apports principaux dont vous vous inspirez ?
Ce qui compte pour moi, c’est la vie unifiée corps-cœur-âme, le partage dans l’amitié, et la sensibilité à l’univers, dans l’art, l’écologie, etc .. Je pratique très régulièrement la méditation, la lectio divina biblique seule et avec d’autres, mais je peux aussi lire des textes d’autres Traditions, la contemplation de la nature : c’est un besoin pour rester reliée au divin.
Quel genre de sessions animez-vous et quels publics y participent ?
Pour le moment j’anime des groupes de psychothérapie à médiation corporelle, mais aussi des sessions à connotation spirituelle comme des temps de jeûne, de ressourcement, et des sessions de Pleine Conscience (3). J’envisage de développer d’ailleurs de plus en plus cet aspect là, à l’articulation du travail sur soi et du développement spirituel. Les personnes qui viennent dans ces sessions recherchent l’authenticité dans les rapports humains, et ont besoin d’ancrage dans le corps et le souffle, pour prendre soin du lien à soi, à l’autre et au Tout Autre.
6- Cécile, vous savez comment au long des années Témoins s’est engagé pour le développement d’un courant d’église émergente cherchant à vivre et annoncer la bonne nouvelle de l’Evangile dans la convivialité et le respect.
A partir des très nombreuses rencontres que vous avez faites tout au long de votre itinéraire, comment percevez-vous les aspirations spirituelles des gens d’aujourd’hui ?
Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, les gens recherchent une vie en profondeur qui ait du sens, des relations inter-personnelles chaleureuses, et une ouverture au monde. Certains sont attirés par des réponses magiques ou exotiques, d’autres par un repli narcissique ou identitaire, mais en tous cas, la majorité de nos contemporains tournent le dos aux religions trop déconnectées de leur vie concrète et cherchent aussi autre chose que l’offre des médias et de la consommation. Il y a un réel manque de bonne nourriture pour « l’âme ».
Comment imaginez-vous une réponse chrétienne pertinente ?
La Tradition chrétienne recèle de vrais trésors, et en particulier son message d’amour apporté par le Christ Jésus. Mais il faudrait en réactualiser le langage, sortir des carcans et des archaïsmes, et pouvoir accompagner les gens à partir de leur vie « d’en bas », sans imposer des préceptes « d’en haut ». Ce temps là est révolu, les gens sont adultes ! Le terme de « témoins » est alors tout à fait d’actualité : ce n’est plus l’appareil qui va compter, mais le témoignage personnel. Ceci étant, j’ai insisté sur la richesse d’un compagnonnage en petit groupe affinitaire, car il me semble être une forme intéressante aujourd’hui pour découvrir et vivre ensemble ce message de l’Evangile.
Interview de Cécile Entremont.
Questions de Jean Hassenforder
(1) De l’intériorité à l’altérité. Evolution de petits groupes d’adultes aux frontières de l’ Eglise. Résumé de la thèse soutenue par Cécile Lerebours Entremont à l’Université Marc Bloch de Strasbourg, le mercredi 23 janvier 2008 : ** Voir article sur ce site **
(2) Partager un ressourcement. Une expérience d’accueil et d’accompagnement partagée par Cécile Entremont, psychologie,animatrice et théologienne : ** Voir sur le blog Vivre et Esperer **
(3) ** Voir le site “les amis de la Reure” **